Éric Desrosiers - Depuis quelques semaines, une mascotte de panda est aux premières lignes des manifestations. Anachronique, ce câlinours bicolore suscite une improbable vague de sympathie.
Le gouvernement n’arrivera jamais à rien de bon, dans le conflit étudiant, tant qu’il ne comprendra pas mieux à qui et à quoi il a affaire, c’est-à-dire à une génération différente des autres, dont les intérêts débordent les questions d’éducation et qui n’a pas fini de prendre la rue pour se faire entendre.
« Il semble évident que le gouvernement Charest ne comprend pas du tout les étudiants d’aujourd’hui, constate Jacques Hamel, professeur de sociologie à l’Université de Montréal et spécialiste de la jeunesse. Quand les ministres parlent des jeunes, on voit qu’ils parlent de ce qu’ils étaient à leur âge, alors que ça n’a rien à voir. »
Comme étudiants, les jeunes d’aujourd’hui passent presque plus de temps au travail que sur les bancs d’école, observe-t-il. Soucieux de se donner une formation collée à leurs champs d’intérêt, ils préfèrent souvent choisir leurs cours à la carte, plutôt que de suivre un programme particulier, et n’hésitent pas à interrompre leurs études lorsque l’occasion d’un voyage formateur se présente. « Première génération numérique, ils font actuellement la démonstration que cette forme de parcours, tourné sur soi, ne les empêche pas de se montrer très solidaires au besoin grâce, notamment, aux médias sociaux. »
Souvent qualifiés d’enfants-rois, ces jeunes sont plutôt des « négociateurs nés », estime la sociologue du centre Urbanisation, Culture et Société de l’INRS, Madeleine Gauthier, qui travaille depuis plus de 30 ans sur les jeunes. On leur a appris depuis leur plus tendre enfance à discuter d’égal à égal avec les adultes. « Ils ne s’attendent pas nécessairement à toujours gagner, mais ils veulent pouvoir aller au fond des choses. Pour eux, l’autorité vient bien plus de la compétence et de la confiance que de la hiérarchie. Mes collègues professeurs vous le diront, lorsqu’on prend le temps de discuter avec eux et qu’on arrive à une entente, ils peuvent devenir des collaborateurs extraordinaires. »
De ce point de vue, le refus du gouvernement Charest de tenir de véritables discussions avec les étudiants depuis le début du conflit de même que sa manie d’imposer des solutions unilatérales ne pouvaient pas être plus mal choisis, dit-elle. « Les deux parties ne peuvent même pas se comprendre. »
Des droits de scolarité au néolibéralisme
Les enjeux du conflit qui bat son plain depuis plus de 100 jours au Québec dépassent toutefois le simple conflit de générations, poursuit Marcos Ancelovici, professeur au département de sociologie de l’Université McGill et spécialiste des mouvements sociaux. « J’ai vu des gens de tous âges dans la grande manifestation de mardi. Résumer le conflit à un choc des générations serait une façon commode d’en évacuer l’aspect idéologique. Pour moi, il s’agit avant tout d’un conflit gauche droite. »
Si l’élément déclencheur du mouvement de contestation a été la hausse des droits de scolarité, bien d’autres enjeux sont venus s’y greffer. Les étudiants ont été prompts à observer que le scandale de l’îlot Voyageur, l’explosion des campus satellites ou encore le salaire versé à certains recteurs montrent que bien du ménage reste à faire dans les universités avant qu’on puisse parler de véritable sous-financement. Ces accusations de mauvaise gestion ont rapidement été étendues au gouvernement Charest lui-même, qu’on a blâmé pour le scandale de la corruption, le cafouillage sur la question des gaz de schiste, la direction prise par le Plan Nord, sans parler de la répression policière contre les étudiants et la récente adoption de la loi 78.
