En avril 2004, Michel Venne annonçait dans ces pages la création de l'Institut du Nouveau Monde ([inm.qc.ca->www.inm.qc.ca]). Cinq ans plus tard, il se demande: où en est le Québec? Un rendez-vous, ici, les quatre mardis d'avril. Voici le deuxième d'une série de quatre articles.
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Combien d'entre nous avaient rêvé secrètement de voir s'écrouler ce système économique injuste et gaspilleur qui domine la planète? Le voilà qui chancelle. Mais nous n'avons aucune raison de nous en réjouir.
D'une part, la crise fera beaucoup de victimes innocentes dont les souffrances sont réelles et profondes. D'autre part, et bien que nous en rêvions, rien ne garantit que ce monde, construit sur les inégalités, sera bientôt remplacé par un nouveau système économique plus juste et plus durable. En outre, la solution de rechange magique n'existe pas.
Le mieux que nous puissions faire -- mais nous devons le faire -- est de profiter de l'occasion pour remettre à la mode et faire triompher des idées porteuses d'un développement durable et équitable.
Prenons conscience aussi du fait que la vie continue et que notre société dispose de forces et de traditions sur lesquelles nous pouvons nous appuyer pour sortir de la crise meilleurs que lorsque nous y sommes entrés.
Parmi d'autres considérations, je veux insister sur trois dimensions d'une sortie de crise réussie: la réhabilitation et la nécessaire réforme de l'État providence, le rétablissement de la confiance par des règles du jeu économique transparentes et l'importance de la concertation et de la solidarité.
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Dans la plupart des économies riches, la stabilité repose largement sur des transactions qui se déroulent hors du marché pur. Les dépenses gouvernementales représentent à elles seules grosso modo en moyenne 45 % du produit intérieur brut des pays industrialisés.
Pourtant, durant la période récente, le rôle de l'État a été contesté, et la mode était à la réduction des taxes et des impôts. Or, après quinze ans de croissance économique, le gouvernement du Québec, qui a succombé à la mode, affiche -- et pour plusieurs années -- un déficit budgétaire important. Nous nous étions pourtant promis de cesser de pelleter aux générations futures le coût des services que l'on se paie aujourd'hui.
La crise va réhabiliter l'État. Mais nous ne serons pas plus avancés si l'État que l'on réhabilite est un État lourd et bureaucratique. Nous progresserons si la crise force en même temps un accroissement de la productivité des services publics, la mobilisation des instances locales et du secteur privé, et l'amélioration de la gestion des risques partagés.
Nous ne sommes plus égaux devant le risque de la maladie puisqu'un système privé parallèle se déploie dans l'indifférence. L'État ne garantit plus l'égalité devant le risque de l'ignorance, tous les enfants n'ayant plus accès à une éducation de qualité équivalente selon leur lieu de résidence ou le revenu de leurs parents. Or l'éducation est l'une des principales conditions du développement.
De même, la crise révèle le besoin, pourtant connu, d'une refonte de nos programmes de sécurité du revenu afin de mieux faire face au risque de la précarité économique. Il faut faciliter les allers-retours du marché du travail, la formation tout au long de la vie, l'entrepreneuriat, la retraite progressive, etc.
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La montée des inégalités, à laquelle l'État ne réussit pas à répondre adéquatement, crée un climat de suspicion entre les citoyens. On se méfie de son voisin et on le jalouse.
Or pour le Prix Nobel d'économie Amartya Sen, la crise économique résulte d'abord d'une crise de confiance. Celle-ci est notamment attribuable à un manque de transparence dans le fonctionnement des marchés. L'essor fulgurant des produits dérivés fait qu'il est devenu plus difficile d'établir les responsabilités et les obligations liées aux transactions financières qui sont de plus en plus étrangères à l'économie réelle, celle dans laquelle des gens travaillent et sont récompensés pour l'effort consenti.
La crise a déjà suscité une réflexion sur la nécessité de renforcer la réglementation des marchés. Ce travail ne peut pas se réaliser pleinement à l'échelle nationale puisque l'économie mondialisée est là pour de bon. C'est au niveau mondial qu'il faut travailler. Le Québec n'étant qu'une province et ne disposant ni de droits de parole dans les instances économiques mondiales ni de banque centrale capable de faire des gestes concrets, c'est à Ottawa que la position de notre pays est élaborée.
Il serait pour le moins ahurissant qu'un gouvernement conservateur minoritaire s'arroge le pouvoir exclusif de définir cette position. L'occasion serait belle de prévoir un processus ouvert à cet égard, qui revêtirait en plus des vertus d'éducation populaire.
Mais au-delà de la réglementation, la confiance se crée dans des relations de proximité. La crise va sans doute remettre au goût du jour le commerce local, un lien plus direct entre le producteur et le consommateur, l'achat chez nous (qui ne doit pas être confondu avec du protectionnisme) et un rapport plus vrai avec l'économie réelle.
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Le premier réflexe en situation de crise est de protéger ses intérêts personnels. L'instinct de survie est toujours le plus fort. Mais, sans tarder, l'on se rend compte que l'on peut difficilement se sortir tout seul de situations difficiles.
Au Québec, une longue tradition d'économie sociale et coopérative, une pratique fructueuse de la concertation au niveau national comme au niveau local, tout cela peut nous servir dans le contexte actuel.
L'histoire économique du Québec offre de nombreux exemples: le rôle des coopératives agricoles dans les années 30, Corvée habitation, les Opérations Dignité, la création de la Caisse de dépôt et placement, l'alliance des classes sociales qui a permis la Révolution tranquille, la création des fonds de travailleurs, le Forum pour l'emploi, les sommets socio-économiques de René Lévesque et de Lucien Bouchard, ont contribué profondément à faire progresser le Québec.
Rapidement, nous pouvons retrouver nos réflexes et prendre une longueur d'avance sur d'autres nations moins habituées à coopérer pour développer leur économie.
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Michel Venne, Directeur général de l'Institut du Nouveau Monde
michel_venne@inm.qc.ca
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Michel Venne est le fondateur et le directeur général de l’Institut du Nouveau Monde. Il est le directeur de L’annuaire du Québec, publié chaque année aux Éditions Fides. Il prononce de nombreuses conférences...
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Directeur général Institut du Nouveau Monde
Michel Venne est le fondateur et le directeur général de l’Institut du Nouveau Monde. Il est le directeur de L’annuaire du Québec, publié chaque année aux Éditions Fides. Il prononce de nombreuses conférences et est l’auteur de nombreux articles scientifiques. Il est membre du Chantier sur la démocratie à la Ville de Montréal, membre du comité scientifique sur l’appréciation de la performance du système de santé créé par le Commissaire à la santé et au bien-être du Québec, membre du conseil d’orientation du Centre de collaboration nationale sur les politiques publiques favorables à la santé, membre du conseil d’orientation du projet de recherche conjoint Queen’s-UQAM sur l’ethnicité et la gouvernance démocratique.
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