J’ai ces jours-ci l’étrange impression que notre bien-aimé volatile n’a plus autant de force qu’auparavant pour prendre son envol et aller humoristiquement picorer tout ce qui lui semble aller tout-croche dans notre vénérable société. Une espèce de glue semble le gêner. Qui, sous nos cieux, se dénomme «multiculturalisme», sur d’autres «communautarisme». Et que l’on pourrait également appeler «relativisme culturel».
Ah, le relativisme culturel! On se rappellera qu’en une époque pas si lointaine, il avait affecté le jugement d’un de nos magistrats. Dans une affaire qui concernait le viol d’une adolescente, notre brave juge avait déterminé que la chose n’avait pas la gravité que, sous nos cieux, on accorde à ce geste car il fallait tenir compte du pays d’où venait l’accusé. Là-bas, l’honneur du clan aurait été sauf puisque ce le fut par voie anale que l’accusé s’était satisfait sur sa nièce.
Mais, revenons à notre canard. Un de ses plus beaux envols fut sans contredit un éditorial paru en ses pages dans son numéro de juin 2005. «Les membres du collectif de bénévoles du Couac, pouvait-on y lire, s’entendent sur les grandes orientations de «gauche» du journal, mais ils sont loin de partager dans le détail les mêmes positions politiques. Cela occasionne des débats, parfois houleux, qui permettent à chacun de raffiner sa position au contact de celle des autres. Voilà une saine pratique qui devrait être au cœur de toute société démocratique, mais qui fait si souvent défaut à la nôtre.»
Que de beaux mots que cela! Mais attention, il semble que, quant à ce noble idéal de la pluralité des idées «qui permet à chacun de raffiner sa position», notre canard est présentement en vol plané. Et semblent confirmer mes appréhensions, les réactions à mes textes de février et de mars 2008, ainsi que celles qu’a également suscitées mon dernier cru, celui de juillet-août 2009.
***
Commençons par février 2008. Qui a peur de Bock-Côté?, j’admets que le titre était provocateur. Mais allez savoir quelle volée de bois vert allait par la suite me tomber d’sus! Réplique tout-à-côté d’un Simon Tremblay-Pepin me rappelant à l’ordre avec ses Remarques sur un jeune prodige. Disant d’abord «tout le respect qu’il a pour moi», STP se déclare ensuite «en complet désaccord avec mon texte», et de taper ensuite bien plus sur le «vilain maurassien» de Bock-Côté que sur l’essentiel de mon message.
Un message où il n’était question ni de Maurras ni de Le Pen, mais où, à l’instar de Bock-Côté et de Jacques Beauchemin, je me réjouissais que le PQ ait enfin pris ses distances avec un nationalisme dit «civique» qui ne menait nulle part et dans lequel, par une fausse culpabilité, les élites péquistes s’étaient engoncées depuis que Parizeau avait fortement clamé ce que bien des gens pensaient tout bas. Et la concrétisation de ce timide volte-face du PQ était son projet de loi 195 exigeant des néo-citoyens québécois qu’ils aient un rudiment de français pour pouvoir voter ou pour se présenter à un poste électif au Québec. À mon humble avis, la chose devait avoir du bon puisqu’elle soulevait la rage de nos inconditionnels du Canada. Et du Suburban!
Je me devais de répliquer au texte de STP. Ce qui fut fait (À propos de «propos déplacés», mars 2008). J’y manifestais ma surprise que la seule mention du nom de Bock-Côté ait tant troublé STP alors que cela ne semble en rien gêné Jean-François Nadeau, ce fondateur du journal avec Pierre de Bellefeuille, puisque dans le cahier culturel du Devoir dont il assume la direction, deux chroniqueurs avaient détecté des qualités hors du commun chez le «vilain maurassien». Compte tenu de ce que je sais de ce que pensent ceux qui, actuellement, sont à la barre de notre canard, il fallait m’attendre à une réplique costaude de leur part.
Ce le fut. Au premier abord, L’audace honteuse des lâches (mars 2008) semblait être une charge à fond de train contre le PQ, mais à lire entre les lignes de la prose de ses huit cosignataires, tous membres de Québec solidaire, on pouvait détecter que j’étais tout autant dans leur mire. Qu’on en juge. Charron: «Avec ce projet, ai-je voulu entendre, le PQ sort de sa torpeur et laisse tomber le nationalisme dit «civique», sa raison d’être depuis le maladroit discours de Parizeau au soir du référendum.» Les Huit cosignataires: «(…) en optant pour le nationalisme civique suite à la bourde de Parizeau le soir du référendum de 1995, le PQ aurait tué le nationalisme «ethnique» qui le faisait carburer. Pour se rapprocher du «pays» et surtout, revenir dans les bonnes grâces des électeurs, le PQ devrait « renationaliser» son discours.»
