... on se sentirait bien seuls en Wallonie, en France, au Québec, en Côte d'Ivoire, au Liban, au Rwanda, dans l'île Maurice, en Tunisie, à Verviers, à Liège...
Hier, j'ai rencontré Christophe Traisnel à Liège, à cette toute nouvelle gare de Liège renouant avec les gares d'antan malgré son architecture de demain et notamment avec un très bon restaurant (alors que tant d'autres gares d'Europe ne font plus que du fast-food, de Paris à Hambourg en passant par Bruxelles). Nous avons donc dîné ensemble (qui est le mot pour déjeuner dans ce centre parmi d'autres de la Francophonie qu'est la Wallonie).
Il faut dire aussi une chose, c'est que cette gare a été aussi rendue possible par des ingénieurs célèbres de Liège groupés dans le bureau Greisch dont les réalisations commencent à parsemer l'Europe et qui cultive en ses réalisations un sens de la beauté mise au service du public, on en a, internationalement, de multiples images
Quand vous venez en Europe allez à Liège, amis du Québec, c'est une ville fabuleuse comme l'est toute la Wallonie, car à Mons, à Tournai, à Namur, à Charleroi, au Borinage, en Ardenne, ce peuple seulement apparemment réduit, continue, comme le disait un écrivain, «à déployer ses miracles et ses fêtes».
La Puissance publique mérite d'être belle et coûteuse
Christophe Traisnel enseigne à l'université de Moncton - l'université de l'Acadie - et faisait un voyage d'études en Europe. La gare de Liège est un chef d'oeuvre de l'artiste catalan Calatrava. Qui a coûté cher et qui de ce fait a été fortement critiquée. Ne valait-il pas mieux que les chemins de fer investissent dans l'amélioration du confort pour les passagers? Mais en même temps Liège n'est pas une ville quelconque dans la Francophonie. Le TGV y passe et s'y arrête, les Liégeois se sont battus pour cela. Ils veulent que cette gare symbolise activement le renouveau liégeois qui s'appuie sur l'université, le port fluvial qui est le 3e d'Europe, sur l'aéroport qui est le 8e aréoport pour le fret en Europe. Hier, malgré la volonté de Mittal de laisser tomber la sidérurgie à chaud à Liège, on apprenait qu'un grand consultant parisien estimait, contrairement au milliardaire indien, qu'il est toujours possible d'y maintenir une sidérurgie indépendante qui sera rentable et performante, ce qui demandera des investissements publics et privés de 800 millions d'€ dans les cinq prochaines années à venir. Ils ne semblent pouvoir venir que de la volonté politique du gouvernement wallon, de tous les Wallons et on voudrait bien pour Liège que l'investissement se fasse. Liège comme n'importe qui en Wallonie devrait pouvoir se souvenir que la réforme de l'Etat va faire du gouvernement wallon le principal pouvoir politique en Wallonie, celui sur lequel on compte, autour duquel il faudra se mobiliser, ce qui implique de prendre ses distances avec la Belgique, non pour rompre d'autres solidarités mais pour entretenir celle qui est souvent - contrairement à ce que le snobisme mondialiste prétend - la plus difficile à vivre, la plus concrète, la plus ingrate, la plus authentique, la solidarité avec les gens d'ici. Alors, que les Liégeois cessent de prendre pour slogan pour la foire universelle de 2017 à l'organisation de laquelle ils sont candidats : «la Belgique invite le monde à Liège»! C'est avec la Wallonie qu'ils inviteront le monde à Liège et cela n'exclut pas les Flamands ni qui que ce soit de l'affaire.
La Puissance publique et les inoubliables réunions de Montréal
Je viens de parler de solidarité avec les gens d'ici, alors que je voulais commencer cette chronique en parlant du rayonnement de VIGILE, de la réalité que peut prendre la francophonie avec les technologies de l'information et de la communication (TIC), qui permettent - en principe sinon toujours en fait - de rendre plus puisante encore ce qui est appelé en français depuis le 18e siècle la Publicité. Pas la réclame. J'essaye de l'expliquer à mes étudiants du baccalauréat en éducation spécialisée, profession nouvelle qui doit conquérir la capacité d'écrire d'elle-même, car c'est l'une des conditions pour qu'elle rende compte face à la société du mandat que celle-ci lui donne de prendre en charge les plus fragilisés et qu'elle l'informe des fragilisés que cette société méconnaît. La démocratie - quand on la définit par la Publicité - on voit que ce n'est pas seulement une norme, une obligation mais réellement, sans se payer de mots, la puissance du peuple : Publicité sauvegarde du peuple est-il inscrit au fronton de l'Hôtel de Ville de Verviers, une ville qui fut en avance sur son temps à la fin du 18e siècle (avec Christophe Traisnel, j'y pense : ici à la gare de Liège nous sommes à 30 km de Verviers).
