PQ et souveraineté: passer aux actes

Sortir de l'impasse

Comment le Québec pourra-t-il sortir de cette impasse? Comment pourra-t-il aller jusqu’au bout de cette démarche d’affirmation et d’indépendance qu’il a entreprise au début de la Révolution tranquille et qu’il a poursuivie tant bien que mal jusqu’au référendum de 1995?

Vers la République québécoise

Dans la série "PASSER AUX ACTES"

L'action nationale - mars-avril 2005
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C’est une période décevante que nous traversons actuellement au Québec. Après des décennies de luttes, de réformes, de réalisations remarquables, qu’il s’agisse de la nationalisation de l’électricité, de la création du ministère de l’Éducation, ou tout simplement de la fondation du Parti québécois qui inscrivait l’indépendance à l’article premier de son programme, de la prise du pouvoir par ce Parti, qu’il s’agisse de la promulgation de la loi 101, de la tenue de deux référendums sur l’indépendance du Québec, et l’on pourrait allonger la liste considérablement, le Québec a connu dans la deuxième moitié du vingtième siècle un sursaut remarquable.
Mais depuis quelques années, on a l’impression que cette ardeur s’est évanouie, que le Québec cède à la perplexité et s’en remet passivement et aveuglément à la pression des événements qui s’exerce sur lui et décide de son avenir. Et le discours politique est d’une timidité invraisemblable, perplexe, démuni d’inspiration et d’ardeur, éclipsé par le discours gestionnaire.
Comment le Québec pourra-t-il sortir de cette impasse? Comment pourra-t-il aller jusqu’au bout de cette démarche d’affirmation et d’indépendance qu’il a entreprise au début de la Révolution tranquille et qu’il a poursuivie tant bien que mal jusqu’au référendum de 1995?
Notre situation n’est pas facile, car pour faire l’indépendance politique, il faut une certaine indépendance psychologique. Or, le Québec a été dominé pendant deux siècles, il a perdu le sens de l’autonomie. Le « fédéralisme » canadien nous a enlevé notre indépendance psychologique, il a maintenu le citoyen dans un état de dépendance extérieure et intérieure. Le Québécois a été profondément blessé par « l’autre », occupé dans son économie, dans son gouvernement, occupé surtout dans son esprit, dans sa tête. Il ne se sent pas capable de s’affirmer. Seule l’indépendance pourrait le libérer, mais comment faire l’indépendance quand on ne peut agir de façon autonome? On devrait dire que l’indépendance politique suppose l’indépendance psychologique, et que si cette dernière n’existe pas, l’autre n’est qu’une forme d’imposture.
Il faut prendre bien conscience du sort que l’histoire nous a réservé. Dans l’histoire du Québec, la force a joué un rôle de premier plan. C’est elle qui a décidé du sort des Canadiens en 1760. C’est elle qui a mis fin aux luttes parlementaires en 1837-1838, et imposé l’Acte d’Union. C’est elle qui a imposé le rapatriement unilatéral de la Constitution, qu’on a appelé le coup de force de Trudeau… Un peuple qui subit année après année le joug de la force finit par douter de son droit et par assimiler la force au droit. Ou il finit par croire que le droit n’existe plus pour lui, et il se résigne à l’arbitraire. Ce qui est a toujours un poids plus grand que ce qui pourrait être, ou ce qui aurait pu être.
Pourtant, au lendemain de Meech, les Québécois étaient prêts à faire l’indépendance, et ils auraient fait le pas s’ils n’avaient pas été leurrés par leur premier ministre Robert Bourassa. Ils auraient probablement voté oui au référendum de 1980 s’ils n’avaient été leurrés par Pierre Elliott Trudeau. En 1995, le référendum a probablement été volé et son résultat a certainement été faussé par la violation des lois du Québec et du Canada sur la tenue des grandes opérations démocratiques. Le peuple québécois est certes hésitant, perplexe, il reste que dans les moments stratégiques, il a fait preuve de plus de maturité que ses dirigeants.
Mais les moments stratégiques passés, il cède à l’insouciance, il regarde passer le train, il attend que ça change, il pratique un « je-m’en-foutisme » qui frise l’inconscience. Pierre Vadeboncoeur parlait d’un « sentiment d’identité qui nous perdra s’il ne nous sauve » (1). C’est-à-dire que l’attachement à une forme d’indépendance, notre légèreté, notre anarchisme, notre souci de suivre nos caprices, notre refus de nous soumettre à des normes, de nous discipliner, tout cela qu’avait déjà reconnu Charlevoix chez les Canadiens, finira par nous perdre si nous ne nous décidons pas à nous occuper de nos affaires.
