Sarkozy répudie le «ni-ni» sans ambiguïté

Le président français plaide de nouveau pour l'unité canadienne

Sarko décore Charest - février 2009

Paris -- Si l'ambiguïté persistait, elle s'est dissipée hier une fois pour toutes. Alors qu'il remettait les insignes de commandeur de la Légion d'honneur à Jean Charest, Nicolas Sarkozy a réaffirmé plus clairement que jamais sa rupture totale et définitive avec la politique gaulliste de «non-ingérence et non-indifférence» qu'a pratiquée la France à l'égard du Québec depuis plus de 30 ans. Dans des mots très durs à l'égard des souverainistes, qu'il désigne sans les nommer, le président dit voir dans cette politique non seulement un obstacle à l'amitié de la France avec le Canada, mais plus fondamentalement une forme de rejet de l'autre qu'il n'hésite pas à qualifier de sectarisme.

Sous les regards du premier ministre du Québec et de son homologue français, François Fillon, Nicolas Sarkozy a emprunté le ton familier qui le caractérise. La non-ingérence et non-indifférence, a-t-il lancé, «qui a été la règle pendant des années, honnêtement, c'est pas trop mon truc!». Selon lui, il faut rejeter sans hésitation cette formule inventée par l'ancien ministre Alain Peyrefitte qui avait pourtant permis à la France de rétablir les ponts avec Ottawa après le «Vive le Québec libre» du général de Gaulle.
Le président dit même voir dans cette politique une forme de haine de l'autre. «Cet attachement à notre culture, à notre langue, à nos liens, pourquoi devrait-il se définir comme une opposition à qui que ce soit d'autre?»
Le président a répété presque mot pour mot ses déclarations qui avaient semé l'émoi à la citadelle de Québec cet été et avaient été interprétées comme une prise de position ferme en faveur de l'unité canadienne. «Croyez-vous, mes amis, que le monde, dans la crise sans précédent qu'il traverse, a besoin de division, a besoin de détestation? Est-ce que pour prouver qu'on aime les autres, on a besoin de détester leurs voisins? Quelle étrange idée!»
Évoquant ses déclarations de cet été, Nicolas Sarkozy dit avoir été compris du plus grand nombre. Désignant de façon à peine voilée les souverainistes, il utilise pour la première fois des mots très durs à leur égard, parlant de férocité et d'«enfermement sur soi-même».
«Ceux qui ne comprennent pas cela, dit-il, je ne crois pas qu'ils nous aiment plus, je crois qu'ils n'ont pas compris que, dans l'essence de la Francophonie, dans les valeurs universelles que nous portons au Québec comme en France, il y a le refus du sectarisme, le refus de la division, le refus de l'enfermement sur soi-même, le refus de cette obligation de définir son identité par opposition féroce à l'autre.»
Refusant de qualifier les mots de Nicolas Sarkozy, le premier ministre Charest s'est montré plus prudent. Selon lui, il n'est pas question de mettre au rancart la politique de «non-ingérence et non-indifférence». Jean Charest affirme même que, «si jamais il devait y avoir un autre référendum», il ne voit «pas d'autre politique possible pour la France».
«Ce que le président Sarkozy, je pense, exprime c'est un sentiment qui déborde les circonstances d'un référendum sur l'avenir du Québec. Je ne veux pas parler à sa place. Ce n'est pas à moi d'interpréter ses paroles.»
Légion d'honneur
Les déclarations-chocs du président ont relégué dans l'ombre la cérémonie de remise de l'ordre de commandeur de la Légion d'honneur à Jean Charest. Le premier ministre a été reçu à l'Élysée entre le président de l'autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, et l'équipe française de handball sacrée championne du monde.
Quelques dizaines de personnalités assistaient à la cérémonie. La tête blanche du financier et ami personnel de Nicolas Sarkozy Paul Desmarais dominait l'assemblée. On y distinguait pêle-mêle les artistes Luc Plamondon et Carole Laure, l'ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin, les hommes d'affaires Ernest-Antoine Seillière et Bernard Arnault, le secrétaire général de la Francophonie, Abdou Diouf, ainsi que le maire de Québec, Régis Labeaume.
De nombreux premiers ministres québécois ont déjà reçu la Légion d'honneur. Lucien Bouchard et Bernard Landry avaient été élevés au grade de commandeur comme Jean Charest. Robert Bourassa et René Lévesque ont eu droit à celui de grand officier. Quant au grade suprême, celui de grand-croix, il a été réservé à Paul Desmarais. De très nombreux étrangers ont régulièrement droit à cet honneur. Aujourd'hui, Nicolas Sarkozy décorera J. K. Rowling, auteure des romans jeunesse à succès Harry Potter.
Plus tôt dans l'après-midi, Jean Charest avait rencontré le maire de Paris, Bertrand Delanoë. Ce dernier dit avoir été «convaincu» par Jean Charest du bien-fondé d'un traité de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne. Le premier ministre québécois est justement en Europe pour relancer l'idée d'un tel traité dont les négociations n'ont pu être lancées comme prévu à Québec l'été dernier. Le Québec misait sur Nicolas Sarkozy pour la faire aboutir. Or la France ne préside plus l'Union européenne depuis un mois. Sur les ondes de TV5, le premier ministre a répété qu'«il faut résister à la tentation du repli et du protectionnisme». Aujourd'hui, Jean Charest doit rencontrer le premier ministre, François Fillon, et s'adresser à la Chambre de commerce et d'industrie de Paris avant de partir pour Bruxelles.
Correspondant du Devoir à Paris


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