TERRES DES SOEURS DE LA CHARITÉ

Sacrifier l’agriculture pour la densification urbaine

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Québec est restée accrochée au modèle de développement des années 1950

Nous apprenions récemment la vente des terres agricoles des Soeurs de la Charité, dans le secteur de Beauport de la ville de Québec, à la Fondation Jules-Dallaire, créée par le promoteur immobilier du même nom, du groupe Cominar. Quelque 200 hectares (22 millions de pieds carrés) de terre fertile d’un seul tenant, cultivés depuis des générations et figurant parmi les derniers espaces cultivables dans l’agglomération de Québec.

Payé 39 millions de dollars par la Fondation, ce patrimoine agricole est destiné à un développement domiciliaire de 6500 logements, soit de 15 000 à 20 000 habitants. « En pratique, c’est quasiment la ville de Charny », fait savoir Michel Dallaire, vice-président de la Fondation.

Ce projet est qualifié de « philanthropique » par le promoteur. La supérieure des Soeurs de la Charité, soeur Carmelle Landry, affirme que, sur les 150 millions de profits que prévoit générer la Fondation Dallaire avec le développement résidentiel, « 50 % iront à cette fondation et 50 % à la nôtre pour les pauvres », précise-t-elle. Voilà de bien nobles motivations à la source de cette transaction, que nous ne voulons pas remettre en cause ici, d’autant plus que la communauté « n’a jamais eu de demande de personnes intéressées à développer ces terres-là au niveau de l’agriculture », de l’aveu de la soeur supérieure.

Ce qui choque, c’est précisément le désintéressement avoué des autorités de la ville de Québec à l’égard de ce précieux patrimoine ; le désintéressement et le manque d’imagination pour y maintenir une vocation agricole. Le maire de la capitale nationale, Régis Labeaume, instigateur et promoteur d’un temple du divertissement au coût de 400 millions de dollars, n’a porté aucune attention au joyau que représentait cet espace pour une agriculture urbaine associée à des fonctions récréatives, écologiques et pédagogiques. L’administration Labeaume aura raté une occasion exceptionnelle et inespérée de doter la capitale d’un legs pour les générations futures, un legs qui aurait été représentatif de l’adhésion du pouvoir local aux principes du développement durable. On aura fait plutôt le choix de la croissance et de la densification urbaines, des briques et du béton.

Sécurité alimentaire

Monsieur Labeaume, l’agriculture urbaine n’est pas une fantaisie de « granolas ». Partout dans les grandes villes en Occident, on encourage une agriculture urbaine en faisant mousser notamment les toits verts, les jardins communautaires, les parterres légumiers, les jardinets de fines herbes et les ruches bourdonnantes sur les toits des grands hôtels, les cultures maraîchères en périphérie des espaces bâtis, voire des clapiers et des poulaillers dans les cours arrière des résidences. Des efforts soutenus par une réflexion philosophique et des avancées scientifiques et techniques sont déployés pour favoriser l’intégration de la production agricole en milieu urbain. L’agriculture urbaine est d’ailleurs une des solutions recommandées par l’ONU pour faire face aux besoins de sécurité alimentaire dans les villes. Cette pratique est déjà valorisée non seulement à New York, Boston, Chicago, Paris, Berlin, Vancouver, Toronto, mais à Québec et à Montréal. On pense ici aux Fermes Lufa, construites sur les toits des immeubles de la métropole, et à la production de miel sur les toits du Château Frontenac.

Or les terres des religieuses, véritables poumons verts en pleine ville, réputées pour leurs vertus maraîchères séculaires, vont être sacrifiées sur l’autel de l’urbanisation.

Des terres rares prêtes à continuer leur fonction de nourrir la population de proximité de fruits et de légumes frais, ce qui n’est pas un négligeable avantage pour une population de plus en plus soucieuse de l’origine et de la qualité des produits qu’elle met sur sa table.

Des sources d’inspiration

Saviez-vous, M. Labeaume, que le parc Angrignon (97 hectares), dans la ville de Montréal, s’est donné pour mission de promouvoir la biodiversité auprès des visiteurs et d’offrir aux citoyens une foule d’activités pour se familiariser avec l’agriculture urbaine et la préservation des milieux naturels ? Une ferme avec une variété d’animaux y a même été aménagée en 1990, qui accueille chaque année des dizaines de milliers de visiteurs. Des travaux y sont présentement en cours pour un montant de 21 millions de dollars. La réouverture est prévue en 2018. La valeur éducative de la ferme Angrignon est incontestable.

Le Campus des sciences de l’UQAM offre depuis six ans une École d’été en agriculture urbaine, à laquelle s’inscrivent 200 personnes qui reçoivent les enseignements de plus de 50 conférenciers et formateurs.

Financement

Si la Ville de Québec peut justifier une contribution de 100 à 150 millions de dollars pour la construction d’un amphithéâtre de 400 millions dans un montage financier qui réunit des partenaires publics et privés, l’acquisition pour fins agricoles des terres des Soeurs de la Charité aurait pu adopter un modèle analogue. Et le gouvernement fédéral, qui a tant à se faire pardonner pour son appui inconditionnel à l’exploitation des sables bitumineux de l’Alberta, un des complexes industriels les plus polluants de la planète, aurait sans doute été heureux de s’associer à un projet emblématique du développement durable en milieu urbain.

Et la Commission de la protection du territoire agricole ? Acharnée à protéger des terres zonées agricole sur les plateaux de la Gaspésie et du Bas-Saint-Laurent, bien que désertées par l’agriculture, en friche ou reboisées, saura-t-elle ici sauvegarder, en tout ou en partie, ce véritable et précieux joyau agricole ?


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