C’est tout cela qui explique que nous supportons les insultes, les vexations, les injustices avec une résignation qui confine à la bêtise. La plupart des Québécois ne pensent plus à l’affront qu’a été pour eux le rapatriement unilatéral de la Constitution. Ils oublient le mépris que le reste du Canada leur a manifesté lors du refus des Accords du Lac Meech. D’autres ont « rationalisé » tout cela, se sont résignés en soutenant que l’esprit de revendication n’est que le fruit du ressentiment. Et je pense à l’affaire Michaud qui n’aurait jamais été une « Affaire » si, comme communauté nationale, nous avions réagi sainement et librement aux prétentions et aux frustrations d’un petit groupe d’activistes sans scrupules qui tablaient sur le complexe de culpabilité des Québécois. Même l’Assemblée nationale et différentes personnes engagées en politique ne pouvaient pardonner à Yves Michaud d’avoir, comme l’écrit Fernand Couturier, « transgressé la tenue d’usage du discours politiquement correct » (2). Depuis deux siècles et demi, nous sommes victimes de l’ostracisme du Canada anglais qui nous a imposé l’Union, la Confédération, le rapatriement unilatéral de la Constitution, la Charte des droits, etc., et quand il s’agit pour nous de faire un geste en notre faveur, nous nous perdons dans toutes sortes de scrupules. À l’automne 2004, le débat sur le prochain référendum s’est fait dans un climat de crainte, de précautions, qui prenait la forme d’une casuistique d’une susceptibilité maladive. Il ne s’agissait pas de nous, il ne s’agissait pas d’être nous-mêmes, il s’agissait surtout, dans cette démarche, de nous faire accepter par les autres, de ne pas leur déplaire! Le souci du respect des règles de la démocratie est noble, mais il devient négatif s’il cache une indécision et une timidité mal placées, et nos adversaires n’hésitent pas à l’exploiter pour nous empêcher d’agir, pour nous maintenir dans la sujétion.
C’est cette indécision et cette timidité qui expliquent chez le peuple québécois la banalisation de l’oppression constante à laquelle il est soumis. On tente de s’accommoder de la situation. On fait comme si tout était normal, comme si les inconvénients de notre situation d’infériorité finiraient par s’effacer d’eux-mêmes. Bergson disait: l’esclave est souvent le principal adversaire de sa libération. On pourrait affirmer que le colonisé est souvent le premier défenseur de son état de sujétion, parce qu’il s’y est habitué, parce qu’il ne peut plus s’en passer, parce qu’il serait dans une grande insécurité s’il n’était plus porté par le système qui l’exploite. C’est pourquoi le colonisé québécois encaisse les insultes, le mépris, les vexations, les injustices, avec une patience déconcertante. Ce n’est pas si grave! Il ne faut pas exagérer! Il ne faut pas tomber dans le fanatisme! Il ne faut pas écouter les nationalistes durs! À force de dépendre des autres, d’être gouvernés par les autres, on ne veut plus se prendre en main.
Il est vrai qu’il est dur de toujours se battre, de dénoncer les injustices, de reprendre toujours le même combat. On ne dira jamais assez ce que notre condition de peuple colonisé entraîne sur le plan moral et psychologique. Ne pouvant changer une situation dégradante, on tente de s’en accommoder. On encaisse. Prenons l’exemple du rapatriement unilatéral de la Constitution en 1982. Il est une insulte aux Québécois, une injustice, une imposture, une trahison. Un acte contraire à l’esprit et aux règles de la démocratie dont on se réclame. Ce qu’il était en 1982, il le demeure. Mais beaucoup de gens disent: il faut arrêter de se lamenter, il ne faut pas cultiver du ressentiment, il faut passer à autre chose. Ce n’est pas seulement de la résignation, c’est de la capitulation.
