Comme plusieurs bloquistes, tout en votant pour le Bloc, j’ai été paradoxalement peiné et soulagé du résultat.
Au cours des ans, l’action parlementaire du Bloc a eu, entre autres effets, de mettre au jour le scandale des commandites. Cela, joint à sa forte présence dans toutes les régions du Québec, a progressivement expulsé le PLC de la scène québécoise, et son action de sensibilisation de l’opinion aux conséquences d’un gouvernement de droite, avant et pendant les élections, a fait battre les Conservateurs du Québec (17% de votes), même si c’est le NPD qui en a profité. Mais face aux harperiens majoritaires, le Bloc n’aurait pas pu faire avancer grand-chose et on aurait entendu la sempiternelle rengaine sur l’inutilité du Bloc «qui ne prendra jamais le pouvoir». En réalité, ce que les faits démontrent depuis plus de trente ans, c’est l’inutilité pour des députés québécois d’être au pouvoir au fédéral lors des enjeux majeurs pour nous. Pour rappel, deux exemples flagrants d’impuissance : l’adoption par les libéraux de la Constitution de 1982 et, depuis 2007, l’absence de soutien significatif à l’industrie forestière malgré la présence de deux ministres québécois dans le caucus conservateur, alors que l’Ontario obtenait 10 milliards pour son industrie automobile. Observons maintenant si les tendances hétéroclites qui se sont retrouvé sous le parapluie orange auront une efficacité comparable à celle de ce bataillon indéfectible et aguerri.
Constats
Les électeurs ont clairement rejeté le statu quo qu’aurait été la réélection d’une opposition plus ou moins identique à la précédente. Avant le 2 mai, fort peu de gens avaient prévu ce qui allait se passer et beaucoup anticipaient un gouvernement conservateur de nouveau minoritaire. La reconduction du Bloc leur paraissait alors participer de ce statu quo. Ce rejet, au point de voter pour littéralement n’importe qui (à part quelques candidats plus connus) ayant l’étiquette néodémocrate constitue la substance de la «vague» orange. De plus, pour les fédéralistes nationalistes (les fatigués), mécontents du fédéralisme actuel, et pour les souverainistes mous, toujours sensibles au moindre chant de sirène pouvant les détourner un instant de l’enjeu décisif, le NPD était une aubaine.
Le règne conservateur risque d’être long. Layton clame que 60 % des Canadiens n’ont pas voté pour Harper, mais si l’on fait abstraction du Québec, ce n’est plus vrai : le ROC compte 161 députés Conservateurs contre 43 députés NPD plus 28 Libéraux et une élue du parti Vert. Le ROC n’a pas voté Harper par inadvertance : tout le monde le voit aller depuis 7 ans – et le Canada anglais le connaît mieux que les Québécois. Rappelons que pendant la majeure partie de son histoire, l’Ontario a été conservatrice de droite ou de centre-droit, et si les Libéraux du gouvernement McGuinty sont battus aux élections de l’automne 2011, elle va peut-être le redevenir. L’Alberta l’est presque par nature et maintenant, les groupes ethniques du ROC s’y mettent aussi.
Face à un PLC moribond et un NPD fédéral dont la branche québécoise fonde la nouvelle force, les Conservateurs peuvent raisonnablement envisager un deuxième mandat majoritaire dans quatre ans. Il est vrai que les électeurs du ROC qui votent conservateur à Ottawa élisent aussi des gouvernements néodémocrates au provincial et qu’après avoir fait le plein de mesures de droite, ils pourraient virer capot. Mais actuellement, la rondelle ne roule pas dans cette direction.
Le Bloc est sonné, mais pas mort : les quatre députés élus vont maintenir sa présence aux Communes et un million d’électeurs l’ont soutenu. Cela ne dispense pas de faire un bilan de ses actions passées. Par exemple, le Bloc servait de haut-parleur à Ottawa aux doléances et positions de l’Assemblée nationale, avec comme effet inattendu de dispenser commodément les Libéraux ultra-fédéralistes de Jean Charest de confronter trop directement le gouvernement fédéral. Cela servait-il la cause souverainiste au Québec ? Dans la conjoncture de l’après 2 mai, il vaut la peine de réfléchir au rôle qu’il doit maintenant jouer. Il est clair que le message, malgré sa pertinence, passait moins bien et que c’est l’une des causes du résultat de l’élection : à tort, mais tout de même, plusieurs le percevaient comme négatif et sans rien à proposer. Comment se positionner pour mieux faire ressortir le blocage que représente le fédéralisme pour le Québec dans son ensemble et pour la nation québécoise? Ce travail de repositionnement est plus urgent qu’une course à la chefferie, qui ne serait pour l’instant qu’une diversion.
