Propagande et milice au Québec durant la guerre de 1812

1812 - l'État historien





Luc Lépine est historien militaire. Il détient une maîtrise en histoire de l'université de Montréal et prépare un PH.D en histoire à l'Université de Québec à Montréal. Il a par ailleurs étudié durant deux ans au Royal Military College de Kingston. Il est présentement archiviste référencier aux Archives Nationales du Québec à Montréal.
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De 1812 à 1815, les miliciens canadiens-français sont soumis à un niveau de propagande qui restera inégalé jusqu'à la Première Guerre Mondiale. Le gouvernement britannique qui dirige le Bas-Canada depuis un peu plus de 60 ans veut obtenir l'appui de la population francophone pour s'assurer une victoire contre les troupes américaines qui menacent d'envahir la province. Pour arriver à ses fins, il va utiliser tous les moyens mis à sa disposition en incluant la propagande religieuse et la voix des journaux.
Au printemps de 1812, le gouverneur du Bas-Canada, George Prevost, sent qu'une invasion américaine est imminente. Malheureusement, il ne dispose pour défendre le territoire que de 5600 soldats réguliers britanniques et Fencibles dont 1200 sont stationnés au Haut-Canada. La milice du Bas-Canada (aujourd'hui le Québec) compte sur papier 60,000 hommes et celle du Haut-Canada (aujourd'hui l'Ontario) 11,000 dont seulement 4,000 peuvent être considérés comme loyaux à l'Angleterre. Les autres miliciens sont des Américains arrivés depuis peu et dont la loyauté penche encore vers les Etats-Unis.
Durant la guerre, trois types de miliciens marquent le déroulement des opérations: les miliciens sédentaires, les miliciens volontaires des Voltigeurs Canadiens et les miliciens des Bataillons de la Milice d'élite et Incorporée.
LA MILICE SEDENTAIRE
Tous les hommes de 16 à 50 ans font partie de la milice sédentaire ou milice locale. La loi de 1803 prévoit que les miliciens sédentaires doivent s'enrôler tous les ans au mois d'avril pour une fin de semaine afin de faire un relevé des effectifs, vérifier les armes et faire un peu de "Drill". Ces fins de semaines d'entraînement se terminaient généralement à la taverne locale. Encadrée par des officiers locaux, cette milice constitue le réservoir dans lequel on puisera les miliciens qui combattront les américains. En cas d'invasion cette milice est supposée repousser les ennemis.
LES VOLTIGEURS CANADIENS
Les impératifs militaires forcent Prevost à recourir à la milice canadienne-française. Dès le 25 avril 1812, on commence le recrutement de volontaires pour le corps des Voltigeurs Canadiens dirigé par Charles-Michel de Salaberry, un major du 60e Régiment, un natif du Québec. Ce bataillon est composé de volontaires et doit servir pour la durée de la guerre contre les Etats-Unis.
Les murs de Québec, Montréal et Trois-Rivières sont rapidement recouverts d'affiches. Celles-ci offrent 96 livres françaises à tous les miliciens qui voulant éviter la conscription sont prêts à joindre les rangs des Voltigeurs Canadiens. On rassure les miliciens: "vous ne devenez pas des soldats, mais vous restez miliciens et vous ne serez pas sujets à aucune des punitions auxquelles les Troupes sont assujetties". On peut noter que le fouet a été aboli comme punition corporelle pour les miliciens.
On rajoute que le bataillon est réservé aux Canadiens de naissance et qu 'aucun étranger n'y sera admis. De plus on insiste sur le fait que la prime est payée immédiatement et que le calcul de la solde débute dès l'enrôlement.
Le recrutement pour les Voltigeurs Canadiens va assez bien mais on plafonne rapidement à 300 recrues. Certaines rumeurs commencent à circuler sur la discipline de fer de Charles-Michel de Salaberry. On raconte que lors d'une émeute au camps de Chambly, il aurait fait "sauter la tête d'un milicien de dessus ses épaules". Même si la rumeur s'avère fausse cela fait ralentir quelque peu le recrutement.
En décembre 1812, on recommence une autre campagne de recrutement pour les Voltigeurs. A ce moment, on offre une terre de 50 arpents à tous les miliciens qui joindraient le bataillon. Cette prime à l'enrôlement semble des plus alléchantes car en moins d'un mois 120 hommes sont accueillis dans le bataillon. Durant toute la guerre, plus de 900 miliciens vont joindre volontairement ce corps d'élite. Les miliciens francophones réprésentent 75% des recrues. La moitié des officiers étaient également des francophones.
Durant la guerre, les Voltigeurs Canadiens ont pris part à une dizaine d'engagements militaires. La bataille de la rivière Châteauguay est certainement la plus connue. Salaberry et trois cent Voltigeurs Canadiens appuyés de 1200 soldats et miliciens sédentaires ont repoussé une force américaine de 2,500 hommes.
Les journaux de l'époque s'empressent de publier un poème à leur gloire:

"La Trompette a sonné. L'éclair luit, l'airain gronde:
_ Salaberry paraît: la valeur le seconde,
_ Et trois cents Canadiens qui marchent sur ses pas
_ Comme lui, d'un air gai, vont braver le trépas.
_ Huit mille Américains s'avancent d'un air sombre.
_ Oui! Trois cents sur huit mille obtiennent la victoire.

Ce poème servira de base sur laquelle repose une partie de la gloire des Voltigeurs Canadiens".
MILICE D'ELITE ET INCORPOREE
En plus de recruter des volontaires, le gouverneur George Prévost décide d'imposer la conscription afin de lever quatre bataillons de milice d'élite et incorporée. En mai 1812, on tire au sort les noms de 2,000 miliciens célibataires de 18 à 30 ans. Chaque division de la milice sédentaire doit envoyer un nombre précis de conscrits, environ 20% des célibataires de la division de milice. Ceux-ci sont enrôlés pour une période 90 jours. Dans le cas où la guerre avec les Etats-Unis se poursuive, ils peuvent rester sous les drapeaux pendant deux ans.
Les membres du clergé se sont associés à cette levée de miliciens. Il reçoivent ordre de l'évêque de "faire sentir au milicien que sa religion est en danger de se perdre par la présence d'ennemis sans principes et sans moeurs".
Malgré la meilleure planification possible l'opération "conscription" connait certains problèmes. Dans la région de Boucherville, on conscrit 138 miliciens qui doivent joindre leur bataillon à Montréal. Seulement 20 miliciens arriveront au camp. Les autres se sont "perdus" en forêt. Plusieurs miliciens refusent de s'enrôler et deviennent des réfractaires. Sur un objectif de 2,000 hommes, le gouvernement ne réussit qu'à n'en conscrire que 1,200. Les miliciens qui se plient à l'obligation militaire ne sont pas très bien accueillis. Le Premier Bataillon de la Milice d'élite et Incorporée ne compte qu'une grange et un champ pour loger 600 hommes. Le cuisinier du bataillon n'a pas de four pour faire cuire le pain. Les hommes reçoivent de la farine crue comme ration. Dans de telles conditions, il n'est pas surprenant que des jeunes hommes qui n'ont jamais quitté la maison paternelle soient découragés devant de telles conditions et quittent le camp illégalement.
Quelques déserteurs sont emprisonnés à Lachine. Près de 400 miliciens sédentaires de la région de Pointe-Claire décident d'aller libérer leur collègues qu'ils jugent injustement enfermés. Les miliciens sédentaires sont interceptés par des troupes régulières britanniques. Une escarmouche se déroule et un milicien tombe sous les balles britanniques. Les miliciens se sauvent rapidement. Cette intervention rapide et musclée du gouvernement ramène les miliciens à la raison et les 2000 conscrits sont rapidement recrutés.
Le clergé en profite pour inciter le peuple à se rappeler leurs ancêtres qui étaient "toujours prêts à voler au combat contre les ennemis de leur roi: tenant, comme les juifs, une main à la charrue qui les nourrit et l'autre à l'épée pour défendre le pays". Le clergé rappelle que les miliciens ont à défendre leurs biens et leur liberté, à soutenir leur bonheur et à préserver l'honneur de leurs filles et de leurs épouses et à sauver l'honneur de leur religion. Les curés soutenaient que les miliciens qui ont la conscience pure n'ont pas à craindre la mort et que "le champ d'honneur où l'on périrait ne serait que l'escabeau qui ferait monter au trône éternel".
En septembre 1812, la guerre se poursuit et les miliciens doivent servir pour une période de deux. On décide de faire une autre levée de miliciens pour créer dans la région de Montréal le Cinquième Bataillon de la milice d'élite et Incorporée. Ce bataillon portera bientôt le surnom de Devil's Own ou Brigades des Diables parce que plusieurs des officiers étaient des avocats. En février 1813, on lève le Sixième Bataillon pour maintenir la garnison de la ville de Québec.
Le gouvernement va procéder à deux autres grandes conscription durant la guerre de 1812. En janvier 1813, 2108 miliciens sont conscrits et en janvier 1814, 1922 miliciens. Durant les 30 mois de guerre, 8,430 miliciens sédentaires vont être appelés sous les drapeaux. 6493 miliciens vont effectivement joindre les rangs de leur bataillon actif. De ce nombre, 1,321 miliciens vont à un moment ou un autre déserter ou s'absenter sans permission. Ce phénomène va entraîner les journaux dans une campagne de propagande pour encourager les miliciens à ne pas déserter.
Dans la Gazette de Montréal de juillet 1812, le capitaine Pierre Cheval adresse une lettre à son fils, un caporal dans le Troisième Bataillon de la Milice d'élite et incorporée. Il lui écrit: "Je te conjure, par la tendresse paternelle que je te porte, de ne pas me causer le chagrin d'apprendre que tu sois complice directement ou indirectement d'une désertion. Ton unique et essentiel esprit de parti et l'obéissance aux volontés du gouvernement. J'aime mieux apprendre que tu restes seul avec tes officiers que de te voir arriver en déserteur". Pierre Cheval déclare que si son fils désertait, il le livrerait personnellement aux autorités militaires.
En septembre 1812, c'est Marie Amable Normandin Maillet qui fait publier une lettre à son fils Joseph:

"Je pense que tu n'auras pas la bassesse de déserter ou de t'opposer à la loi et aux autres autorités qui t'obligent à rester sans murmurer. Je t'avertis de ne pas mettre les pieds à la maison afin que je n'aie pas la douleur de voir devant moi un enfant rebel aux ordres de sa mère et à ceux de son Roi".

C'est dans le journal Le Spectateur de janvier 1813 que l'on apprend les malheurs d'un soldat déserteur. Celui-ci n'aimant pas la vie militaire se cache jusqu'à ce que son bataillon quitte la ville. Il ne tarde pas à se présenter devant sa fiancée qui le reçoit avec froideur. Après avoir été expulsé par le père de sa fiancée, il revient de nouveau devant sa dulcinée qui lui déclare:
"Va, retire-toi: je ne veux jamais avoir d'enfants coupables de deux péchés originels. Nous sommes bien certains de la rémission par le baptême du premier: mais je questionne si l'empreinte du dernier n'est pas ineffaçable. Enfin, va-t-en plus loin, car je ne veux pas être une femme ni mère de lâches. Ainsi, porte ta fortune brillante ailleurs et je continuerai mon métier en lavant ma lessive".

Malgré quelques problèmes de parcours, l'utilisation de la milice du Bas-Canada s'est soldée par un succès retentissant. La province a su repousser l'envahisseur. Comme nous avons pu le montrer, la participation des Canadiens-français a dû être encouragée par une propagande de tout instant. Le clergé, le gouvernement et les journaux n'ont pas laissé les miliciens oublier leur mission "La défense de la Patrie".
Copyright: Luc Lépine

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Luc Lépine est historien militaire. Il détient une maîtrise en histoire de l'université de Montréal et prépare un PH.D en histoire à l'Université de Québec à Montréal. Il a par ailleurs étudié durant deux ans au Royal Military College de Kingston. Il est présentement archiviste référencier aux Archives Nationales du Québec à Montréal.





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