Retour à l’avant-scène fracassant de l’enjeu linguistique

Sortez vos carrés bleus !

Renoncer à être ce que nous sommes pour les laisser être ce qu’ils sont ?

Chronique de Richard Le Hir

Derrière l’attentat du Métropolis se cache une lutte qui dure depuis 1763 et qui a connu des fortunes diverses.
Dès les débuts de leur administration, les Anglais lâchent du leste, s’étant rendus compte, par l’entremise de leur gouverneur Guy Carleton (qui aurait pu donner des leçons de Realpolitik à Bismarck), qu’ils seraient incapables de maintenir leur emprise sur leur conquête sans la collaboration de nos ancêtres, les « Abitants ».
En 1774, ils adoptent donc l’Acte de Québec qui, s’il ne contient aucune disposition linguistique, accorde entre autres de façon implicite aux Canadiens de langue française le droit d’utiliser le français dans la pratique de leur religion et dans les cours de justice pour les affaires civiles, par le jeu de l’article 8. http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/amnord/cndconst_ActedeQuebec_1774.htm.
C’est le début d’une longue liste de concessions (oui, vous avez bien lu) qui vont éventuellement mener à l’adoption de la Loi fédérale sur les langues officielles en 1968, à la Loi 101 au Québec en 1976, et à la constitutionnalisation du bilinguisme au niveau fédéral en1982.
Ces gains n’ont pu être réalisés qu’au prix de luttes acharnées qui ont opposé francophones et anglophones du Québec, l’enjeu étant pour les premiers la survie de leur langue et de leur culture, et pour les seconds la conservation des prérogatives de leur conquête.
Mon but ici n’étant pas de donner un cours d’histoire, je renvois ceux qui auraient besoin de se rafraîchir la mémoire ou de mettre à niveau leurs connaissances aux nombreux écrits sur le sujet.
Je soulignerai toutefois qu’en cours de route, les Canadiens français du Québec se sont rendus compte que la préservation de leur langue et de leur culture passait inévitablement par la création d’un État dont ils seraient les seuls maîtres, et c’est à partir de la fin des années 1950 avec d’abord l’Alliance Laurentienne, puis ensuite avec le Rassemblement de l’Indépendance Nationale (RIN), que l’avenir de la langue et de la culture françaises se retrouve lié politiquement avec le projet d’indépendance du Québec.
C’est une évolution majeure, car elle provoquera un schisme dans nos élites, entre celles qui souscrivent d’emblée au projet d’indépendance et celles dont les intérêts économiques sont liés au projet canadien.
Les secondes en ont toujours voulu aux premières de les avoir placées devant ce choix et continuent encore aujourd’hui à tenter de miner leurs efforts pour atteindre leur but, avec une agressivité qui dépasse même parfois en intensité celle des anglophones qui s’estiment menacés par le projet indépendantiste, pour les mêmes raisons que les francophones se sentent menacés par le projet canadien.
Et c’est là que l’enjeu linguistique refait surface de la façon fracassante dont nous avons tous été les témoins atterrés mardi soir dernier.
Il ne suffit que quelques minutes de navigation sur Internet à une personne qui sait bien utiliser Google pour découvrir tout le ressentiment – et le mot est faible – que suscite chez nos compatriotes anglophones l’intention exprimée par Pauline Marois de resserrer les dispositions de la Loi 101 suite aux nombreuses décisions de la Cour suprême qui en ont restreint la portée et aux nombreux assouplissements consentis par le PLQ depuis son adoption.
À cet effet, voici quelques spécimens qui apparaissent dans un article intitulé « Fusillade au Métropolis : un tsunami de haine contre Pauline Marois »