Les souverainistes seraient aussi bien inspirés de se concentrer sur la prochaine élection provinciale : les étonnants résultats du 2 mai nous rappellent que rien ne doit être pris pour acquis : Duceppe battu ! Pour le moment, laissons au NPD toute la corde nécessaire pour… faire ses preuves, disons. Le 11 mai dernier, les électeurs de Berthier-Maskinongé étaient apparemment ravis d’avoir enfin vu-de- leurs-yeux-vu leur nouvelle députée jusque là fantôme et ils étaient honorés de sa première visite. Ne gâchons pas leur plaisir, certains bonheurs sont si brefs ! Une présence active sur le terrain jointe à un profil bas permettra au Bloc de se refaire une virginité. Après l’élection provinciale, la situation pourra être réévaluée.
Reprendre l’initiative
La préparation de l’envoi d’un prochain « contingent » à Ottawa se situe au Québec. L’idée, (reprise par Michel Seymour et d’autres, de préparer une offre du Québec au Canada serait une stratégie transparente pour tous et unificatrice pour les Québécois. Bien sûr, le film de la souveraineté-association a déjà été à l’affiche, mais c’était seulement au Québec. Il faut prendre acte – résolument et rapidement – du verdict du 2 mai (corroboré par des antérieurs) : une majorité de Québécois veulent encore croire à un beau risque. Faute d’accepter franchement cette donnée, d’autres surprises pourraient survenir, encore plus lourdes de conséquences.
En adoptant la perspective d’un Québec qui resterait dans le Canada, de quoi aurait-il besoin pour s’y affirmer ? C’est ce que devrait articuler une telle proposition. Jouons franchement le jeu pour qu’elle puisse rallier les souverainistes et les fédéralistes «parlables ». Les premiers y verront un tremplin vers l’indépendance, les fédéralistes, eux, un point d’arrivée qui l’évacuera, mais peu importe : tous seraient unis autour d’objectifs partagés. Ainsi, une majorité de Québécois appuieraient sans doute la maîtrise complète par le Québec du champ des communications, de l’immigration, l’application de la loi 101 dans les institutions fédérales, la présence accrue du Québec dans les instances internationales, le rapatriement complet des budgets de la santé, etc.
À la différence des cinq propositions minimalistes de Meech (1987), conçues en fonction de ce que le ROC aurait été prêt à accepter, et de l’accord de Charlottetown (1992), construction improbable de divers amendements constitutionnels répondant en partie seulement aux besoins du Québec, cette nouvelle proposition exprimerait ce que les Québécois, eux, veulent.
Les ex-députés du Bloc pourraient mettre à profit leur connaissance approfondie des dossiers fédéraux pour l’élaborer et s’appuyer sur leur organisation locale pour en débattre, la faire circuler et la bonifier. Une telle proposition pourrait servir aussi de cadre général aux «gestes de souveraineté» que Pauline Marois envisage, car une gestuelle ne constitue pas une politique.
Pédagogie de la ressouveraineté-réassociation
Pour penser la souveraineté (même associée), il faut s’habituer à penser à toutes les composantes que cela implique et cet exercice fournirait, une fois de plus, l’occasion de ce tour d’horizon. Par exemple, comment le Québec à l’intérieur du Canada peut-il faire entendre sa voix dans les instances internationales en fonction de ses intérêts ? Comment les Québécois verraient-ils la politique étrangère du Canada ? Comment remplacer la péréquation par la suppression de dédoublement administratifs et le rapatriement de l’impôt correspondant ? Etc.
Où est la nouveauté ?
Qu’y a-t-il de neuf dans cette approche ? Elle consiste dans le fait que cette proposition serait présentée solennellement au gouvernement du Canada par le gouvernement du Québec (post-Charest), peut-être même après un référendum au Québec. Cela n’a jamais été fait. La situation serait sans ambiguïté : les Conservateurs représentent aujourd'hui le ROC sans le Québec et le gouvernement du Québec, les Québécois. Cette initiative, qui forcerait tout le monde à s’aligner, pourrait se dérouler dès un premier mandat du parti québécois. Un effet mobilisateur s’ensuivrait : au lieu de renifler le vent pour sentir l’arrivée de conditions gagnantes, on pourrait mettre un échéancier, une date.