Il est évident ici que ces porte-parole de QS adorent le nationalisme civique. Yeux bouchés! On ne tient aucunement à percevoir cette «bourde de Parizeau» comme étant le fait d’une sainte colère contre l’effet pervers et antidémocratique du multiculturalisme canadien qui, retour d’ascenseur oblige pour largesses bien sonnantes obtenues d’Ottawa, avait poussé les chefs des Congrès juif, italien et grec à inviter leurs commettants à voter «très ethniquement» au référendum. Et on ose parler de «nationalisme ethnique» quand le projet de loi 195 n’est qu’une timide volonté d’une plus grande intégration des Néo-Québécois à leur société d’accueil!
Les Huit reprochent au PQ de faire de l’électoralisme en flirtant avec l’autonomisme adéquiste. Et si nationalisme civique et multiculturalisme étaient la seule façon pour Québec solidaire d’arracher des votes aux libéraux chez ceux que The Gazette appellent «the no-francophones»? Le problème pour les collaborateurs du Couac qui continuent à garder l’esprit de l’édito de juin 2005, c’est qu’on a l’impression que notre canard est en train de devenir l’organe officieux de Québec solidaire. Impression fortement ressentie à la lecture du texte ravageur des Huit. Impression renforcée dans la réplique cinglante de STP contre mon écrit et celui de René Girard dans la dernière cuvée du Couac.
« Assez, c’est assez» semble vouloir dire cet «encore le voile» qui coiffe la page 6. Et c’est encore Simon Tremblay-Pepin qui, avec Voile : ennui et dégoût, rappel cette fois à l’ordre deux de ses confrères. «Encore deux textes sur ce sujet (le voile dans Le Couac ce mois-ci se lamente-il, et combien d’autres écrits dans les gros médias dans les derniers temps»
Tremblay-Pepin s’inquiètent: Ses mains «se meuvent-elles sur le clavier par ennui ou par dégoût? » s’interroge un STP en colère. Il ne le prend pas. Pour le numéro de juin, certains membres influents de l’équipe avaient manifesté leur réprobation quand ils ont appris que René Girard préparait une recension du livre de Djemila Benhabib (1). Mais on avait accepté. Or, ne voilà-t-y pas que, pour juillet-août, les Girard et Charron rappliquent sur le voile! Peu importe que dans leur texte, il soit d’abord question sur le comment aménager le principe de laïcité de l’État, il y a scandale en la demeure.
Les Huit nous disent que, si jamais Québec solidaire prend le pouvoir, il formera une assemblée constituante. «Cette assemblée, distincte de l’Assemblée nationale, est-il affirmé dans L’audace honteuse des lâches, prendrait les deux ou trois ans nécessaires pour animer des espaces de débat public et rédiger une constitution pour le Québec.» Bravo QS! Mais il faut tout de suite vous demander comment seraient choisis les membres de cette assemblée. Ils ne peuvent quand même pas tous venir du Plateau. Ne craint-on pas que veulent en faire partie bien des gens venant de tous les petits Hérouxville parsemant les coins reculés du Québec? Et comment faire pour que les Richard Martineau et MBC de ce monde n’en fassent partie? Et, qu’ils influencent les autres constituants dans une orientation qui risquerait de déplaire à Québec solidaire?
Et parmi les débats, il faudra bien établir comment on intègre les nouveaux citoyens à un Québec voulant se délester du Canada. Ou bedon, on opte pour un multiculturalisme à la sauce anglo-saxonne, ou bedon, on va vers une forme de républicanisme à la française. Alors, il faudra bien que refassent surface les débats qui sont maintenant si mal tolérés au Couac. Et Amir Khadir pourra bien tenter d’imposer ses vues en matière de relativisme culturel, il faudra bien que, sur cet épineux sujet, on laisse s’exprimer d’autres constituants, tout comme lui de religion, ou du moins, de culture et musulmane. Une citoyenne de la trempe de Djemila Benhabib, par exemple. Et il faudra également donner la parole à des femmes qui, à propos du voile, se sont littéralement abreuvées des paroles de Ghita El Khayat lors de son séjour au Québec: «C’est un mouvement à contre-courant imposé par le système chiite, a dit cette sérieuse candidate au Nobel, mais vous, les Québécoises, vous ne savez pas tout ça.» (2)
Depuis que Marion Boyd, cette influente militante de la gauche-caviar torontoise a suggéré qu’on impose la charia aux familles musulmanes ontariennes, je suis devenu très méfiant à l’égard d’une certaine gauche. Et même à l’égard de l’inter-culturalisme, ce machin supposé être un entre-deux entre multiculturalisme et républicanisme.
Et je comprends très bien qu’en soient également méfiantes de nombreuses magrébines, «jeunes filles de la loi 101», de moins en moins magrébines, de plus en plus québécoises, et qui, présentement, sont souvent en brouille avec leurs père et mère, un jour à propos de comment se vêtir, un autre à propos d’avec qui elles peuvent parler dans la rue, un autre à propos d’avec quel cousin avec qui, exigent papa et maman, elles doivent absolument se marier.
(1) [Djemilla Benhabib, Ma vie à contre-Coran->19695] – Une femme témoigne sur les islamistes, VLB éditeur, Montréal, 2009
(2) Lisa-Marie Gervais, [L’espoir d’un Maghreb pour les femmes->21046], Le Devoir, 3 août, 2009
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