Saint lord Elgin ?

Gouverneur général du Canada de 1847 à 1854, lord Elgin réussit à semer le germe d'une division politique durable au sein de la population du Bas-Canada

Loi 101 - 30e anniversaire - Adoption de la loi 101

Si Jacques Monet béatifie quasiment lord Elgin ([«La Maison LaFontaine, la mémoire du passage du Canada à la démocratie»->1351], Le Devoir, 27 juillet 2006), il est intéressant de rappeler ce qu'en dit un autre historien, l'Américain Mason Wade.

Dans son livre Les Canadiens français de 1760 à nos jours (Le Cercle du livre de France, Montréal, 1966), Wade rappelle comment lord Elgin, gouverneur général du Canada de 1847 à 1854, réussit à semer le germe d'une division politique durable au sein de la population du Bas-Canada, véritable cassure nationale qui sévit encore de nos jours.
Mason Wade a lu la correspondance échangée entre lord Elgin et lord Grey, alors responsable des colonies à Londres. Dans une lettre à Grey, Elgin explique un des principes fondamentaux de sa politique : «Je crois que la manière de gouverner le Canada ne serait plus un problème dès lors que les Français se scinderaient en un parti libéral et un parti conservateur qui s'uniraient aux partis du Haut-Canada portant des noms correspondants. La grande difficulté jusqu'ici a été que le gouvernement conservateur a signifié gouvernement par les Haut-Canadiens, ce qui est intolérable pour les Français, et un gouvernement radical [libéral], gouvernement par les Français, ce qui n'est pas moins détestable pour les Britanniques... L'élément national se fondrait dans la politique si la scission que je propose était réalisée.»
Elgin prévoyait que le conflit ethnique au Canada devait être en grande partie résolu par la collaboration politique des Anglais et des Français au sein de partis britanniques du Haut-Canada dont les noms -- étant les mêmes qu'au Bas-Canada -- induiraient en erreur les Canadiens français sur leur vraie nature britannique. Ces partis, en réalité britanniques, leur apparaîtraient dès lors acceptables.
Diviser pour régner
Dans une seconde lettre à Grey, Elgin réitéra sa suggestion en insistant sur la nécessité d'une présence canadienne française dans tout gouvernement anglais : «Tant que les Canadiens français ne seront pas scindés en partis politiques s'unissant aux partis britanniques de noms correspondants, je ne crois pas qu'aucune administration forte et durable puisse être organisée. Leur cohésion leur permet d'exercer une puissante opposition à tout gouvernement dont ils sont exclus mais, non moins certainement, elle provoque parmi les Britanniques du Haut et du Bas-Canada un sentiment d'antagonisme contre tous ceux dont ils font partie.»
Et l'historien américain d'ajouter : «Par intervalles jusqu'aux temps présents, la conception de Louis-Joseph Papineau d'un parti "national" (a) été ranimée au Canada français, mais les résultats ont toujours été aussi malheureux que ceux qu'avait prédits Elgin, car une division politico-ethnique a été créée sans profit pour les Canadiens français.»
Les hommes remarquables qui ont édifié l'empire britannique au XIXe siècle avaient étudié l'histoire de l'empire romain. Ils avaient compris qu'introduire un ferment politique de division chez un peuple conquis constitue une bonne méthode pour être ensuite en mesure de l'administrer sans trop de problèmes.
Comme l'a rappelé l'historien Donald Fyson : «Pour maintenir le contrôle effectif sur une colonie, il est plus efficace de faire participer ses élites à l'administration locale, tout en limitant leur pouvoir» («La Conquête britannique et les catholiques», Le Devoir, 22 novembre 2000).
Léonce Naud
_ Géographe


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