Et je me suis abstenu d’inclure les pires par souci de ménager votre sensibilité.
Sentant la soupe chaude, le Commissaire fédéral aux langues officielles, Graham Fraser, un ancien journaliste qui connaît pourtant très bien le Québec et qui devrait pourtant savoir qu’il avance en terrain miné, ne prend même pas le temps de voir ce que le PQ, minoritaire donc limité dans ses moyens, aura à proposer en matière linguistique, pour voler au secours de la minorité anglophone du Québec qui, comme chacun sait, est l’une des plus persécutées du monde http://www.lapresse.ca/actualites/quebec-canada/national/201209/07/01-4572176-le-commissaire-aux-langues-officielles-garde-un-oeil-sur-le-pq.php !
Pour être bien certain de se faire comprendre, il sort de son arsenal l’arme ultime, la Charte canadienne des droits et libertés, contenue dans la Constitution de 1982. Cette dernière précision n’est pas inutile car aucun gouvernement du Québec n’a jugé bon de ratifier la Constitution de 1982 depuis son adoption, ni celui de Robert Bourassa (PLQ), ni celui de Daniel Johnson fils (PLQ), ni celui de Jacques Parizeau (PQ), ni celui de Lucien Bouchard (PQ), ni celui de Bernard Landry (PQ), ni même celui de Jean Charest (PQ).
S’il ne faut se fier qu’à cette unanimité parfaite qu’ont affichée tous les gouvernements du Québec tous partis confondus depuis 1982, aucun texte juridique n’est moins légitime au Québec que la Constitution de 1982. Il faudra s’en souvenir le moment venu.
Ce refus de ratifier la Constitution de 1982 trouve sa justification dans l’incompatibilité de la survie du peuple québécois, de sa langue et de sa culture avec ses termes. Ratifier la Constitution de 1982 équivaut pour les Québécois à renoncer à être ce qu’ils sont pour permettre à tous les autres d’être ce qu’ils sont.
Si vous en doutez un seul instant, regardez de quelle façon la Cour suprême et le PLQ ont cherché à ratatiner notre identité culturelle à coups d’« accommodements raisonnables » et de concessions diverses, au point que nous en sommes même venus à un cheveu de perdre le droit de parler d’un arbre de Noël et de pouvoir afficher les mots Joyeux Noêl dans un édifice public.
Je vous souligne en passant que le Québec est la seule province du Canada où la Cour Suprême du Canada ait appliqué la notion d’accommodements raisonnables à des questions identitaires ou culturelles. On notera au passage que cette notion avait été initialement développée en droit du travail pour favoriser l’insertion ou la réinsertion des personnes handicapées, et que son extension aux questions identitaires et culturelles est tout ce qu’il y a de plus incongru.
Tout ceci se situe dans une longue série de décisions sur une trentaine d’années visant à déconnecter les Québécois de leurs racines pour n’en faire que des consommateurs dociles qui finiraient par se rallier éventuellement à la langue internationale de la consommation, l’anglais, qui se trouve également à être la langue de la majorité canadienne.
L’attentat du Métropolis se trouve donc à poser comme jamais pour les Québécois la question de leur existence et de leur survie en tant que peuple. Se plier aux diktats de la Cour suprême, de Paul Desmarais et de La Presse comme le montre encore une fois aujourd’hui un éditorial d’André Pratte http://www.vigile.net/M-Harper-doit-dire-non nous mène tout droit à l’extinction, ce n’est qu’une question de temps.
Pour nous amener à plier, on est désormais disposé à employer les grands moyens. Hier, l’historien militaire et trudeau-iste bien connu au Canada anglais, Jack Granatstein, évoquait même la perspective d’une guerre civile, s’il faut en croire Yves Boisvert de La Presse :
« Les commentaires raisonnables sont malheureusement vite oubliés. Hier, dans le National Post, le grand historien militaire J.L. Granatstein a évoqué le spectre de la guerre civile en cas de sécession du Québec.
Granatstein parle des discours « acrimonieux » de Pauline Marois « qui se lisaient sans doute mieux dans leur allemand original ». Qu’un historien réputé associe Pauline Marois au nazisme est franchement dégueulasse et profondément malhonnête - même si je trouve pathétiques les gadgets identitaires du PQ.
Margaret Wente, dans le Globe and Mail, a parlé de « nettoyage ethnique moins le sang ». Une autre, avec moins de vocabulaire, parle dans le Calgary Herald du programme « raciste » du PQ. Words are cheap, et quand on parle du Québec, le bar à mépris est ouvert 24/7, faut pas se gêner. »

Avec des encouragements pareils qui émanent de membres éminents de l’intelligentsia du Canada anglais, faut-il se surprendre que les anglophones du Québec se sentent justifiés dans leurs pires débordements ?
Et, comme je le soulignais il y a quelques jours http://www.vigile.net/Pauline-Marois-visee, que dire du silence complaisant et racoleur du PLQ et de nos élites économiques et fédéralistes, prêts à tous les moyens pour remporter la bataille ultime ?
Et tant pis si le sang des innocents doit couler pour y parvenir. Des « dommages collatéraux », comme on dit en jargon militaire...
Les francophones du Québec n’ont plus le choix. Ils devront descendre dans la rue pour affirmer ce qu’ils sont et leur besoin de maîtriser tous les leviers de leur État.
Sortez vos carrés bleus !


