Saddam Hussein : pendu pour la mauvaise raison

Exécution de Saddam - malaise et désapprobation




Ce n’est pas le gouvernement irakien qui a choisi d’exécuter rapidement Saddam Hussein, dès la confirmation de sa première condamnation, ce qui a mis fin aux autres procès qui l’attendaient et qui portaient sur des accusations bien plus graves. Ce sont ses maîtres américains qui en ont décidé ainsi. Contrairement à celui des États-Unis, l’actuel gouvernement irakien n’avait rien à cacher si ces procès s’étaient déroulés comme prévu.
Revoyez en esprit l’invasion américaine de l’Irak, en mars 2003. À l’époque, le prétexte de Washington pour mener cette guerre était les armes de destruction massive que l’Irak était censé posséder, et accessoirement d’apporter la démocratie au peuple irakien opprimé. Mais pour nous persuader que les armes de destruction massive de Saddam Hussein constituaient une menace pour le monde entier, on nous a décrit sa méchanceté avec force détails, en particulier comment il avait «gazé son propre peuple».
Il n'y avait aucune arme de destruction massive
Eh bien, il n’y avait aucune arme de destruction massive. Alors il a fallu changer le scénario pour justifier cette guerre, destinée à instaurer la démocratie en Irak. Mais dans ce cas, il est également nécessaire que Saddam Hussein soit un monstre — ce qui était certainement vrai. Cela implique des récits tragiques pour le démontrer : les atrocités qu’il a commises contre son peuple, comme ses attaques au gaz toxique contre les rebelles kurdes en 1988. Jugeons-le donc pour le massacre des Kurdes ordonné en 1988 et après, nous le pendrons.
Admettons : le procès pour avoir gazé les Kurdes a en effet commencé deux ou trois mois plus tard. D’autres procès pour avoir sauvagement réprimé les révoltes kurde en 1988, et chiite en 1991, étaient déjà programmés pour 2007. Mais ils n’auront pas lieu. Toutes les autres affaires ont été classées et en fait, ils ont pendu Saddam Hussein pour le meurtre judiciaire de 144 villageois de Dujail prétendument mêlés à un complot contre sa personne en 1982.
On l'a pendu pour Dujail!
Dujail ? Voici un homme qui, dès son arrivée au pouvoir à la fin des années 1960, a commencé sa carrière politique en exterminant la direction entière — essentiellement chiite — du Parti communiste irakien, puis a envahi l’Iran en 1980, ce qui a fait près d’un demi-million de morts, massacré en 1987-1988 les Kurdes de son pays, dont certains dirigeants avaient pris parti pour les Iraniens, envahi le Koweït en 1990 et massacré des chiites irakiens en 1991 lorsqu’ils se sont soulevés contre son régime à la fin de la guerre. Et on l’a pendu à cause de Dujail ?
C’est comme si on avait pris Adolf Hitler vivant en 1945, mais ignoré le fait qu’il était responsable d’avoir déclenché la Seconde Guerre mondiale et d’avoir fait tuer six millions de juifs en se bornant à le juger pour l’exécution de ceux qui étaient soupçonnés d’avoir participé à la tentative d’attentat à la bombe contre lui, découverte en juillet 1944. Alors qu’on n’avait que l’embarras du choix entre les autres crimes de Saddam Hussein, comment a-t-on pu le pendre pour avoir fait exécuter les gens suspectés d’être impliqués dans l’affaire de Dujail ?
La part des États-Unis
Parce que les États-Unis n’y étaient pas mêlés. Ils ont été mêlés à l’élimination des communistes irakiens : la CIA américaine a communiqué la liste des membres de ce parti à Saddam Hussein. Ils ont trempé jusqu’au cou dans la guerre contre l’Iran. Au point de permettre la fourniture à l’Irak des produits chimiques nécessaires pour fabriquer des gaz toxiques, de transmettre à Bagdad des informations obtenues par satellite et par les avions AWACS sur les cibles iraniennes, et de détacher dans la capitale irakienne des spécialistes de l’interprétation des photos venus de l’armée de l’air américaine et chargés de dessiner pour Saddam Hussein les cartes détaillées des tranchées iraniennes pour qu’il puisse les inonder de gaz toxique.
Protégé par l'administration Reagan
C’est l’administration Reagan qui a empêché le Congrès de condamner Saddam Hussein pour avoir utilisé du gaz toxique. Le Département d’État américain a essayé de le protéger lorsqu’il a gazé ses concitoyens kurdes en 1988 à Halabja en faisant courir le bruit, alors qu’il savait que c’était faux, que des avions iraniens avaient largué ce gaz. Et les États-Unis ont finalement sauvé le régime de Saddam Hussein en escortant les pétroliers, qui transportaient du brut exporté par les pays du Golfe, pendant que l’aviation irakienne attaquait en toute liberté les pétroliers venus des ports iraniens. Washington a même pardonné à Saddam Hussein l’attaque qu’un des ses avions a menée par erreur en 1987 contre un destroyer américain, tuant 37 membres de son équipage.
Et c’est le père de George W. Bush qui a poussé à la rébellion les Chiites et les Kurdes d’Irak, après que Saddam Hussein eut été chassé du Koweït en 1991, mais il n’a pas cru bon d’envoyer l’aviation américaine pour protéger les Chiites du massacre alors qu’ils n’avaient fait que répondre à son appel. Les États-Unis ont été profondément mêlés, d’une façon ou d’une autre, aux plus grands crimes de Saddam Hussein. C’est pourquoi ils ne pouvaient permettre aucun procès qui entrerait dans les détails de ces crimes.
Pour éviter cela, les conseillers en communication de l’actuelle administration Bush ont fait passer d’abord l’affaire de Dujail, avant les autres qui concernent des crimes plus graves, sachant parfaitement qu’elles n’auraient plus d’objet une fois que la peine de mort aurait été confirmée pour la première. Il ne sera donc pas nécessaire de laver le linge sale en public. Mais cela signifie que le procès de l’homme qui a été pendu samedi était une honteuse mascarade. Et surtout qu’il n’a pas été exécuté pour le bon crime.
*L'auteur est un journaliste indépendant canadien, basé à Londres. Ses articles sont publiés dans 45 pays. Son dernier livre, Futur Imparfait, est publié au Canada aux Éditions Lanctôt.


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