Sarkozy tente-t-il de «voiler» sa baisse de popularité?

Port de signes religieux



Faisant récemment quelques achats, je suis tombée sur un livre qui a tout de suite retenu mon attention. Sa couverture présentait une femme portant la burqa ou le niqab, vêtements portés par une minorité de femmes musulmanes. La burqa est un vêtement qui recouvre tout le corps et qui est pourvu d'un grillage au niveau des yeux. Le niqab couvre tout le visage, ne laissant qu'une fente pour les yeux.
Intriguée, j'ai acheté le livre tout en félicitant en pensée l'éditeur pour avoir réussi à me soutirer 20 $. Que ne savent-ils pas que le niqab est bon vendeur, qu'il fait les manchettes et que c'est un bon moyen de détourner l'attention! C'est aussi un excellent conducteur d'émotions et de peurs de toutes sortes.
Il y a quelques mois, les politiciens canadiens ont débattu du sujet, à savoir si le niqab et l'exercice du droit de vote étaient compatibles et s'il serait accepté lors de procédures judiciaires. Le sujet a fait l'objet de discussions un peu partout dans le monde, notamment au Québec, en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas et en Italie; le plus souvent, il fut manipulé par les politiciens de droite afin d'alimenter une fausse controverse.
La France
De façon tout à fait prévisible, la question a resurgi tout récemment, en France cette fois, un pays en pleine crise identitaire. Le président Nicolas Sarkozy en a fait ses choux gras dans l'espoir de détourner l'attention de sa baisse de popularité. Sous les applaudissements tapageurs de ses collègues parlementaires, il a déclaré: «Dans notre pays, nous ne pouvons pas accepter que les femmes soient prisonnières derrière un écran, coupées de toute vie sociale, déshéritées de toute identité [...] C'est un signe de soumission, un signe de rabaissement.»
Les politiciens savent trop bien qu'ils pourront aller chercher des votes en jouant de la peur auprès d'une population qui se sent de plus en plus vulnérable devant l'accroissement du nombre de musulmans. Ils savent aussi que cette population accueillera favorablement des lois qui, tout en semblant préserver leur identité, leur donnent un faux sens de sécurité. En 2004, les femmes musulmanes ont fait les frais de cette stratégie, alors qu'une loi interdisait le port du voile islamique dans les écoles publiques françaises.
Barack Obama
Le président américain Barack Obama a abordé ce sujet dans son discours prononcé au Caire, il y a deux semaines: «Il est essentiel que les pays de l'Occident se gardent d'empêcher leurs citoyens musulmans de pratiquer leur religion comme bon leur semble, par exemple en dictant aux femmes musulmanes la façon de se vêtir. Nous ne pouvons dissimuler une hostilité envers quelque religion que ce soit derrière le paravent d'un prétendu libéralisme.»
Et pour appuyer davantage, le président Obama a ajouté: «Laissez-moi vous dire qu'aux États-Unis, nous avons comme principe de ne pas dire aux gens comment se vêtir.»
Il a compris. Malheureusement, les personnes qui attaquent le niqab et la burqa sont celles que le sujet rend mal à l'aise: les journalistes, les politiciens, les intellectuels et les féministes. Sous prétexte de défendre la liberté d'opinion, ils rendent la haine légitime et génèrent exactement le contraire de ce qu'ils prétendent défendre. Il est ironique de constater qu'ils ne sont pas particulièrement bien disposés envers celles qu'ils prétendent défendre. En parlant au nom de ces femmes, ils présument de leur manque d'humanité et de leur statut d'idiotes à qui on peut parler, de qui on peut parler, mais jamais avec qui on peut parler.
Différentes raisons
Les femmes musulmanes se couvrent le visage pour diverses raisons. Malheureusement, on ne les entend jamais, ni leur histoire, ni la raison de leur choix, ni leur façon de faire face au défi, ni l'incidence de ce choix sur leur intégration ou encore ce qu'elles pensent de tout ça.
Sahar Ullah, étudiante diplômée de Chicago, s'exprime dans un blogue au sujet de son expérience sur le port du niqab: «La plupart des gens qui exprimaient une opinion sur le niqab ne m'ont jamais demandé pourquoi je le portais, mais ils avaient quand même une opinion... Ce sont les musulmans qui étaient les plus virulents. Ils insistaient pour dire que le port du niqab, ce n'est pas bien; je m'attardais surtout à défendre mon droit à faire mes propres choix.» [...]
Il serait peut-être temps que nous réévaluions les préjugés qui alimentent ce débat. Avoir peur trahit notre manque de confiance en nous, et en l'autre. En laissant la peur s'insinuer dans nos sociétés, la liberté ne sera plus qu'une illusion et nous mettrons en danger les notions mêmes de ce qu'est une société démocratique.
Féminisme musulman
L'organisation Human Rights Watch (HWR) abonde en ce sens: «L'interdiction du port du voile viole les droits humains, elle stigmatise et marginalise les femmes qui le portent. La liberté de conscience et celle de vivre sa religion sont des droits fondamentaux [...] Et une telle interdiction signifierait pour de nombreux musulmans français qu'ils ne sont pas les bienvenus dans leur propre pays.» [...]
De plus en plus de discussions sur le féminisme musulman se tiennent dans les communautés musulmanes: le combat pour la reconnaissance des droits des femmes dans le cadre de référence islamique, contre la discrimination venue de la culture et contre une approche littéraliste des textes.
Ces discussions de base sont l'occasion privilégiée pour rappeler que les femmes ne devraient pas être forcées de faire quoi que ce soit contre leur gré. Et pour rappeler également que les choix faits à partir de convictions personnelles doivent être respectés: c'est un droit garanti dans la plupart des démocraties.
Leur destinée
Ce dialogue avait déjà commencé à l'époque du Prophète. Il encourageait fortement les femmes à jouer un rôle actif au sein de la société islamique tout en soulignant qu'elles ne devaient pas confondre la modestie avec le retrait des sphères politique, scolaire, religieuse, sociale, économique et même militaire. En d'autres termes, les femmes musulmanes étaient maîtresses de leur propre destinée.
M. Sarkozy a conclu son fameux discours en disant que la burqa «n'était pas la bienvenue sur le territoire français». Il est à espérer qu'il en viendra à comprendre qu'une éventuelle loi bannissant un vêtement ne changera que les apparences extérieures.
La véritable émancipation et la possibilité pour les femmes musulmanes d'être libres, autonomes et engagées ne verront le jour que lorsqu'elles pourront parler pour elles-mêmes et non pour le programme politique de quelqu'un.
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Shelina Merani, Coordonnatrice de Présence musulmane Canada


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