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12 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    11 septembre 2012

    Monsieur Le Hir, un grand merci !! Je souhaite que
    votre contribution fasse taire les aliénés culturels
    qui croient encore et toujours que les "angryphones"
    ne sont pas si francophobes que ça. C'est plutôt le
    contraire qui est vrai !!
    Les "angryphones" veulent des Québécois-de-souche
    soumis-Z-et-silencieux, ne baragouinant qu'assez
    de saxon réducteur pour être de bons consommateurs
    aveugles pour leur "fun and profit". Et les moutons
    se sont laissés tondre une fois de trop.
    J'invite la SSJB et le MMF (entre autres) à ranger
    leurs claviers, à cibler ces commerçants "angryphones"
    où qu'ils se trouvent, et à faire respecter la LOI 101.
    C'est le moment 'sine qua non'.
    Claude Jodoin Ing.

  • Archives de Vigile Répondre

    10 septembre 2012

    Le Canada se comporte envers le Québec comme un mari qui bat sa femme pour ne pas qu'elle s'en aille.
    Fernand

  • Archives de Vigile Répondre

    9 septembre 2012

    La base c'est que non seulement les fédéralistes ne veulent pas de référendum mais en plus si jamais il y en avait un ,la règle du 50% plus 1 ne s'appliquent pas .
    Leur position ferme de ne pas vouloir de référendum ne laisse comme choix aux peuple québécois qu'une porte de sortie a notre droit d'avoir un pays et c'est de placer les fédéralistes devant l'autre alternative qui une déclaration unilatérale d'indépendance faite par notre Assemblée Nationale votée par une majorité de députés.
    Dans le cas d'une déclaration d'indépendance avec un gouvernement majoritaire ,je peut vous dire une chose sans me tromper monsieur Le Hir c'est que tout ce qui se promènent sur deux pattes dans le roc contre un référendum et a quattre pattes au Québec parmis les fédéralistes vont pédaler par en arrière a toute vitesse pour en exiger un.
    Nos fédéraliste québécois vont être prêt a se rendre a Ottawa pour sauter du haut de la tour de la paix au risque de sa casse les deux jambes pour avoir un référendum plutot qu'un vote majoritaire des députés de l'Assemblée Nationale sur une déclaration unilatérale d'indépendance.
    Je les entend déja vociférer,exiger et supplier d'avoir a la place la tenu d'un référendum.

  • Stefan Allinger Répondre

    9 septembre 2012


    Plusieurs personnes sur Vigile.net et ailleurs, ont dénoncé les propos haineux provenant du camp fédéraliste canadien.
    En lisant votre billet, ça m'a fait rappelé les livres que j'ai lu sur le Rwanda des années '90. Il y a avait là une radio Hutu, Radio Milles Collines, qui encourageait la haine entre les Tutsies et les Hutus. Lorsque le premier ministre Hutu est mort,la violence a déferlé sur le pays comme jamais et la Radio Milles Collines en est partiellement responsable. Que les médias mettent ça dans leur pipe et tirent un bon coup.
    Tous les francophones doivent être fières de parler notre langue partout au Québec et ce sans gêne. Faisons-le de façon pacifique et intelligente.
    L'écrivain Danny Laférière a dit un jour qu'il vallait mieux être vivant que mort, en parlant de la violence en Haiti. Si ton adversaire veut te tuer, soit intelligent et trouve le moyen de rester en vie.
    Stefan Allinger

  • Archives de Vigile Répondre

    9 septembre 2012

    Quoi que l'on dise ou qu'on que l'on fasse, une donnée est irréversible c'est que le poids démographique des Québécois de langue française diminue tant au Canada qu'au Québec et cela est un élément fondamental dans l'imposition du français. Ou bien on impose par nos lois actuelles notre langue aux immigrants, ou bien on se sépare ou bien on fait des enfants en masse.
    Le reste c'est de la boullie pour les chats.

