Sus aux récriminations contre les facultés d'éducation

Par Marc Turgeon

Coalition pour l’histoire



Dans Le Devoir du 25 août, quelques professeurs d'histoire de l'Université de Sherbrooke nous livrent leurs impressions sur l'enseignement du nouveau programme d'histoire et sur la qualité de la formation des enseignants («Nouvelle mouture du programme d'histoire au secondaire - Du programme à l'enseignant»). Mon propos porte sur ce second volet du texte publié, lequel justifie quelques remarques compte tenu de la malveillance dont il témoigne à l'endroit de la formation des enseignants et des facultés d'éducation.

Je procède en reprenant les passages que je souhaite commenter.
Formation en histoire
«D'abord, il se trouve des enseignants de ce programme qui n'ont aucune formation universitaire en histoire.»
Cela est tout à fait exact puisque la convention collective et les règles d'affectation permettent à des gens non formés dans un domaine de changer de champ d'enseignement, à des directions d'école d'embaucher quiconque est jugé «apte» lorsque nécessaire, et que les jeunes enseignants, compte tenu des règles d'ancienneté, doivent souvent composer avec des tâches hétéroclites dans plusieurs champs d'enseignement.
Les auteurs du texte semblent avoir des récriminations contre les facultés d'éducation, mais dans ce cas-ci, ils devraient s'adresser aux syndicats d'enseignants ou s'interroger sur les raisons pour lesquelles le projet de création d'un ordre professionnel a été mis de côté.
«Mais la formation actuelle des futurs enseignants au secondaire, depuis la réforme de 1994 qui a fait passer cette formation aux facultés d'éducation, relègue à l'arrière-plan les contenus disciplinaires. On forme d'abord des maîtres; les connaissances sont secondaires.»
Avant 1994, les bacheliers pouvaient s'inscrire à un certificat de pédagogie pour enseigner au secondaire. Mais ces bacheliers, dans de très nombreux cas, avaient un baccalauréat de type majeure-mineure ne comportant pas plus de 60 crédits en histoire ou n'avaient pas nécessairement des notes suffisamment élevées pour poursuivre aux cycles supérieurs, ce qui les menait à s'inscrire comme second choix à un certificat de pédagogie non contingenté. Où étaient ces messieurs à l'époque ? Qu'on cesse donc de ressasser de vieux clichés passéistes.
Les nouveaux programmes de formation à l'enseignement en univers social au secondaire comportent normalement entre 60 et 70 crédits de formation en histoire (principalement) et en géographie. Faut-il séparer l'histoire de la géographie pour donner plus de place à l'histoire ? Peut-être, mais que feront les enseignants qui doivent combiner l'enseignement des deux (puisque les règles d'affectation conduiront dans les faits à n'embaucher que peu ou pas d'enseignants de géographie) ? Les programmes de formation initiale reflètent à cet égard un compromis qui découle des exigences de l'organisation du travail et non de la volonté des facultés d'éducation.

Par ailleurs, ces même facultés ont récemment accepté le principe de création de programmes de formation à l'enseignement au deuxième cycle afin d'accueillir davantage de bacheliers disciplinaires, notamment afin de contrer les effets de la pénurie dans certains domaines (pénuries qui mènent les établissements scolaires à embaucher des personnes insuffisamment formées dans la discipline ou en enseignement). [...]
Enseignants d'abord
«Deux des signataires de ce texte travaillent directement dans des activités pédagogiques visant l'intégration des savoirs (connaissances, habiletés et attitudes) en histoire avec ceux relevant des sciences de l'éducation. Leur conclusion est la suivante : la grande majorité de ces futurs enseignants se considèrent comme pédagogues d'abord et ne s'identifient plus du tout comme historiens.»
Excellente remarque, qui montre bien que tout dépend de la manière dont on considère les choses : le fait que la majorité des futurs enseignants du secondaire avec lesquels deux de ces messieurs ont eu des contacts se considèrent comme des enseignants et non des historiens professionnels est une très bonne nouvelle.
Au lieu de mépriser les élèves jugés trop jeunes pour penser par ces messieurs, sans doute ces futurs enseignants parviendront-ils à les «amener à interpréter les faits [et] à s'intéresser aux enjeux qui interpellent la société».
Par ailleurs, on voit bien ici à quel point certains «disciplinaires» universitaires ont de la difficulté à penser que leur enseignement puisse servir à autre chose qu'à la reproduction de leurs propres objectifs professionnels alors que, dans bien des cas (les cotes R le démontrent, particulièrement en sciences humaines), les futurs enseignants admis à l'université ont de meilleurs résultats dans les disciplines au cégep que les personnes qui choisissent la formation disciplinaire.
«On a beau concocter le plus beau programme, tant que la formation des maîtres dans la discipline historique ne sera pas renforcée -- et cela passe forcément par un nombre accru de crédits --, il est utopique de penser que le professeur pourra "dominer" la discipline.»
J'ai commenté en partie cet élément ci-dessus. J'ajouterais que la convention collective des enseignants ne comporte à toutes fins utiles aucun incitatif encourageant à la poursuite des études au-delà de la formation initiale, ce que les facultés d'éducation ont maintes fois déploré.
Par ailleurs, le cumul des crédits ne peut faire foi de tout, d'autant plus, comme le savent les signataires de ce texte, qu'il ne sert pas qu'à cautionner la formation mais aussi à fonder l'octroi de ressources additionnelles aux unités d'enseignement.
Puisque les historiens aiment les faits, en voici quelques-uns : selon les rapports de suivi de la Commission des universités sur les programmes rendus publics par la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (CREPUQ) pour les années 2001-02, on comptait alors à l'Université de Sherbrooke 142 étudiants en histoire et environ 1900 étudiants uniquement dans les principaux programmes offerts en éducation. Cette seule donnée permet de conclure raisonnablement qu'il doit être assez difficile de justifier des ouvertures de postes de professeur en histoire à cette université.
Normalement, je serais sympathique à l'expression d'une telle difficulté. Mais la manière pathétique dont on tente ici d'engranger des crédits supplémentaires en dénigrant les uns et les autres laisse tout simplement pantois.
Marc Turgeon
_ Doyen de la faculté des sciences de l'éducation de l'Université du Québec à Montréal


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