Exécution de Saddam

Un trou noir

Exécution de Saddam - malaise et désapprobation



Saddam Hussein a été exécuté comme l'administration Bush l'avait promis. Bien entendu, celle-ci a laissé aux «locaux» le sale travail - un procès suspect, des avocats assassinés, la pendaison du condamné, la danse autour du corps, la chicane à propos de la dépouille - et s'est occupée des choses sérieuses - rédiger les statuts d'un tribunal où le droit de grâce était interdit, la détention du prisonnier et son transport vers la potence. Rien, strictement rien, n'a été laissé au hasard dans un pays où la souveraineté de l'État est de papier.
L'exécution de cet émule de Staline clôt une époque. Elle ne représente pas une étape importante, comme on le claironne à Washington. Au contraire. Les Irakiens sont sans doute satisfaits de voir disparaître un des grands tueurs du XXe siècle, mais leur joie est de courte durée : ils font face aux nouveaux tueurs - sunnites et chiites - engagés dans une féroce lutte pour le pouvoir sous l'oeil amusé et complice de la coalition américano-britannique.
La volonté d'humilier
Les Irakiens vont continuer de souffrir même après la mort d'un de leurs bourreaux, car la véritable raison de l'occupation américano-britannique n'a rien à voir avec les objectifs officiels mis de l'avant en 2003 afin de justifier l'invasion de l'Irak. À cette époque, Washington et Londres avaient couvert leur agression au nom de la nécessité de neutraliser les armes de destruction massives, d'éliminer un régime démoniaque, de combattre le terrorisme et de transformer l'Irak en modèle démocratique pour la région. Cela n'avait évidemment aucun sens. Il devait y avoir quelque chose de plus fondamental.
Bob Woodward, dans son livre State of Denial, offre, à mon avis, une explication plus profonde et plus plausible de cette intervention en exposant les réflexions de Henry Kissinger, ce maître du réalisme en politique internationale et conseiller discret de la Maison-Blanche. Un jour, le chef des rédacteurs de discours du président demande à l'ancien secrétaire d'État de Richard Nixon pourquoi il a appuyé la guerre en Irak. «Parce que l'Afghanistan, ce n'était pas suffisant, a répondu Kissinger. Dans ce conflit avec l'islam radical, ils veulent nous humilier. Nous devons aussi les humilier.» Ici, toute la rhétorique présidentielle mielleuse sur le renversement des tyrannies ou l'élimination du mal de la surface de la planète est évacuée. Il ne reste que l'utilisation de la force et ses corollaires, la destruction, le chaos et l'humiliation. Les Irakiens paient aujourd'hui la mise en oeuvre de cette politique criminelle.
L'Irak est maintenant plongé dans un trou noir, un vortex de violences où la désintégration du pays, de ses régions et de ses villes, de ses institutions et même de ses communautés a atteint un point de non-retour. Les témoignages à ce sujet abondent. Du rapport Baker-Hamilton aux études pointues des experts, le chaos a atteint des proportions ahurissantes. Le régime de Saddam Hussein porte une responsabilité dans cette situation et l'occupation a accéléré sinon suscité les forces centrifuges. Comment pouvait-il en être autrement, l'objectif de l'invasion étant l'humiliation et non la réconciliation nationale et la reconstruction?
De l'unité à la partition
Au cours des prochaines semaines, l'administration Bush, nous dit-on, va revoir sa stratégie en Irak. Elle étudie plusieurs options concernant l'augmentation de son contingent militaire sur place afin de contrer la violence. Cela ne donnera rien. Les dirigeants américains savent pertinemment que la violence actuelle est le résultat de leurs politiques et de la lutte entre chiites, sunnites et Kurdes pour le pouvoir. L'augmentation du contingent sera une diversion afin de montrer que Washington fait quelque chose, alors que dans la réalité les trois grandes communautés posent toutes les actions nécessaires à la création de trois petites entités étatiques : nettoyage ethnique, massacre des voisins, prolifération du mercenariat, mise en place d'administrations et de forces armées indépendantes, éviscération du pouvoir central, appropriation arbitraire des ressources pétrolières.
Il reste bien quelques naïfs pour croire à la fiction d'un État irakien unitaire, mais d'autres, plus nombreux, conseillés et appuyés par des diplomates et politiciens américains, saisissent leur chance, soufflent sur les braises et tracent déjà les frontières des États croupions. Pour eux, «avec un peu de chance, l'éclatement de l'Irak pourrait même contribuer à faire baisser la violence», écrit dans le journal Le Monde, Peter W. Galbraith, conseiller des dirigeants kurdes et ancien ambassadeur américain. Bref, l'«instabilité constructive» préconisée par la Maison-Blanche comme politique à suivre au Proche-Orient au lendemain du 11 septembre poursuit sa marche sanglante. Demain, qui sait, la Syrie et, surtout, l'Arabie Saoudite, royaume artificiel et berceau d'Al-Qaeda et de l'islam radical, goûteront à cette médecine.
Saddam Hussein est mort comme 150 000 Irakiens assassinés, exécutés, pulvérisés, massacrés depuis l'invasion. Cette tragédie à ses partisans. «Je suis fière de la libération de l'Irak», disait Condoleezza Rice avant Noël. En effet, l'Irak est en ruine, sa population humiliée et plongée dans la guerre civile, et son gouvernement ne représente plus un «danger» pour les États-Unis. De quoi être très fière.
L'auteur est directeur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix et professeur invité au GERSI et au CERIUM de l'Université de Montréal.
j.coulon@cerium.ca


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