Les dessous de la « liste » d’Octobre 70

Un nouveau mythe est créé

Sur l’émission « Enquête » qui sera diffusée le 14 octobre 2010

Tribune libre


Les dessous de la « liste » d’Octobre 70 – Un nouveau mythe est créé

Sur l’émission « Enquête » qui sera diffusée le 14 octobre 2010

Par Jean-Paul Crevier
Le dossier de la GRC sur Daniel Waterlot aurait servi d’amorce à la nouvelle trouvaille des recherchistes des émissions « Enquête » et « The Fift Estate » sur les « véritables motifs » des arrestations de plus de 500 québécois pendant la Crise d’Octobre 70 : le PROFUNCT, un programme ultra-secret de la GRC qui datait des années 50 et qui prévoyait l'emprisonnement des militants communistes canadiens advenant un conflit avec l'URSS.
Il n’y avait, explique l’ancien lieutenant Julien Giguère de l’escouade anti-terroriste du SPVM, que quelques dizaines de suspects, liés de près ou de loin à la mouvance du FLQ. « A un moment donné, la SQ en a ajouté puis la GRC en a ajouté ». La SQ trouvant le nombre de suspects ridiculement bas pour l’ampleur des moyens mis en place, la GRC offre son aide (à nouveau ?) pour allonger la liste et… « c’est Alors que Daniel Waterlot sera arrêté (…) Il était le gérant d’une librairie communiste dans le quartier Saint-Henri à Montréal »
Daniel Waterlot : « Le 16, à 4 h du matin, boum, il y a la loi des mesures de guerre. Ils rentrent dans ma librairie, ils cassent tout! [...] Moi, je ne suis pas du FLQ. Je suis du Parti communiste, ce n'est pas pareil! »
Est-ce la naissance d’un nouveau mythe, avant que l’on referme le Livre d’Histoire pour une autre décennie?
Sinon, qui étaient Daniel Waterlot et son éminence grise de l’époque au PCCML, feu Arthur Vachon, ex-premier président de l’Association des Policiers Provinciaux?
De l’entrevue filmée qu’il a accordée à Pierre Cloutier, en 2007, Daniel Waterlot a été policier au SPVM de mars 1964 à septembre 1968. Il a subitement démissionné du SPVM pour un ensemble de motifs déraisonnables sinon incompréhensibles pour se métamorphoser en l’espace de quelques mois en organisateur communiste de haut rang. En voici la transcription, jugez par vous-même :
• Q. : T'as pas été un moment donné au service de police de ...

• R. :J'ai été policier au service de police le la ville de Montréal du mois de mars 64 à septembre (à peu près) 68.Toute la précision sur ça ... j'vais sortir ça des documents de la Bibliothèque nationale, Il y a beaucoup de choses que j'ai oubliées sur 40 ans.

• Q. : T'as démissionné de la police ? ... pour des raisons euh ...

• R. : Non non…

• (Q) … Idéologiques?

• R. : J'ai démissionné parce que ça faisait 5 ans que je remboursais une dette. Parce que l'année où je suis rentré dans la police, je me suis marié et je me suis mis 6000$ sur le dos. Pour les meubles et ainsi de suite dans la maison ... et ça m'a pris plus de 4 ans pour rembourser. Aussitôt que j'ai eu fini de rembourser le dernier paiement, je suis allé au bureau du personnel déposer mon arme, mon badge et ma carte d'identité. J'leur ai donné puis j'leur ai dit "moi je quitte" ... au revoir!

• Q. : Puis là t'as fait quoi ?

• R. : Ben là ... j'ai milité pendant ... 68, 69,70 ... jusqu'à 73.

• Q. : T'as milité où ?

• R. : dans une organisation marxiste-léniniste

• Q. : comment ça s'appelait ?

• R. : au début ça s'appelait les intellectuels et ouvriers patriotes du Québec (m-l) et le parti communiste du Canada (m-l), qui est devenu le parti communiste du Québec (m-l)

• Q. : Alors tu milites pendant 2ans, 4 ans ...

• R. : Ah, j'ai milité plus que ça ... 6 ans.

• Q. : - 6 ans ... et ça consistait à quoi ?

