Bientôt la fin?

Alors que l'aventure américaine en Irak touche à sa fin, il semble assez évident qu'il n'existe pas de bonne stratégie de sortie

17. Actualité archives 2007


L'auteur est un journaliste indépendant canadien basé à Londres dont les articles sont publiés dans 45 pays. Son dernier livre " Futur Imparfait " est publié au Canada aux Éditions Lanctôt.
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En règle générale, les marins d'eau douce ont du mal à comprendre les métaphores maritimes. " Changer de cap " n'est pas un signe de lâcheté, c'est ce qu'il y a de sensé à faire quand votre bateau se dirige tout droit vers les rocs. " Lever l'ancre " et " faire vent arrière ", c'est ce que l'on fait quand la tempête fait rage. L'ancre chasse et le bateau est poussé vers la côte sous le vent. Seuls les rats stupides n'abandonnent pas un bateau qui coule.
Avec environ quatre ans de retard, les Maîtres de l'Univers remettent en question la sagesse de leur malencontreuse intervention en Irak. À Washington, les fuites ne s'arrêtent pas. Il y a par exemple celle du rapport secret du colonel Pete Devlin: selon le chef du renseignement américain du corps de la Marine, les troupes américaines qui occupent la province d'al-Anbar, le bastion de la résistance sunnite, ne contrôlent plus que leurs propres bases, et aucune institution du gouvernement irakien ne fonctionne dans cette province. Les ténors du parti républicain cherchent une stratégie de sortie qui pourrait absoudre leur parti pour le désastre actuel en Irak.
Le groupe d'étude sur l'Irak (ISG), une commission bipartite coprésidée par James Baker, secrétaire d'État sous Bush père, livrera en décembre ou en janvier ses recommandations sur la stratégie future à adopter en Irak- globalement une stratégie de retrait. Les barons du Parti républicain espèrent ainsi marquer la différence entre l'actuel président Bush et les idéologues ignorants qui l'ont poussé à envahir l'Irak et refusent toujours de reconnaître leur erreur. Mais ils n'y parviendront pas, et ce pour deux raisons.
Stratégie de sortie La première est que, désormais, il n'y a plus de bonne stratégie de sortie de l'Irak. Pour la première fois depuis janvier 2005, le nombre de soldats américains tués (ce mois-ci) dépassera cent. Au moins 3000 Irakiens meurent tous les mois, mais l'étude récente d'une équipe d'épidémiologistes de l'Université Johns Hopkins estime que le nombre réel de morts pourrait atteindre 15 000. Le pays risque tout autant d'éclater que les troupes américaines restent ou qu'elles partent, et les négociations du groupe d'étude sur l'Irak visant à obtenir l'aide de la Syrie et de l'Iran pour redresser la situation ne sont que pure illusion.
À son retour d'une tournée de deux semaines au Moyen-Orient, le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, a déclaré: " La plupart des dirigeants auxquels j'ai parlé ont le sentiment que l'invasion de l'Irak et ses conséquences ont été un véritable désastre pour eux. Elle a été un facteur de déstabilisation pour la région. " Mais aucun ne juge sage, ni même sûr, de prendre une part active dans la politique de l'administration Bush alors que l'aventure américaine en Irak touche à sa fin.
Le régime baasiste de Syrie voit chaque jour 2000 réfugiés irakiens franchir sa frontière et envisage avec horreur la perspective d'hériter de la province d'al-Anbar, voire de tout le " triangle Sunnite " d'Irak. À Damas, le régime de Bachar al-Assad repose sur la minorité alaouite syrienne (chiite), et l'arrivée de militants sunnites en grand nombre pourrait faire pencher la balance en Syrie en faveur des Frères musulmans et provoquer une nouvelle insurrection sunnite. En tout cas, être associé à la politique américaine dans la région ne ferait qu'augmenter les risques de révolution.
L'Arabie Saoudite et l'Iran L'Arabie Saoudite est en train d'ériger d'urgence une clôture sophistiquée de 875 km sur toute la longueur de sa frontière avec l'Irak car elle s'attend à voir affluer vers le sud djihadistes et réfugiés le jour où l'Irak éclatera. Mais l'Arabie Saoudite ne compte nullement intervenir de manière inutile pour tenter d'arrêter le phénomène. L'Iran espère quant à lui tirer bénéfice de ses liens étroits avec les parties chiites qui dominent la majeure partie de l'Irak arabophone, mais rien ne l'incite à éviter l'humiliation aux États-Unis ou même à empêcher le démembrement de l'Irak. Pourquoi l'Iran ferait-il cela?
La seconde raison pour laquelle les recommandations de la mission d'étude sur l'Irak ne seront pas écoutées est qu'il y a déjà eu beaucoup trop de morts pour que M. Bush et ses conseillers reconnaissent que leur " guerre de choix " était une erreur sur toute la ligne. Comme le montrent les déclarations du vice-président Dick Cheney dans le magazine Time de ce mois-ci: " Je sais ce que pense le président. Je sais ce que je pense. Nous ne recherchons pas une stratégie de sortie. Nous recherchons la victoire. "
Ce dont ils ont réellement besoin, c'est d'un homme fort qui soit capable de réconcilier l'Irak tout en soutenant leur politique dans la région. Quelqu'un comme Saddam Hussein peut-être, mais il y a longtemps que Washington a perdu tout contrôle sur lui. Le président déchu devrait en outre être pendu avant la fin de l'année. Alors on risque bien d'assister à la fameuse scène finale: celle où les gens se bousculent, sur les toits de la Zone verte de Bagdad, pour grimper à bord des hélicoptères.


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