On pourrait présenter la situation autrement. Ce qui rend la cause de l’indépendance si difficile aux Québécois, c’est qu’ils vivent dans l’immédiat, sans se soucier du futur, de ce qui arrivera demain, de ce qui s’est passé hier, ou avant-hier. Ils ne se soucient pas des conséquences de leurs actes. Ils ne se soucient pas de ce qui arrivera du Québec si le Fédéral continue à intervenir dans le champ des juridictions provinciales. Ils ne pensent pas à ce qu’aurait pu être Mirabel si on s’était préoccupé de son développement. Ils ne s’imaginent pas ce que serait le Québec si on n’avait pas voté la loi 101.Ils n’imaginent pas ce qui arrivera si on laisse Ottawa cisailler indéfiniment cette même loi 101. C’est pourquoi ils se contentent du statu quo. Ils ne s’aperçoivent pas que pendant qu’ils dorment, la terre leur glisse sous les pieds. Ils ne s’aperçoivent pas que d’autres sont en train de prendre leur place. Françoise Naduwimana écrivait, il n’y a pas si longtemps: « Les Québécois sont tellement tolérants qu’ils en arrivent au point où ils se renient « pour s’accommoder aux immigrants » (3). De son côté, Fatima Houda-Pépin, à propos de la diversité religieuse du Québec affirmait: « Pourquoi devons-nous, comme majorité, effacer les symboles de notre propre religion des espaces publics, quand on nous exige de faire de la place aux autres religions? » (4) La réponse à cette question est très simple. Notre histoire a été vécue depuis deux siècles et demi comme un processus de négation de nous-mêmes. Ce processus nous l’avons intériorisé, il influence notre mentalité, nos comportements, notre vie, comme une maladie mortelle. Et ce processus, il arrive à son terme, à moins que…
Nous n’avons pas le choix, nous ne pouvons plus nous contenter de nous laisser vivre, de nous en remettre aux autres. Doris Lussier écrivait en 1988: « Seule l’indépendance peut nous faire passer de la pathologie à la normalité. Seule l’indépendance nous permettra de prendre les mesures radicales de redressement qu’exige la dégradation actuelle de notre état. Il faut le dire carrément au peuple québécois, et le lui redire: c’est l’indépendance ou la mort » (5). Pierre Vadeboncoeur n’est pas moins radical; « Je dis que désormais la réalité des choses nous met, comme peuple, dans une nécessité si rigoureuse qu’il n’y a plus de place, dans les choix qu’il doit faire, pour une décision qui ne serait pas radicale. » Et plus loin il précise: « Il y a ceci de tout à fait nouveau: langue, culture, liberté et pouvoir sont aujourd’hui absolument indissociables. Il n’y aura un jour ici de langue et de culture française, de liberté et de pouvoir, que munis de toute la force politique à laquelle nous puissions prétendre » (6). L’indépendance n’est plus une option entre autres, elle est pour nous une question de vie ou de mort. Sans l’indépendance, la Révolution tranquille aura avorté, le peuple québécois sera radié de l’histoire.
La Révolution tranquille a été la démarche historique d’un peuple qui, après deux siècles de survie patiente et souvent douloureuse, décidait de se prendre en main et d’assumer son destin. Cette opération devait normalement déboucher sur l’indépendance, mais il n’est que trop évident que les Québécois hésitent à faire le pas décisif. Par ailleurs, après le rapatriement unilatéral de la Constitution, et on ne sait combien de Meech, de Calgary et de débats stériles, il est plus qu’évident que le Canada ne peut se renouveler pour reconnaître au Québec un statut honorable dans un Canada décentralisé.
Que des gens d’Ottawa soient figés dans cette formule institutionnelle anachronique, on le comprend jusqu’à un certain point, car elle sert leurs intérêts immédiats. Mais que le Québec trahisse l’impulsion qui inspira la Révolution tranquille, que deux fois de suite dans des référendums il se dise non à lui-même, qu’il n’arrive pas à aller jusqu’au bout de ses idées et des ses aspirations, c’est un fait consternant dont il faut prendre conscience si on veut le dépasser.
Au point où nous en sommes, il ne s’agit plus de discuter, de parler de l’indépendance et du fédéralisme, il ne s’agit pas d’un débat mais d’une bataille à livrer. L’indépendance n’est pas un sujet de recherche pour intellectuels. Elle n’est pas un problème de gestion. Elle est un problème politique. Elle relève d’une vision de l’avenir. La politique, c’est un programme, une volonté que l’on propose et que l’on défend. On ne peut remanier l’option indépendantiste pour s’adapter aux humeurs de la foule. De Gaulle disait: « On ne fait pas une politique en suivant l’opinion publique ». On ne fera pas l’indépendance en se guidant sur les sondages.
Le Parti qui veut réaliser l’indépendance doit la porter dans un discours politique, il doit la faire advenir, en quelque sorte, dans un discours qui engage le peuple québécois, et le rend en quelque sorte indépendant dans son esprit, dans sa volonté.
Dans le Canada actuel, le fédéralisme est un fait. Il est de l’ordre de la réalité. L’indépendance du Québec est une idée, une possibilité, une fiction.