Les derniers mois ont aussi donné lieu à une dénonciation, beaucoup plus large encore, de la révolution néolibérale, note Jacques Hamel. On la condamne, non seulement pour sa conception utilitariste des études et sa marchandisation du savoir, mais aussi pour la montée des inégalités, les ravages causés par la dernière crise économique mondiale et son incapacité à faire prendre le virage vert au monde. « Le mouvement étudiant se fait notamment le défenseur de l’État-providence contre la privatisation des services publics et le principe de l’utilisateur-payeur. »
Ce discours ne manque pas de rappeler le mouvement des indignés en Europe ou d’Occupy Wall Street qui a déferlé l’an dernier jusqu’à Montréal. Il s’inscrit dans un grand courant de remise en cause des fondements des sociétés développées, observe Madeleine Gauthier. Chez les jeunes, il est entre autres nourri par toute une série de problèmes comme la montée de l’endettement des étudiants, le chômage accru des jeunes et le délitement de la classe moyenne, dont l’ampleur, pour le moment, n’est pas aussi grande ici qu’ailleurs, mais qui fait peur quand même.
Du local au global
Ce passage de la question très concrète et locale de la hausse des droits de scolarité à l’enjeu beaucoup plus large et global de la remise en cause du modèle néolibéral n’est pas le fruit d’une perte de contrôle. « Au contraire, c’est une réussite, dit Gabriel Nadeau-Dubois, porte-parole de la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE). La principale critique qui a longtemps été faite au mouvement étudiant, c’était d’être une grosse machine corporatiste qui défendait ses intérêts au détriment de la population générale. Voyant l’appui au mouvement s’élargir, les mêmes personnes lui reprochent maintenant d’embrasser une cause trop large, trop floue et donc impossible à régler. » Si une entente avec le gouvernement devait se présenter sur les droits de scolarité, les étudiants sauraient mettre un terme à ce chapitre de leur contestation, assure-t-il.
La façon qu’ont eue les médias de couvrir le conflit étudiant n’a pas permis à la population de voir et comprendre tous ces facteurs, déplore Marcos Ancelovici. « La place accordée à la question de la violence est totalement disproportionnée et sert bien la stratégie du gouvernement qui vise à délégitimer le mouvement étudiant. En fait, quand on fait le total du nombre d’actes de violence qui se sont réellement produits et qu’on tient compte de la durée de la crise et du nombre de manifestations qui se sont tenues, je trouve, au contraire, qu’on a fait preuve d’incroyablement de retenue. Je m’en ferais plus à propos de la violence policière. »
Par un amusant retour des choses, ces jeunes Québécois, qui se sont largement inspirés d’autres mouvements de contestation étrangers, semblent en voie d’influencer à leur tour la scène internationale. On sait que leur histoire a déjà été racontée par de nombreux médias étrangers. On rapporte aussi, depuis quelques jours, des manifestations d’appui ailleurs au Canada, mais aussi aux États-Unis, en France ou encore en Amérique latine.
Ce n’est qu’un début
Le Québec n’en a pas fini avec les grandes manifestations de jeunes, prévient Madeleine Gauthier. « La démographie fait qu’ils sont devenus minoritaires et qu’ils ne sont plus l’électorat qu’on cherche à séduire », constate-t-elle. Cette baisse d’influence électorale des jeunes, au Québec comme dans plusieurs autres pays occidentaux, les oblige à chercher d’autres façons de faire entendre leurs revendications. « On les voit un peu partout décider d’occuper l’espace public, c’est-à-dire là où on ne peut pas ne pas les voir et ne pas les entendre. »
Gabriel Nadeau-Dubois se dit fier de ce que les étudiants ont su accomplir ces derniers mois. « On démontre que malgré tous les préjugés qui nous tombent sur la tête comme génération, on est encore capables de se mobiliser et de défendre nos droits, qu’on n’a rien à envier à nos parents, à nos grands-parents. Tout ce bouillonnement a permis de mettre plein d’enjeux sur la table. C’est une grande contribution du conflit étudiant au débat politique québécois. »
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