Paris — Le rapport sur le voile intégral déposé hier à l'Assemblée nationale française ne se contente pas de dresser un tableau approfondi de la situation en France. Il épingle aussi le Canada, où il estime que les groupes intégristes «instrumentalisent» les tribunaux et se livrent à de «véritables surenchères constitutives de dérives communautaristes».
Les parlementaires, qui ont entendu plus de 200 personnes et proposé l'interdiction du port du voile intégral dans les services publics, semblent parfaitement au courant des débats qui déchirent tout particulièrement le Québec. Ils s'en prennent d'ailleurs directement au principe des accommodements raisonnables et aux théories du philosophe Charles Taylor, qui a codirigé avec le professeur Gérard Bouchard la commission dite sur les accommodements raisonnables.
Selon les commissaires, au Canada, «les groupes musulmans radicaux et intégristes instrumentalisent les systèmes juridiques très favorables aux libertés et protecteurs des droits fondamentaux des individus pour obtenir la consécration de droits spécifiquement applicables aux habitants de confession ou d'origine musulmanes».
L'extrémisme prospérerait en exploitant «la théorie juridique des accommodements raisonnables». Une théorie qui suscite par ailleurs au Canada des interrogations de plus en plus prononcées, reconnaissent les rapporteurs.
Citant les témoignages de trois femmes d'origine musulmane, les commissaires affirment que les thèses de Charles Taylor inspirent les «notables politico-religieux» musulmans de France à lancer des revendications identitaires avec pour objectif de faire reconnaître leur minorité «comme une communauté». Un terme plus rarement utilisé en France pour désigner une minorité.
Les rapporteurs s'en prennent nommément au multiculturalisme canadien, qu'ils définissent comme «un différentialisme», une théorie selon laquelle les différences de natures entre les groupes justifieraient un traitement différent devant la loi. Le rapport explique que le multiculturalisme canadien trouve sa source dans le compromis originel entre une majorité anglophone et une minorité francophone. Un compromis élargi à toutes les minorités dans la Constitution de 1982 et l'article 27 de la Charte des droits.
Les membres de la commission estiment que le multiculturalisme canadien a mené à de nombreuses dérives. Ils citent, par exemple, le droit des femmes voilées de «voter sans se découvrir» ou de refuser de retirer leur voile lors d'un contrôle policier sur la route. Ils soulignent de plus qu'au Canada, le bien-fondé de la polygamie «est encore discuté».
En conclusion, les rapporteurs affirment que l'attitude trop libérale du Canada a incité les groupes islamistes à suivre l'exemple des groupes adventistes et mormons et à multiplier les revendications identitaires. Le Canada serait donc une terre d'élection de ce que l'écrivain Abdelwahab Meddeb, cité dans le rapport, identifie comme une «stratégie du grignotage» qui consiste pour les groupes islamistes «à arracher, par des revendications constantes à l'encontre des systèmes juridiques, de nouveaux droits conformes aux normes religieuses qu'ils entendent promouvoir».
Entendu en novembre dernier par la commission, Abdelwahab Meddeb avait affirmé: «L'idée canadienne des accommodements raisonnables me met en colère: le terme même ne correspond pas à l'esprit du droit français! [...] Il y a deux ans, j'ai personnellement combattu, avec d'autres, comme un beau diable, car ces accommodements ont failli aboutir à l'application de la charia.» L'écrivain évoquait la recommandation faite par l'ancienne procureure générale de l'Ontario, Marion Boyd, de créer des tribunaux d'arbitrage familiaux islamiques. Un projet finalement abandonné à la suite de nombreuses manifestations au Canada et en Europe.
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Correspondant du Devoir à Paris
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On peut consulter le rapport sur le site suivant :
http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i2262.asp - P1293_328708
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