Souvenir des liens monarchiques

En soulignant le bicentenaire de la guerre de 1812, les conservateurs célèbrent la relation Canada-Grande-Bretagne

Le gouvernement Harper ne cherche pas à commémorer cette histoire, mais à profiter de l'occasion pour forcer l'adhésion aux symboles monarchiques (non républicains); heureusement le Québec a mille raisons d'ignorer ces traquenards révisionnistes. Reste que les historiens québécois ont le devoir de dégager le sens de cette période de notre histoire nationale.


Guillaume Bourgault-Côté - Des acteurs jouant le rôle de soldats de l’époque se préparent à participer à un événement commémoratif de la guerre de 1812 organisé hier à la Citadelle d’Halifax.
Le gouvernement conservateur a pris les grands moyens pour marquer le bicentenaire d’une guerre méconnue, celle de 1812. Un conflit absolument fondamental dans l’histoire canadienne, dit Ottawa. Vraiment ? Les historiens n’adhèrent pas tous à cette lecture.
La guerre de 1812 connaît ses heures de gloire au Canada. Elle sera au coeur des célébrations du 1er juillet sur la colline parlementaire. Elle est l’objet d’une vaste exposition au Musée canadien de la guerre. Elle a son application iPad et ses pièces de monnaie. Elle aura son monument commémoratif et sa « campagne de sensibilisation » nationale. Deux cents ans plus tard, c’est le triomphe.
En dévoilant dans les derniers mois le programme des célébrations - dont la facture officielle est de 28 millions -, le ministre du Patrimoine canadien a souvent répété que « le Canada n’existerait pas si l’invasion américaine n’avait pas été repoussée durant la guerre de 1812 ». Ainsi les conservateurs font-ils de ce conflit entre les États-Unis et le Canada un jalon crucial de l’histoire canadienne.
Pourtant, dans les rangs des historiens, l’importance du conflit de 1812 est loin de faire consensus. « On veut vraiment faire de la récupération avec cet événement qui n’a pas eu la portée sur l’histoire du Canada qu’on lui prête aujourd’hui », juge par exemple Jacques Lacoursière.
« C’est un événement important dans l’histoire du pays, ajoute Donald Fyson, professeur d’histoire à l’Université Laval et spécialiste de la période. Mais il serait très difficile de soutenir que ce soit un élément fondateur du pays. Du point de vue de quelqu’un qui étudie de près cette période, je ne vois pas comment ça a changé de façon fondamentale le Canada. »
M. Fyson affirme ainsi que « si on enlève 1812 dans l’histoire canadienne, le Canada serait probablement sensiblement le même qu’aujourd’hui. Le conflit n’a à peu près rien changé à la dynamique canadienne qui prévaut avant 1812 et après 1815 [date de la fin des hostilités]. Or, si vraiment la guerre avait été ce moment fondateur qui a soudé les Canadiens, il n’y aurait pas eu tout de suite après la reprise des conflits intérieurs qui mèneront aux Rébellions de 1837-1838. La guerre de 1812 n’a marqué qu’une petite pause. »
Quand le gouvernement dit que le Canada n’existerait pas sans la victoire obtenue en 1815, il fait « de l’histoire contre-factuelle », estime ainsi M. Fyson. « C’est évident que si l’invasion américaine du Haut-Canada avait été une réussite, l’histoire serait différente. Mais on ne refait pas l’histoire avec des si, ou en inversant des événements. »
Monarchie
En remontant le cours des événements, M. Fyson soutient que le conflit n’a pas fait de grand vainqueur. « Personne n’est sorti gagnant, il n’y a pas eu d’échange significatif de territoire et on n’a pas vraiment réglé les tensions qui existaient à l’époque, dit-il. En fait, un seul groupe a vraiment perdu, et ce sont les Amérindiens, qui ont perdu des territoires importants. »
De l’autre côté de la frontière, l’historien Don Hickey estime que « ç’a été un conflit important aux États-Unis parce qu’il a jeté les contours du paysage politique, militaire et culturel qui sera celui de la jeune république pour les décennies suivantes, note ce spécialiste de la guerre de 1812 au Wayne State College du Nebraska. Et ç’a été encore plus important pour les Canadiens parce qu’ils ont pu préserver leur identité et demeurer au sein de l’Empire britannique… tout en continuant sur le chemin qui mènera à 1867. »
Cette question des liens avec la monarchie explique d’ailleurs en grande partie l’intérêt des conservateurs pour ce conflit, juge Roch Legault, professeur d’histoire militaire canadienne au Collège militaire royal de Kingston. « On en parlait peu avant les conservateurs, dit-il. En fait, il y a toujours eu un trou entre la Conquête [1759] et les Rébellions. Mais pour le gouvernement actuel, c’est une façon de dire que nous sommes canadiens, tout en étant en même temps britanniques. C’est une occasion de célébrer cet héritage britannique, de rappeler ces racines. »
Dans un ouvrage à paraître cet automne, M. Legault écrit que « la guerre de 1812 célèbre la concorde politique au sein de la colonie, Canadiens français, colons britanniques et Amérindiens luttant ensemble pour repousser l’envahisseur. Mais elle renouvelle aussi les voeux de l’union entre le Canada (anglais) et la Grande-Bretagne ».
Si Donald Fyson note que la concorde fut de courte durée, il acquiesce aux propos de M. Legault. « La guerre de 1812 a permis la construction d’un mythe où le Canada a rejeté la tentation républicaine pour rester fermement rattaché à la Couronne, explique-t-il. D’un point de vue conservateur, ces liens avec la monarchie sont un des fondements de l’identité du Canada. La célébration de 1812 est donc parfaitement logique si on la situe dans le courant actuel où le gouvernement fait beaucoup d’efforts pour rappeler ce passé. »
Et ces efforts par rapport à 1812 seront visibles longtemps : le calendrier de célébration s’étend jusqu’en 2015.
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Envahir le Canada
Le gouvernement Harper a lancé hier la première semaine officielle de commémoration du conflit qui a éclaté le 18 juin 1812, et qui trouvait alors ses racines dans la guerre qui faisait rage entre la France de Napoléon et la Grande-Bretagne.
Pour tenter d’asphyxier l’économie de la France, la Grande-Bretagne promulgua en 1807 un décret qui interdisait aux navires de pays neutres (comme les États-Unis) de faire du commerce entre les ports contrôlés par la France. Or, cette mesure touchait de plein fouet la jeune économie américaine.
Les tensions entre les États-Unis et la Grande-Bretagne sont ensuite montées d’un cran quand Londres s’est mise à fouiller les vaisseaux américains pour confisquer des marchandises… et remettre la main sur des déserteurs qui détenaient pourtant désormais la citoyenneté américaine.
Les hostilités lancées en sol nord-américain, la guerre de 1812 durera plus de deux ans et se déroulera principalement dans le sud de l’Ontario (Haut-Canada). Des combats auront aussi lieu au Québec, notamment à Châteauguay en 1813, en haute mer… et jusqu’à la Maison-Blanche, à laquelle les Britanniques mirent le feu en 1814.
L’objectif avoué des Américains était d’envahir le Haut-Canada (dont la majorité de la population était américaine, et dont on supposait qu’elle accueillerait positivement cette invasion) et ainsi mettre la main sur une grande partie de l’Amérique du Nord britannique. L’effort de guerre combiné des Britanniques, des Canadiens et des Amérindiens a empêché la percée.


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