On définit la Publicité chez Habermas comme le fait de «faire un usage public de sa raison», ce que les Québécois viennent de donner en exemple au monde avec la question du droit d'inscription et la loi 78. Dans le cours que je donne aux éducateurs spécialisés, parlant de la Publicité, l'idée me vient soudain de donner, comme exemple de la puissance de rendre public, le discours de Montréal en juillet 1967. Il faut vraiment dire les choses, les publier. Après, on en débattra. Mon interlocuteur de Moncton me dit que l'identité d'un peuple ce n'est pas ce que l'on pourrait découvrir par mille enquêtes savantes, mais ce dont il discute, ce qui engendre les discussions les plus passionnées, voire violentes. L'identité n'est jamais figée, elle nous porte en avant. Elle nous fait sortir de nous-mêmes. Elle n'est pas fixe. Quoique liée à un lieu.
La Francophonie est un Monde dans le Monde
Il a été beaucoup question chez nous lors du 50e anniversaire de l'indépendance congolaise de l'assassinat du Premier ministre congolais en janvier 1961, quelques mois après l'indépendance. Ludo de Witte, excellent sociologue flamand, a pu montrer comment le roi Baudouin a réellement et gravement trempé dans cet assassinat.
Son article a été traduit en français par quelqu'un de la revue TOUDI et publié dans Le Soir en français et ensuite reproduit sur le site de TOUDI. L'autre jour on a été contacté par un collectif de l'île de la Réunion qui voulait payer le voyage en avion à Ludo de Witte, car ils avaient là-bas l'envie de l'entendre parler du Congo et de ses troubles sanglants depuis si longtemps. Il faut toujours publier, cette anecdote le démontre. Car je pense que les Réunionais n'auraient jamais été avisés de la réflexion de Ludo ni surtout de savoir comment le contacter sans cela. En rentrant au soir après la rencontre amicale à la gare de Liège, je chatte avec un ami africain de la Côté d'Ivoire et nous avons encore une fois parlé du Québec qu'il connaît, je ne dirais pas très bien, mais qu'il connaît. Comme tant d'autres Africains d'ailleurs. Et même si on doit sans doute regarder vers le sud au Québec, on y sait que Paris est une des quelques villes mondiales qui en sont comme autant de capitales. La solidarité avec les gens de l' «ici» n'en exclut pas d'autres, et au contraire elle les permet. Oui la Francophonie existe. C'est «un Monde dans le Monde» dit le Genevois Pascal Holenweg. Et il poursuit : «Français nous sommes donc par la langue et la culture, sans avoir besoin de l'être par le Droit et l'Etat. De langue et de culture française, nous ne sommes pas de la langue et de la culture du pouvoir de la France, mais de celle de tous ceux qui, de par le monde, usent de ces outils et de cette mémoire pour «dissoudre les monstres». La France n'est qu'un Etat, quand la francité est un monde - un monde dans le monde, un monde qui dépasse cet Etat et parfois le nie.»
Mais on doit cesser de l'idéaliser pour en prendre simplement conscience. Lorsque, il y a quelques mois d'ici, une catastrophe ferroviaire fit plusieurs morts du côté de Bruxelles, à la maison, on a reçu deux coups de fil, l'un du Québec, l'autre du Rwanda. En revanche, les médias en Wallonie n'ont pas encore fait tout ce qu'ils devraient pour bien prendre la mesure du soulèvement de Montréal. Aussi grande que soit l'Europe, elle peut être une sorte de repli sur soi. Certes, l'Espagne ou la Grèce (le Portugal, l'Italie avec ses séismes divers), peuvent bien nous inquiéter car ils inquiètent aussi le monde entier. Mais s'il y a les frères, les voisins, il y a aussi les cousins, ces êtres mystérieux à la fois étrangers et parents.
On les voit parfois si peu, sauf à de rares réunions de famille. Pourtant, on ne tiendrait pas le coup sans eux.
Si la Francophonie n'existait pas...
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
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1 commentaire
Archives de Vigile Répondre
4 juin 2012Bonjour, Monsieur Fontaine.
C'est toujours un plaisir de vous lire sur Vigile. Votre billet du samedi met en valeur des choses graves. Beaucoup de francophones, et surtout de Français, ont du mal à comprendre l'importance culturelle et politique de la Francophonie.
Quant à sa relevance économique, les Espagnols publient chaque année une grosse étude sur la partie du PIB que représente la langue. Tandis que la plupart de grandes sociétés françaises offrent à ses visiteurs étrangers, y compris ceux des pays francophones, des sites web... en anglais.
Malgré tout, vous avez raison. La Francophonie est un monde dans le monde. Un monde qui nous fait l'autre plus supportable. Et cette affirmation est aussi vraie pour beaucoup de gens que nous n'avons pas le français comme langue maternelle.
Merci pour vos chroniques et bon courage.
(Merci aussi pour les photos de la nouvelle gare de Liège. Elle est magnifique. Je l'avais connue il y a quelques années en travaux).