Vedette du journalisme français, Franz-Olivier Giesbert tente de cerner le personnage dans M. le Président. Scènes de la vie politique 2005-2011.
Président hyperactif versé dans la logorrhée improvisée et souvent embarrassante, Nicolas Sarkozy occupe sa fonction comme une rock-star habite la scène. Son énergie débridée dérange, mais fascine. Même les Québécois, qui en général ne suivent que de très loin la scène politique française, jettent un regard intrigué à ce président tapageur qui, inspiré par son ami Paul Desmarais, se mêle de les inciter à délaisser le souverainisme. Depuis de Gaulle, aucun président français n'avait autant fait parler de lui au Québec. Les Zapartistes et l'équipe de comiques radio-canadiens d'À la semaine prochaine en proposent même de réjouissantes imitations. Sait-on vraiment, cela étant, qui est cet homme?
Vedette du journalisme français, Franz-Olivier Giesbert tente de cerner le personnage dans M. le Président. Scènes de la vie politique 2005-2011. Joyeux mélange de potins, d'anecdotes, d'éléments biographiques, de conjectures psychologiques et d'analyse politique, ce vivant portrait du président Sarkozy se lit d'une traite, avec un vif plaisir. Romancier, Giesbert maîtrise l'art de créer des atmosphères. Chroniqueur à la française, du genre qui tuerait pour un bon mot, il maîtrise aussi l'art de la formule, souvent assassine, qui ramasse en quelques mots une vérité complexe. Son ouvrage est un délice littéraire autant que politique.
Grandeur et misère de la connivence
«J'ai toujours été un journaliste connivent», lance Giesbert dans un aveu que ne se permettrait aucun journaliste québécois. Le directeur du magazine Le Point, en effet, dîne régulièrement avec des politiciens, notamment avec Sarkozy, qu'il tutoie. Ces fréquentations lui permettent d'avoir un regard de l'intérieur sur la scène politique française. Une telle intimité n'est toutefois pas sans danger pour l'indépendance journalistique. Giesbert révèle même qu'il lui est arrivé, emballé qu'il était par le discours de campagne de Sarkozy en 2007, de lui prodiguer des conseils d'ami sur la manière de gagner son élection. Malgré tout, le journaliste ne s'enlise jamais dans la complaisance et reste toujours capable d'esprit critique devant le prince.
Cette posture particulière, faite de connivence avec les puissants qu'on ne se prive pas de rabrouer pour autant, est une marque typique d'un certain journalisme français, issu d'une culture nationale dans laquelle l'amitié s'accommode de la rudesse critique. À la distance, garante d'une certaine objectivité mais qui ne va pas sans froideur, ce journalisme de connivence préfère une complicité qui s'accompagne de franchise. Ce qu'il perd en objectivité, il le gagne en humanité, et cela donne parfois de très bons livres, comme ce vibrant M. le Président.
«C'est le politicien le plus talentueux, et de loin, de sa génération, capable de modeler à sa guise le débat et le paysage national, écrit Giesbert au sujet de Sarkozy. Mais si on gratte, on peine à trouver dessous l'homme d'État au service de convictions fortes, fussent-elles impopulaires.»
Dépeint comme un arriviste, au «sourire commercial et forcé», qui mouline du vide et qui s'écoute parler, le Sarkozy de Giesbert manque singulièrement d'envergure. «Il ne sait pas où il va, continue le journaliste, mais il y va sur les chapeaux de roue, en fendant l'air, avec une énergie dont on peut se demander si, le temps aidant, elle n'est pas devenue celle du désespoir.»
Obsédé par l'argent
Féroce avec ses collaborateurs, même les plus fidèles, qu'il traite sans ménagement, colérique, «envahissant pour les autres parce qu'il est envahi par lui-même», selon la formule du psychanalyste Jacques-Alain Miller, obsédé par l'argent («à sa table, écrit Giesbert, il y a toujours la place du riche comme il y a, chez d'autres, la place du pauvre») et tellement imbu de sa compétence en toute chose qu'il en devient incapable de déléguer quoi que ce soit («s'il faisait le Tour de France, résume Giesbert, il lui faudrait gagner toutes les étapes»), le président français est peut-être énergique et travailleur, mais son impulsivité et son égotisme le servent mal.
A-t-il des convictions? Est-il, comme un critique littéraire jadis moqué par Voltaire, «un four qui toujours chauffe et où rien ne cuit»? Après l'avoir présenté comme un homme sans convictions, Giesbert corrige le tir. «Il a des convictions, écrit-il. [...] Mais il en change comme de cravate ou d'ami. C'est un nouveau politique. Il fait son marché dans la grande surface des idées et n'achète jamais deux fois la même chose.» Parfois comparé à Thatcher ou à Reagan, Sarkozy serait plutôt un disciple de Tony Blair, c'est-à-dire «un opportuniste, assez étatiste, vaguement social et plutôt libéral».
Giesbert lui reconnaît de bons coups, notamment son intervention, en août 2008, dans le conflit entre la Russie et la Géorgie, qui a empêché l'annexion de la seconde par la première, et sa gestion de la crise économique de 2008, lors de laquelle il a tonné contre le capitalisme prédateur. Ses promesses de réformes furent sans lendemain, mais son plan de sauvetage financier aurait préservé l'Europe du pire. Sarkozy, écrit Giesbert, «a su faire respecter la France» sur la scène internationale, mais il reste l'homme qui a fait des courbettes à Kadhafi, avant de le bombarder, et qui protège ses amis riches avec son bouclier fiscal permettant de limiter l'impôt sur le revenu à 50 %.
Lecteur de Marc Lévy à l'époque de son mariage avec Cécilia, Sarkozy aurait été initié à la grande culture par son éclatante et richissime épouse Carla Bruni. Son hypermnésie lui permet d'ailleurs de citer des classiques textuellement. En lisant le rude et riche portrait que trace de lui Franz-Olivier Giesbert, le président risque toutefois d'avoir besoin de se faire murmurer par sa muse que quelqu'un l'aime encore.
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louisco@sympatico.ca
Essai - "M. le Président. Scènes de la vie politique 2005-2011" - Franz-Olivier Giesbert
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