Le fait exerce toujours une suprématie sur la pensée. Il s’impose naturellement, et les faits les plus sordides finissent par apparaître comme normaux, comme la réalité inéluctable. C’est ce qui explique que les régimes les plus hideux, les plus atroces, sont tolérés, supportés, et même adulés. Le fait a un poids d’être que la fiction n’a pas. Le réel a toujours plus de poids que l’irréel, à moins que…
À moins que l’idée soit portée par un discours qui lui-même devient un fait, un fait tellement fort qu’il concurrence la réalité, qu’il devient la réalité. Le rôle du discours, c’est de mettre la réalité en question, de faire voir une autre réalité possible, de la faire advenir.
Le lieu actuel de l’indépendance n’est pas le fait, mais l’idée, le discours. Il faut que ce dernier soit tellement fort qu’il apparaisse comme la réalité, qu’il soit la réalité, qu’il la remplace. Autrement dit, il faut que l’idée d’indépendance passe dans les faits par le moyen du discours.
Cette opération n’est pas facile mais elle est emballante, si on s’y met. Elle est emballante parce qu’à une réalité figée, elle oppose la vie, le renouveau. Le fédéralisme actuel est figé, il maintient le statu quo, il veut conserver les acquis, arrêter le changement. Faire l’indépendance, c’est choisir le risque, l’inconnu, l’aventure. C’est choisir la vie, la liberté. Le discours sur l’indépendance doit être le lieu de cette vie, de cette réalité. Malheureusement, actuellement, ce discours est très faible, titubant, timoré. Il n’arrive pas à s’imposer comme un fait inéluctable. Le fédéralisme a toute l’autorité du fait, il est omniprésent dans les médias, dans les institutions.
On pourrait décrire la situation autrement. On peut dire que si l’on veut que l’idée d’indépendance passe dans la réalité, il faut d’abord qu’elle existe dans le discours. Il faut ensuite que ce discours devienne un fait et qu’il se substitue au discours fédéraliste. Quand cette opération sera effectuée, l’indépendance sera à la portée de la main.
Au début de novembre 2004, on a annoncé le dernier vol de passagers à Mirabel. En 1967, Pierre Elliott Trudeau avait présenté cet aéroport comme le projet du siècle. Mirabel deviendrait la porte d’entrée de l’Amérique du Nord. On prévoyait que Mirabel accueillerait quarante millions de visiteurs en l’an 2000. Pour réaliser cet exploit, il avait fallu exproprier 3000 familles, soit 10 000 personnes, détourner de leur affectation 40 000 hectares de terres arables les plus productives du Québec. Comment expliquer le fiasco que nous connaissons aujourd’hui? Il est clair que quelqu’un quelque part a fait obstacle au développement de Mirabel. Il était prévu initialement de construire l’autoroute 13 vers Montréal et la 50 vers Ottawa. Rien n’a été fait. (Au moment où je mets la dernière main à ce texte, mi-février 2005, on annonce la construction de l’autoroute 50. On peut procéder, Mirabel est fermé!). Il est évident que Mirabel a été sacrifié à l’aéroport de Toronto avec la bénédiction d’Ottawa et l’indifférence de Québec. La fermeture de Mirabel, c’est une nouvelle étape vers la réduction de Montréal à l’état de succursale de Toronto. « La fermeture de Mirabel, dit le maire de Mirabel, c’est très humiliant, parce que ça démontre qu’il n’y a pas de place au Québec pour un aéroport international et qu’on est devenu une filiale de Toronto en matière de transport aérien. Et c’est triste de voir que ce sont les politiciens québécois qui ont pris cette décision » (7).
Ce qui est révoltant dans toute cette affaire, c’est bien sûr les manigances d’Air Canada, l’obstruction pratiquée par Toronto au développement de Montréal. Il semble bien que Trudeau voulait sincèrement faire de Mirabel un grand aéroport international, mais il est assez évident que Toronto lui a imposé de modérer ses transports. On l’a vu en d’autres occasions, mais l’exemple est ici patent, ce n’est pas Ottawa qui décide au Canada, dans certains domaines, mais Toronto. Ottawa, comme Montréal, mais à un moindre titre peut-être que Montréal, n’est qu’une succursale de Toronto. Tout cela est odieux et révoltant, mais ce qui, pour moi, l’est encore davantage, c’est la passivité, le laisser-faire du gouvernement du Québec devant ces spoliations flagrantes. C’est la timidité, la faiblesse du discours politique sensé porter le destin du Québec. On prétend qu’on veut un pays, mais on