Y a-t-il un regain de la foi dans les sociétés occidentales? Et si oui, rime-t-il toujours avec la montée de la droite politique? Ces deux questions, vastes et complexes, appellent forcément des réponses nuancées.
Pour Solange Lefebvre, directrice du Centre d'étude des religions de l'Université de Montréal, une première question s'impose d'emblée : «S'agit-il d'un regain de la foi ou plutôt d'une plus grande affirmation publique de la religion dans nos sociétés ?» Ce à quoi Jean-Guy Vaillancourt, professeur de sociologie des religions à la même université, répond : «La foi, c'est difficile à mesurer. Qu'est-ce que la foi ? En quoi crois-tu ? Ensuite, une baisse de la pratique religieuse n'indique pas nécessairement une baisse de la foi. Les gens croient-ils moins aujourd'hui qu'hier ou croient-ils différemment ?» Et il rappelle que «Umberto Eco disait : les gens de nos jours ne croient plus en rien mais, par contre, ils croient en n'importe quoi».
Christophe Talin, chercheur invité en science politique à l'Université de Montréal dont les travaux portent sur le lien entre la religion et le politique, avance pour sa part que l'Occident connaît une certaine érosion de la foi. «Dans les enquêtes d'opinion, on constate qu'il y a moins de gens qu'avant qui indiquent qu'ils sont croyants.»
Ces mêmes enquêtes d'opinion indiquent toutefois clairement que l'on assiste à une baisse marquée de la pratique religieuse. «Seulement 8 % des gens indiquent qu'ils ont une pratique religieuse régulière, c'est-à-dire qu'ils se rendent au moins une fois par mois à leur lieu de culte.»
Ces chiffres valent pour l'ensemble des sociétés occidentales sauf pour les États-Unis, où l'on assiste au contraire à un renforcement de la pratique religieuse. «Il faut comprendre que la culture religieuse est très présente dans la société américaine. Au point où l'on inscrit In God We Trust sur les billets de banque.»
Identité religieuse
L'approche des questions religieuses, croit Jean-Guy Vaillancourt, ne peut pas être monolithique. On doit tenir compte des différentes dimensions de la religion. «Il y a bien sûr la foi et la pratique religieuses, mais aussi l'expérience religieuse, l'éthique et la connaissance religieuses.» Il rajoute personnellement à ce groupe d'autres critères dont celui de l'identité religieuse.
«L'identité religieuse ne pose pas de problème lorsqu'elle se confond avec l'État.» Mais ce n'est pas ce qui se produit dans le contexte de l'immigration. «Les immigrants se retrouvent dans une société différente et alors la question de l'identité religieuse devient plus importante.» Selon Christophe Talin, ce phénomène est surtout manifeste dans les religions qui nous viennent d'ailleurs. «Ces religions revendiquent le droit de pratique et cherchent la reconnaissance de leur culte dans la société.» D'où une plus grande visibilité.
Comment expliquer par contre qu'une jeune musulmane, née au Québec, choisisse de porter le voile tandis que sa mère, musulmane née à l'étranger, ne le fait pas ? Jean-Guy Vaillancourt y voit surtout une manifestation propre à la jeunesse, qu'il compare à l'engouement de certains jeunes catholiques pour le pape et ses rencontres avec la jeunesse. «Plusieurs réagissent à l'anticléricalisme de leurs parents.»
Religion et politique
Il existe bel et bien un lien entre la religion et le politique, l'histoire est là pour le prouver. Mais ce lien a beaucoup changé. D'une part, les sociétés occidentales sont maintenant fondées, de jure sinon de facto, sur la séparation entre l'Église et l'État. D'autre part, ces sociétés ont connu depuis les années 1960 une forte sécularisation. Malgré tout le lien existe encore, mais ici aussi il faut user de nuances.
«Les catholiques ne sont pas tous de droite, précise Jean-Guy Vaillancourt, il existe des catholiques de gauche. Ils sont moins visibles parce que plus discrets. Ils préfèrent s'investir dans des causes à l'intérieur d'organismes d'entraide comme Développement et Paix.»
Mais il avoue que plus les gens sont religieux, plus ils tendent vers la droite politique. Un constat que partage Christophe Talin. «Plus on est pratiquant, plus on évolue dans un univers politique conservateur.» Mais il tient à apporter une nuance : ce phénomène se limite aux groupes religieux plus fondamentalistes.
«Des études que j'ai menées parmi les communautés religieuses ont révélé que chez les soeurs, qui partagent pourtant un même univers religieux, on trouve une pluralité politique allant de la gauche à la droite.» Une pluralité politique, croit-il, qui est la norme chez les pratiquants, sauf évidemment chez les fondamentalistes et les intégristes.
Il cite en exemple la droite religieuse américaine. «La droite religieuse américaine a la volonté délibérée non seulement d'investir la sphère publique, mais aussi d'y agir afin de faire valoir ses idées. Elle ne cherche pas à noyauter un parti politique pour ce faire, elle agit surtout comme un groupe de pression auprès des partis politiques. Son arme est le "lobbying", qu'elle juge plus efficace que la politique active.»
Intégrisme et fondamentalisme
Les fondamentalistes religieux, qu'ils soient chrétiens, musulmans ou autres, ont pour but, selon Christophe Talin, de transformer les valeurs de nos sociétés selon leurs croyances et de faire en sorte que leurs valeurs se retrouvent au sein de l'État. Cela mène tout droit à des aberrations, selon lui. «Les commandos anti-avortement, dont la croyance repose sur des valeurs religieuses, sont prêts à aller dans l'illégalité, jusqu'au meurtre parfois, pour faire valoir leurs idées.»
Le retour aux États-Unis du créationnisme, que l'on nomme aujourd'hui le «dessein intelligent», en est une autre preuve. Rappelons que cette idée n'est pas nouvelle : c'est en 1925 au Tennessee que les fondamentalistes américains ont tenté d'inculper, dans un procès connu sous le nom de «procès du singe», un professeur, Thomas Scopes, pour avoir enseigné les lois de l'évolution.
«Il s'agit ici d'un refus net de la modernité», avance Jean-Guy Vaillancourt, propre aux fondamentalistes et aux intégristes de toutes sortes. «Ce sont des gens qui vivent en dehors du monde, renchérit Christophe Talin. Leurs valeurs ne sont pas nos valeurs séculières.» Risque-t-on au Québec d'en subir l'influence ? «C'est peu probable puisque la religion n'est pas présente au sein des partis politiques au Québec.» Et Jean-Guy Vaillancourt de rajouter : «Malgré la visibilité accrue de certains groupes religieux, il ne faut pas oublier que la sécularisation continue d'exister.»
Collaborateur du Devoir
Religion - Regain de la foi et montée de la droite vont-ils de pair?
«Plusieurs jeunes réagissent à l'anticléricalisme de leurs parents»
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