Une surenchère apeurante

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Vote voilé - turbulences dans l'ordre démocratique

(Photo Reuters)


Lorsqu'un enjeu suscite l'unanimité chez des politiciens qui, en temps normal, passent leur temps à se disputer et à se diviser, il y a lieu de se demander s'il n'y a pas anguille sous roche.



Tel semble être le cas de l'accueil réservé par nos parlementaires au projet de loi visant à modifier la loi électorale du Canada afin d'éviter que des femmes voilées puissent voter sans avoir à se découvrir le visage.
Bloquistes et conservateurs sont d'ailleurs si convaincus de la rentabilité politique du projet de loi qu'ils s'en contestent la paternité et se livrent à un jeu de souc-à-la-corde pour savoir lequel des deux partis sera le moins permissif quant aux façons d'identifier le visage des femmes dévoilées.
Une telle surenchère ne fait pas plaisir à voir. Ce n'est pas un grand jour pour la démocratie lorsque nos élus cherchent à se faire du capital politique en exploitant les préjugés et les craintes des citoyens. Ceci n'est pas un indice de grandeur mais de petitesse politique.
D'un côté, il y a ceux qui cherchent à faire des gains en voulant faire croire au public qu'il y a péril en la demeure et que le Parlement doit immédiatement agir pour mettre fin à l'absence d'identification visuelle des électeurs, alors que cette façon de faire existe depuis toujours.
Et de l'autre, ceux qui comprennent probablement que ce péril est fictif, mais qui se taisent de crainte de se rendre impopulaire à l'endroit d'un certain segment de l'opinion publique que tous veulent courtiser depuis la montée en flèche de l'ADQ. Mais qu'ils soient populistes ou pleutres, personne dans la classe politique n'a encore clairement expliqué pourquoi il y avait urgence d'agir maintenant.
En commentant le projet de loi de son gouvernement, le ministre Laurence Cannon a dit vouloir protéger «la dignité du processus électoral». Depuis quand les «processus» ont-ils de la dignité? La dignité est d'abord et avant tout l'attribut des individus pas des concepts, et ceux qui sont allés voter déguisés lors des récentes élections partielles au Québec n'en ont certainement pas fait preuve.
Pourquoi maintenant?
Au Canada comme au Québec, les électeurs ont toujours pu voter sans avoir à se montrer le visage. Le vote à domicile, par exemple, n'a jamais impliqué aucun contact visuel entre l'électeur et le personnel électoral. Aux élections de 2006, 80 000 personnes ont voté de cette façon. Ce n'est donc pas le désir de voir la bouille des électeurs qui motive l'urgence d'agir.
Est-ce que cela serait plutôt provoqué par le désir de laïciser le processus électoral, de façon à ce que le voile des femmes musulmanes soit dorénavant exclu de l'espace public que constitue le vote? Non plus, puisqu'au Québec on vote encore dans les sous-sols d'église et que les bonnes soeurs peuvent toujours voter en portant leur coiffe et les curés avec leur soutane ou collet romain.
La réalité est que le projet de loi sur l'identification visuelle des électeurs se veut une solution à un problème qui n'existe pas. Non seulement n'y a-t-il rien à solutionner, mais en plus le projet de loi qui nous est proposé a un caractère sexiste car ce sont les femmes qu'il vise d'abord et avant tout. Qu'elles soient en burqa ou en niqab, aucune femme ou association musulmane au Québec ou au Canada n'a exigé le droit de voter le visage voilé. Aucune demande en ce sens n'a jamais été faite.
Cette question a été mise à l'ordre du jour par un petit journaliste futé, et non pas par les femmes musulmanes. La question était purement hypothétique, formulée non pas en référence à un cas concret, mais davantage pour s'amuser de l'embarras des bureaucrates chargés de la gestion des élections.
Ce «problème» qui n'existe pas n'est rien d'autre qu'une invention politicienne pour obtenir le vote du Québec aux prochaines élections en tirant profit des clivages exprimés autour de la question des accommodements raisonnables.
Les minorités ont le dos large au Québec en ce moment. On leur accorde un pouvoir démesuré qui justifie les pires excès, comme en font preuve certains des éléments de l'odieux projet de loi 195 de Pauline Marois. Ce ne sont pourtant pas les problèmes réels qui manquent. Ce qui «nous tue» au Québec, ce sont bien plus nos viaducs et nos infrastructures en décrépitude que les fausses divisions entre le «nous» et les «eux».
On ne vise même pas à laïciser le processus électoral puisqu'au Québec on vote encore dans les sous-sols d'église et que les bonnes soeurs peuvent toujours voter en portant leur coiffe.
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Denis Saint-Martin
L'auteur est professeur au département de science politique de l'Université de Montréal.
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