Un bien petit prix à payer

Sarko décore Charest - février 2009


Le président français a tourné la page lundi à la politique de «non-ingérence, non-indifférence» qui caractérisait les relations France-Québec depuis les 30 dernières années. On se souviendra que les indépendantistes avaient fortement critiqué les propos de Nicolas Sarkozy lors de son passage à Québec à l'occasion du Sommet de la francophonie.
En déclarant que «le monde n'a pas besoin d'une division supplémentaire», le président français aurait fait preuve d'un biais sans précédent en faveur de l'unité canadienne et contre l'indépendance du Québec. D'aucuns attribuent ce changement de la position traditionnelle gaulliste à l'endroit du contentieux Québec-Canada aux relations d'amitié entre le président Sarkozy et la famille Desmarais. Mais une telle interprétation relève de la myopie. Pour bien comprendre le changement de la politique française, il faut porter davantage d'attention aux effets de structure, dont au premier plan la construction européenne et le monde de l'après 9-11.

Il faut d'abord se rappeler que lorsqu'il a prononcé son discours à l'Assemblée nationale l'automne dernier, le président Sarkozy ne parlait pas seulement en tant que chef d'État de la France. Il portait aussi, à cette occasion, sa casquette de président de l'Union européenne (UE), dont il a assuré la présidence rotative jusqu'à la fin de 2008.
Les mains liées
La France ne participe pas au processus d'intégration européenne depuis plus de 50 ans sans que cela n'affecte ses politiques. Depuis les premiers jalons posés par Jean Monnet, la France est elle-même de plus en plus «fédéralisée» par l'Europe. Elle est imbriquée au sein d'une toile d'institutions communautaires de plus en plus dense tissée par l'UE. De par son rôle historique de premier plan dans la formation d'une Europe aux inspirations fédérales, la France ne peut plus, aussi librement qu'en 1967, adopter des positions internationales pouvant fragiliser l'existence d'entités politiques comme le Canada qui partage avec l'UE une structure de gouvernance comparable.
La principale différence entre de Gaulle et Sarkozy dans leurs positions par rapport au Québec-Canada ne tient pas aux liens de l'actuel président français avec de puissantes familles fédéralistes canadiennes. Ce qui les distingue radicalement, ce sont plutôt 40 années de construction européenne. Plus le temps passe et plus le chef de la France - qui qu'il soit - a les mains liées par une expérience de quasi-fédéralisme qui mélange les souverainetés nationales plus qu'elle ne les divise.
Dès son accession au pouvoir, le président Sarkozy a accordé une priorité absolue à la reconstruction des liens avec les États-Unis à la suite des tensions provoquées par la guerre en Irak. Prendre ses distances du nationalisme québécois constitue peut-être la rupture d'une certaine politique française à l'endroit de notre débat existentiel. Mais pour la France, c'est un bien petit prix à payer pour revenir dans les bonnes grâces des Américains.
Entre le Québec et Washington, la France a fait un choix en fonction de ses propres intérêts géostratégiques. On comprend alors la déception des indépendantistes, eux qui ont mis tous «leurs oeufs dans le panier» de la France pour la reconnaissance internationale d'un éventuel Québec souverain. Pourtant, la célèbre formule de Voltaire - «ces quelques arpents de neige» - aurait dû leur rappeler qu'à la grande «bourse» de la politique mondiale, la France a toujours accordé une valeur «fluctuante» à notre coin du monde.
Denis Saint-Martin
L'auteur est le directeur du Centre d'excellence sur l'Union européenne à l'Université de Montréal et à l'Université McGill.


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