La suite des choses dépendra alors de la réponse du ROC. Si contre toute attente, le ROC acquiesçait à ce nouveau partenariat, y voyant peut-être une solution enfin définitive au contentieux Québec-Canada, le Québec aurait quand même progressé significativement : plusieurs Québécois qui rejetteraient ces propositions dans un scénario indépendantiste les soutiendraient volontiers dans un cadre fédéral. La suite de l’Histoire montrerait vite la viabilité ou non d’un tel fédéralisme. De toute façon, comme disait Robert Bourassa, si fédéraliste fût-il, le Québec est maintenant et pour toujours maître de son destin.
Toutefois, la réponse la plus prévisible n’est pas celle-là. Dans ses politiques, dans ses choix budgétaires, dans ses tentatives constantes d’infiltrer les champs de compétence provinciaux, et aussi dans la perception du Québec au sein de l'opinion publique, le ROC a déjà répondu et continue de répondre tous les jours. Par exemple, quand il était chef du PLC, Michael Ignatieff affirmait, en écho à ce que pensent une majorité de Canadiens, que le Québec a déjà tous les pouvoirs qu’il lui faut et qu’advenant l’élection de son parti, il n’obtiendrait rien de plus. Limpide, non ?
Mais plusieurs Québécois éprouvent encore le besoin de le vérifier. Au lieu de perdre notre temps à le déplorer, ou à accuser Marois, Duceppe, les jeunes, les vieux, les consuméristes, les individualistes et tutti quanti de n’être pas assez convaincus, pas assez convaincants, pas assez clairs, pas assez déterminés… bref, pas assez, nous devons baliser et accélérer cette démarche de proposition pour créer une nouvelle dynamique, brisant ainsi l’embâcle actuel, dont rien de bon ne peut sortir pour le Québec. Trop tortueux pour les chevaux fringants? Falardeau rappelait que si les bœufs sont lents, la terre est patiente. La terre du Québec.
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Robert Sarrasin
La Tuque
L'APRÈS 2 MAI 2011
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2 commentaires
Archives de Vigile Répondre
13 mai 2011M. Sarrasin,
Votre idée est ingénieuse mais qui pourra "baliser et accélérer cette démarche de proposition pour créer cette nouvelle dynamique" ?
DE UN : il est malheureusement trop tard pour modifier le programme de bonne gouvernance de la Belle Province adopté au dernier congrès du PQ. De plus, personne dans ce parti n'a les qualités requises pour oser prendre l'initiative d'une telle démarche. J'irais même plus loin que M. O en affirmant que dans l'esprit des québécois ce n'est pas qu'un simple soupçons d'opportunisme qui flotte sur ces individus(es), c'est une certitude ! Par conséquent, il est plus que probable que le PQ soit totalement effacé de la carte aux prochaines élections.
DE DEUX : qu'arrivera-t-il si le Canada rejetait avec mépris cette fameuse offre élaborée en toute bonne foi par l'ensemble des québécois ? Ce n'est pas nos pantouflards nationaux qui seraient en mesure d'assumer les conséquence de ce refus au nom de la nation. Il faudrait donc au préalable songer à une stratégie alternative pour mettre de l'avant cette brillante idée. Au minimum, il devrait exister un consensus dans la population pour appliquer immédiatement un plan B en cas d'échec.
Archives de Vigile Répondre
13 mai 2011La question, plus que jamais, est de savoir si les Québécois sont indépendantistes.
Le Bloc s'est toujours montré gentil avec les gens du ROC, son milieu de travail quotidien. Il évitait les gros mots comme indépendance ou revendications ou protestation contre les injustices. À la fin de la campagne, quand cette bourrasque latérale lui a fait glisser le sol de sous les pieds, il a crié au secours, auprès de ce qu'il croyait sa base: il s'est collé à Pauline... il a perdu son siège.
S'il ne s'agissait que d'une ruse de l'électorat, il faut, une fois pour toute, tester ce dernier au Québec.
Si le PQ veut se laver des soupçons d'opportunisme qui flottent sur lui, s'il veut vraiment faire face à la musique, sans même penser référendum, il doit se présenter aux prochaines élections avec un programme indépendantiste sans équivoque.
C'est l'étape à franchir avant de penser à un projet d'assimilation camouflé.