Pour la première fois dans l'histoire bolivienne, le peuple est appelé à se prononcer sur une constitution réclamée par la volonté populaire. Toutes les constitutions antérieures, de 1826 -- écrite par Simon Bolivar et fondant la république -- à celle de 1994, ont été élaborées en dehors de la participation de la majorité de la population. Le vote référendaire du 25 janvier 2009 revêt donc une signification bien spéciale.
Mobilisation pour un nouveau choix de société
Une Assemblée constituante était revendiquée dès 1990, lors de la première Marche pour la dignité, la terre et le territoire. L'initiative de cette marche venait des peuples autochtones de la plaine orientale, ceux habitant les départements de Santa Cruz et du Beni, notamment.
Ce n'est qu'en 2003 toutefois, avec le renversement du gouvernement Sánchez de Losada et sa fuite vers les États-Unis, que l'Assemblée constituante deviendra incontournable pour la classe politique. Elle sera mise sur pied à la suite de l'élection d'Evo Morales comme président et commencera ses travaux en août 2006, après que ses 255 membres aient été élus au suffrage universel.
Dès l'année 2004, les peuples autochtones, les organisations de femmes, les mouvements syndicaux, de paysans, d'enseignants et de sans-terre... se mobiliseront autour de propositions pour refonder le pays. Dans le cas des femmes, par exemple, 400 ateliers tenus dans plus de 150 municipalités urbaines et rurales, couvrant les 9 départements du pays et rassemblant 20 000 femmes venant de 1000 organisations différentes permettront d'élaborer les propositions du mouvement à l'Assemblée constituante.
Un réel débat
En même temps, le débat s'aiguise à travers les médias les plus sérieux et dans plusieurs colloques sur les enjeux soulevés par les propositions faites au cours du processus: nature de
l'État, plurinationalité et multiethnicité, réforme des structures du pouvoir... Bref, la démarche constitutionnelle est majeure et est loin de se limiter à un projet élaboré par les seules autorités du gouvernement du MAS, dirigé par Morales.
Du point de vue de la démocratisation du pays, il s'agit d'une avancée notable quelles qu'en aient été les erreurs par ailleurs, dont une certaine précipitation à mettre des changements en avant sans toujours en mesurer suffisamment la portée. L'addition d'autonomies décentralisatrices, au même niveau hiérarchique -- autonomies autochtones, départementales, municipales et régionales -- est un exemple de cet empressement qui risque de rendre une partie du texte constitutionnel difficilement applicable.
Une refondation nécessaire
Par ailleurs, dans les départements les plus riches, les tentatives d'une minorité privilégiée de faire avorter ce processus démocratique auront échoué. Un vote sur une nouvelle constitution a bel et bien lieu malgré les obstructions, l'argent, les journaux, l'appui états-unien, la violence raciste organisée, voire des massacres... qui cherchaient à empêcher l'aboutissement d'un processus de changement constitutionnel amorcé en 2003.
Il s'agit en effet d'un véritable changement. La majorité de la population bolivienne est d'origine autochtone. Les peuples autochtones y ont survécu malgré l'esclavage et les nombreuses tueries par des colons espagnols, et malgré la servitude imposée sous la république et la surexploitation par des industriels de l'étain, du caoutchouc, puis du pétrole ou de l'agro-alimentaire.
L'exclusion des Autochtones de la Cité n'est pas une figure de style: il leur était interdit de marcher sur les trottoirs ou d'entrer dans les édifices publics il y a quelques décennies à peine.
Si le tournant vers la démocratie amorcé en 1982 a favorisé la reconnaissance de certains de leurs droits, leur condition économique et sociale est demeurée celle qui a connu le moins d'améliorations dans l'ère de la «bonne gouvernance», toutes catégories sociales considérées.
Pas étonnant, à la lumière de ces faits, que la refondation du pays ait été largement souhaitée.
Un projet qui se veut inclusif
Le projet de nouvelle constitution représente aussi un progrès majeur sur le plan juridique. Il accorde des droits égaux aux peuples autochtones. Leur droit à l'autodétermination serait reconnu quant à leur identité et à leurs valeurs spécifiques, quant à leurs ressources et à leurs territoires, sur le plan de leur régime foncier ainsi que sur celui de leur droit coutumier. Leur personnalité juridique, tant comme peuples dont on accepte les institutions que comme individus, est inscrite formellement dans un texte que doit respecter par la suite tout l'ordre juridique bolivien. Des droits reconnus par la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones depuis septembre 2007, une déclaration que le gouvernement canadien a rejetée, se trouveraient en fait constitutionnalisés en Bolivie.
Au surplus, le projet mis aux voix ne porte pas seulement sur les droits des Autochtones. En plus de protéger explicitement tous les droits civils et politiques, comme on le voit rarement dans un texte juridique fondamental, le projet constitutionnalise des droits qui ne le sont pas ici même, au Canada ou au Québec: le droit à l'eau et à l'alimentation, par exemple; l'accès aux ressources hydriques et l'interdiction de leur privatisation; la primauté des salaires et des bénéfices dus aux travailleurs sur toute créance de l'entreprise...
Sur le plan des droits à la sécurité sociale, à l'éducation, à l'habitat ou à la santé, le projet en fait des droits intangibles, au même titre que le droit à l'intégrité personnelle ou à la non-discrimination. Il inclut aussi de nombreux recours que l'État serait obligé de garantir pour assurer l'exercice de tous ces droits et libertés.
Un nouveau vivre ensemble
Malgré ces aspects positifs, c'est au moment de son application qu'une constitution peut révéler sa réelle avancée. Or, des conceptions différentes sont en cause et le débat n'est certes pas clos. Le régime foncier, par exemple, doit-il être restreint à la seule définition qu'en donne notre système capitaliste avec ses titres d'appropriation?
Le débat sur la constitution bolivienne pose ce genre de problèmes à résoudre sur les finalités de la justice, sur l'accès à l'égalité et sur les règles mêmes de la démocratie. La nécessité d'une inclusion effective de la majorité autochtone devra bien se dessiner à partir d'un débat démocratique et d'une concertation de bonne foi entre des populations «condamnées» à vivre ensemble.
Loin d'être sans faille, la constitution proposée représente cependant à cet égard un coup de barre, et de ce fait, un pas en avant dans une direction souhaitable.
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Denis Langlois, Politologue, l'auteur a travaillé de 2001 à 2006 comme conseiller auprès du Defensor del Pueblo de Bolivie. Il a publié récemment Le défi bolivien, aux Éditions Athéna.
Référendum constitutionnel en Bolivie - Le défi d'une refondation
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Denis Langlois2 articles
Politologue
_ Enseignant spécialisé en droits humains
_ Faculté de Sciences sociales
_ Université d’Ottawa
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