• R. : … ça consistait à mettre sur pied une organisation et planter les racines pour que l'organisation se développe et devienne une opposition valable à tout ce qui se passait (!) Les québécois étaient d'accord avec l'indépendance du Québec... à part des exceptions, et les canadiens, eux, étaient pour que le Québec reste dans la confédération.
Ainsi donc, un policier « qui roulait en Corvette », rapporte des gens qui l’ont alors connu dans Saint-Michel ou environs, quitte la « confrérie » sans aucun motif idéologique, simplement « parce qu’il avait fini de payer ses dettes » et, qui plus est, devient en quelques semaines « l’un des chefs du mouvement maoïste », le tout, sous la supervision d’un autre « communiste de conversion récente » - mais plus discret celui là -– Arthur Vachon de la Police provinciale ? -– Avec respect pour Monsieur Waterlot, (que je ne veux surtout pas blesser personnellement), l’agencement de cette histoire me semble dépasser l’entendement et de beaucoup.
En affirmant qu’il n’avait rien à voir avec le FLQ car il était communiste, Waterlot omet également de souligner qu’il avait été mêlé directement -– dès mars 1969 -– aux arrestations de François Bachand, Yannick Chuit et Raymond Sabourin, i.e. quelques jours avant la manifestation en faveur du McGill Français.
Les faits sont ce qu’ils sont -- Voici ce que rapporte Louis Fournier dans son ouvrage « F.L.Q., histoire d’un mouvement clandestin » :
« Le 21 mars, à l'occasion d'une réunion d'organisation qui groupe près de 300 militants à l'auditorium du cégep du Vieux-Montréal, on repère cinq policiers en civil qui espionnent l'assemblée : deux agents des services de sécurité de la G.R.C. et trois autres de l'escouade antiterroriste de Montréal. Tapis dans une cabine de projection, ils étaient en train de filmer et d'enregistrer les participants à la réunion. Le coordonnateur de l'assemblée, François Bachand, demande aux « espions » de quitter les lieux en y laissant leur matériel (caméras et magnétophones) afin d'échapper à la vindicte des participants. Ce qui est fait, sans qu'aucune violence ne soit exercée contre les limiers identifiés plus tard comme étant les agents M. Stern et J.P. Blaquière de la G.R.C., le sergent-détective [210] Jacques Levasseur et les agents A. Barnabé et B. Massé de la police de Montréal.
Le lendemain de cet incident, Bachand est arrêté alors qu'il se trouve à la Casa Espagnole, ainsi que trois autres organisateurs de McGill français : Yannick Chuit, un étudiant en Droit de 20 ans et l'un des leaders du M.S.P. ; Raymond Sabourin, un jeune travailleur militant du C.I.S., ex-membre du F.L.Q.-65, et Daniel Waterlot, l'un des chefs du mouvement maoïste. Ils sont traduits en cour pour vol qualifié du matériel d'espionnage des policiers, tentative d'extorsion et de séquestre et méfait public. Ces accusations, portées par le procureur de la police de Montréal Me Michel Côté, seront éventuellement cassées dès l'enquête préliminaire faute de preuves. L'enquête n'a jamais permis de récupérer le matériel des policiers et l'hypothèse d'un coup monté a même été évoquée. »
Les documents d’archives de 1970, relatifs à l’arrestation du « communiste » Daniel Waterlot, ont sans doute permis à Radio-Canada de faire de divertissantes trouvailles sur la Guerre Froide. Mais dans le contexte assez explicite de ce qui précède, beaucoup d’hypothèses peuvent être soulevées dont celle suivant laquelle l’arrestation de Waterlot n’aura servi -– à l’époque -- que de couverture pour asseoir la crédibilité de ses activités auprès de tous les jeunes naïfs qui croyaient au « grand soir ».

Et si cela était le cas, cette même couverture, resservie quarante ans plus tard par Radio-Canada, n’aurait pour seul objectif ou résultat que de brouiller encore un peu plus les pistes.
Le 20 mai 1971, alors que la Loi sur les mesures de Guerre et son lourd climat répressif assombrissaient encore le ciel Québécois, Daniel Waterlot et son ’éminence discrète’ Arthur Vachon de la Police provinciale, ont mené à l’abattoir judiciaire une soixantaine de jeunes en leur mettant dans les mains des madriers 2x4 pour soutenir des pancartes qui réclamaient l’arrêt des bombardements américains en Asie du Sud-Est. Ce fut la seule véritable rafle « anti-communiste » de cette période.
Quant à moi, la thèse de Radio-Canada relative aux « nouveaux véritables motifs » des arrestations d’octobre 1970 n’est que de la bouillie pour les chats. Ne nous laissons pas distraire et attendons encore un peu avant de graver sur une plaque commémorative, les noms de tous les patriotes arrêtés en 1970.


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