assiste indifférent au saccage des ressources de ce pays, à l’opposition systématique qui est faite à ses tentatives et à ses projets de développement. Parler d’indépendance et laisser démanteler Mirabel, laisser bousiller une entreprise comme Mirabel, c’est perdre toute crédibilité et démoraliser les citoyens qui comptent sur leurs gouvernants pour défendre leur cause. Il y a des années qu’on annonce que Mirabel est condamné, abandonné. Ce qui est arrivé récemment était prévisible, bien plus, visible depuis des décennies, et le gouvernement du Québec est resté à peu près inactif et silencieux. Il y avait là une bataille à livrer. La bataille de l’autonomie, de l’indépendance. Notre gouvernement aurait eu tout le Québec derrière lui s’il s’était vraiment engagé dans une guerre contre l’impérialisme torontois. Les spoliés de Mirabel n’auraient pas connu l’expérience qu’ils ont connue d’être abandonnés par leurs concitoyens, par leurs gouvernants. Le combat pour l’indépendance aurait signifié quelque chose. On n’aurait pas pu l’assimiler à du verbiage, à de simples croisades nostalgiques.
Je parle de Mirabel. Je pense à la Bourse de Montréal qu’on a regardée partir pour Toronto sans déranger personne. Je pense aux commandites dont on ne dénonce que le côté des malversations commises par les politiciens fédéraux en oubliant que l’opération était essentiellement montée contre la volonté d’indépendance du Québec, au grand mépris des règles fondamentales de la démocratie, du droit des gens, du droit des Québécois de décider de leur destin. Je pense au rapatriement de la Constitution auquel on s’est résigné platement et dont on fait tout pour oublier l’odieux arbitraire. On pourrait allonger indéfiniment la liste. Ce que je veux montrer, c’est que le discours politique de l’indépendance, que l’action politique des militants pour l’indépendance n’assument pas la situation d’injustice dans laquelle nous sommes enchaînés. Et c’est pourquoi la cause de l’indépendance stagne, c’est pourquoi l’indépendance ne se fait pas, et elle ne se fera jamais si nous n’arrivons pas à relever les défis que la réalité nous impose, si nous nous résignons à l’injustice, si nous nous laissons tondre comme des moutons, si nous nous contentons de nous replier sur la routine quotidienne pendant que le temps passe.
Sortirons-nous de ce cul-de-sac? Échapperons-nous au faux confort de la résignation? Le grand écrivain allemand Hermann Broch fait dire à Virgile: «Dans le sentiment de la victoire, les masses se sondent pour faire un peuple». Or, nous n’avons connu que des défaites. Le sentiment de la défaite use, dégrade, fait perdre la confiance en soi. Nous ne retrouverons le sens de la dignité que lorsque nous aurons réalisé la grande oeuvre de l’indépendance. Sinon, nous continuerons à nous comporter comme des vaincus, des minoritaires qui seront toujours à quémander le droit d’exister.
Tant que l’indépendance n’est pas faite, elle reste à faire, comme disait Gaston Miron. Tant que l’indépendance n’est pas faite, la Révolution tranquille est inachevée. Tant que la Révolution tranquille n’est pas achevée, nous ne sortons pas de l’époque de la survivance, nous subissons les accidents de l’histoire au lieu de faire notre histoire. Tant que la Révolution tranquille n’est pas achevée, le Québec reste une minorité dans le Canada, relégué dans la marge de l’histoire.
Quand le peuple québécois sera indépendant, il aura l’impression de sortir de l’adolescence« pour entrer dans la vie adulte, ou encore de s’éveiller après une longue hibernation.
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1. Pierre Vadeboncoeur, Indépendances, L’Hexagone Parti Pris, 1972, p.47.

2. Fernand Couturier, Un peuple et sa langue, Essai de philosophie du langage et de l’histoire pour l’avenir du Québec, Québec, Fondation littéraire Fleur de Lys, 2004, p. 228.

3. Françoise Nduwimana, « L’incroyable ambivalence québécoise », Le Devoir, 24 décembre, 2002.
4. Fatima Houda-Pépin, « Ouvrir à tous temples et églises », Le Devoir, 9 juin 2003.

5. Doris Lussier, « C’est l’indépendance ou… la Louisiane », Le Devoir, 23 juillet, 1988.

6. Pierre Vadeboncoeur, Gouverner ou disparaître, Typo, 1993, p. 129, 134-135.

7. Cité par Brian Myles, « Le rêve évanoui. Plus de 1200 employés de Mirabel s’embarquent pour Dorval, 160 autres se retrouvent sans emploi », Le Devoir, 1 novembre 2004.


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