  • Archives de Vigile Répondre

    9 septembre 2012

    Monsieur Le Hir
    J'ai lu et relu votre texte avec beaucoup de plaisir et d'attention. Je suis content que vous abordiez le sujet de la constitution de 1982, ce rapatriement sans l'accord du Québec et sans référendum pour le valider. Le gouvernement péquiste de l'époque ne pouvait avoir une aussi belle occasion de claquer la porte pour sortir de ce merdier fédéraliste. Lévesque n'avait qu'à déclarer unilatéralement l'indépendance du Québec, suivie par l'élaboration d'une constitution québécoise et nous serions, aujourd'hui, un pays libre. Ottawa n'aurait pu rien faire même s'il avait porté plainte auprès d'un organisme international puisque ce geste était illégal.
    Même occasion ratée en 1990 suite à l'échec du lac Meech. Bourassa, avec l'appui des Québécois et sans référendum, aurait pu lui aussi déclarer unilatéralement l'indépendance du Québec comme Lévesque en 1982 mais il a abdiqué en fédéraliste mou. Autre belle occasion ratée pour le pays du Québec! Incroyable comme cette confusion identitaire nous a joué de vilains tours combinée avec cette impuissance des premiers ministres québécois de l'époque. Quelle mollesse! Quel manque de leadership!
    Quand le PQ va-t-il comprendre qu'un référendum au Québec, c'est perdant? Surtout avec toute cette immigration massive qui entre au Québec comme dans une passoire. Parlons-en de l'immigration, je suis quasiment un des seuls avec monsieur Jacques Noël qui osons en parler sur Vigile comme si ce sujet était tabou. L'île de Montréal, suite aux dernières élections, a voté en grande majorité pour le PLQ avec l'aide ses anglos du West Island et des immigrants. Ça c'est une réalité! Il faut cesser de jouer à l'autruche; nous perdons de plus en plus de terrain au Québec et notre langue est menacée plus que jamais. L'heure est aux grandes mesures et j'ai bien hâte de voir ce que fera Marois avec sa gouvernance souverainiste (hic). Je crois sérieusement comme vous qu'il va falloir que les Québécois sortent rapidement leurs carrés bleus. Bon texte monsieur Le Hir!
    André Gignac 9/9/12

  • Archives de Vigile Répondre

    9 septembre 2012

    Bel exemple de manque de savoir vivre de certaines personnes. Je n'en reviens pas !

  • Archives de Vigile Répondre

    9 septembre 2012

    On ne peut pas empêcher certains Québécois d’aimer le Canada. Notre rôle n’est pas de les convaincre du contraire. Notre but est de gérer nous-mêmes les affaires de l’État. Nous voulons demeurer ce que nous sommes depuis des siècles, un peuple français qui protège sa langue, sa culture, son économie, ses institutions et sa démocratie. Il n’a rien de plus légitime. En n’ayant pas ratifié la Constitution canadienne de 1982, le Québec est en droit de voter ses lois, de percevoir ses impôts et de signer ses accords internationaux. Le réveil politique actuel pointe de plus en plus vers notre affranchissement et indépendance. Il est peut-être prématuré de sortir nos carrés bleus dans la rue!
    Marius MORIN

  • Archives de Vigile Répondre

    9 septembre 2012

    Dans la liste des PM qui n'ont pas signé la constitution, vous citez Jean Charest(PQ)... une coquille de votre part.
    Votre article devrait être lu par tous.

  • Archives de Vigile Répondre

    8 septembre 2012

    Quand je vois des noms à consonnances arabes, j'ai l'impression que la langue n'est pas le problême mais bien la laïcité, surtout après le passage de Tariq Ramadan et ses frères musulmans, j'ai bien peur que ces gens soient extrêmement dangereux.

  • Archives de Vigile Répondre

    8 septembre 2012

    Cette haine n'a jamais cessé depuis la conquête. Les exemples sont légion; qui n'a pas entendu parler de l'abruti qui sévit à CBC entre les périodes de hockey; payé par nous.
    À nous d'imposer le respect, avant de quitter cette colonie à tout jamais.

  • Archives de Vigile Répondre

    8 septembre 2012

    Le déferlement de haine à l'égard des québécois n'a pratiquement plus de limite dans une certaine presse anglophone. Et dire qu'en 1995, lors du «love-in» du dernier référendum, les anglos sont venus chanter dans les rues de Montréal leur amour des québécois.
    Les québécois devront comprendre, tôt ou tard, que l'avenir du Québec à l'intérieur du Canada n'a rien d'un avenir qui chante. Le Canada anglais ne veut de nous ni à l'intérieur, ni à l'extérieur du Canada. Leur rejet de ce que nous sommes a, avouons-le, quelque chose d'inquiétant.
    Jacques L. (Trois-Rivières)