En combinant congrès d'orientation et course au leadership, le Parti libéral du Canada espérait faire d'une pierre deux coups: moderniser son programme tout en renouvelant sa direction. Aujourd'hui, la décision revient le hanter. Si le parti n'avait pas jumelé deux exercices périlleux en un seul, il ne se serait pas «enfargé» dans le débat sur la reconnaissance de la nation québécoise.
Dans des circonstances plus sereines, la résolution québécoise qui enjoint au PLC de charger des experts de se pencher sur des moyens de faire avancer ce dossier n'aurait jamais fait autant de vagues. Ceux qui ont pris le temps de la lire savent qu'elle n'engage le parti à rien d'autre qu'à voir s'il n'y aurait pas moyen de faire progresser un concept qui fait consensus dans ses rangs québécois et auquel souscrivaient jusqu'à tout récemment ses principaux candidats au leadership.
Loin d'avoir résulté d'un baroud d'honneur entre les clans Ignatieff, Rae et Dion au Québec, l'adoption de la résolution par l'aile québécoise du parti il y a dix jours avait été le fruit des efforts de partisans des trois principaux camps en présence. Aucun d'entre eux n'avait alors de raison de croire qu'il faisait un geste particulièrement incendiaire.
Lorsque Stephen Harper avait refusé, le 24 juin dernier, de s'avancer sur le terrain de l'existence de la nation québécoise, Stéphane Dion avait été l'un des premiers à souligner que le premier ministre avait laissé passer une occasion de reconnaître une évidence.
Le concept n'a jamais non plus posé problème à Bob Rae. À l'époque de Meech, il avait défendu avec vigueur aussi bien le caractère distinct du Québec que la nécessité de le reconnaître officiellement. La résolution dont débattra le PLC le mois prochain reflète ses réticences à l'idée d'engager de nouveau le Canada sur la voie constitutionnelle puisqu'elle n'en fait aucunement mention.
Mais même cette notion d'envisager un éventuel amendement pour reconnaître la spécificité québécoise n'aurait rien de particulièrement révolutionnaire. Après le référendum, Jean Chrétien aurait fait enchâsser le concept de société distincte dans la Constitution s'il ne s'était pas heurté à une fin de non-recevoir du premier ministre ontarien, Mike Harris. Dans les faits, quand Michael Ignatieff suggère qu'il faudra bien un jour voir s'il y a moyen d'aller plus loin, il ne déroge pas à l'orthodoxie libérale telle qu'elle avait évolué sous M. Chrétien.
Il y a un élément de désespoir dans les efforts actuels des Rae, Dion et Gerard Kennedy pour défaire leur principal rival en tapant sur le clou de la reconnaissance du statut national du Québec. Aucun d'entre eux n'ignore qu'il se tape sur les doigts au Québec en le faisant. Aucun délégué québécois ne se réjouirait de devoir faire campagne d'ici quelques mois sous un chef qui devrait sa victoire au déni des voeux véhiculés par certains des éléments les plus fédéralistes du Québec.
Si les Rae et Dion se sont lancés si éperdument dans la mêlée, c'est que le premier a désespérément besoin d'un argument massue pour vaincre la résistance des nombreux délégués ontariens qui ne sont toujours pas enclins à vouloir aller en campagne en portant ses bagages d'ancien premier ministre néo-démocrate et que le second continue de se heurter aux réticences des neuf délégués de l'extérieur du Québec sur 10 qui ne l'ont pas choisi comme poulain, entre autres choses parce qu'il ne lève pas dans les sondages.
En politique fédérale, la stratégie de la terre brûlée québécoise ne date pas d'hier, et elle a souvent été payante. À l'époque où il faisait campagne au leadership conservateur en 1983, Brian Mulroney avait marqué des points contre Joe Clark en l'accusant de mollesse face aux nationalistes québécois pour ensuite se lancer dans une opération de charme sans précédent auprès de ces mêmes nationalistes.
En 1990, Jean Chrétien avait allégrement surfé sur la vague anti-Meech pour gagner le leadership libéral pour ensuite sauver in extremis le navire fédéraliste d'un naufrage référendaire en promettant, la main sur le coeur, de faire avancer le dossier de la reconnaissance de la spécificité québécoise.
Stephen Harper a commencé sa vie politique en pourfendant l'alliance entre l'ancien parti progressiste-conservateur et les nationalistes québécois et il est devenu premier ministre en leur tendant la main.
Lors de la dernière campagne électorale, c'est d'ailleurs le chef conservateur qu'un certain establishment médiatique canadien accusait de vouloir vendre l'âme du Canada au diable pour gagner des votes au Québec en promettant de pratiquer un fédéralisme d'ouverture.
À l'époque, Stephen Harper avait notamment repris à son compte la promesse brisée de Paul Martin d'accroître le rayonnement international du Québec en officialisant sa place à l'Unesco, un engagement réalisé rapidement et sans grand fracas par la suite.
Jusqu'à présent, M. Harper a évité de s'engager dans le débat sur la nation québécoise. Il n'a toujours pas pris position sur le sujet mais il n'a pas non plus tiré à boulets rouges sur ceux qui en font la promotion.
Le danger auquel s'expose le PLC, ce n'est pas seulement de confirmer l'opinion que se sont faite de lui de nombreux électeurs québécois au fil du rapatriement unilatéral de la Constitution, du torpillage de Meech et de l'affaire des commandites, mais également de voir le chef conservateur récupérer à sa façon le discours sur la nation québécoise lors de la prochaine campagne électorale.
Non seulement cela ne l'engagerait-il à absolument rien, mais cela pourrait lui permettre de rayer définitivement les libéraux fédéraux de la carte du Québec francophone.
chebert@thestar.ca
Chantal Hébert est columnist politique au Toronto Star.
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