Dans son budget de mars 2010, Raymond Bachand avait introduit une distinction qui relevait largement du sophisme entre le gouvernement et les contribuables qui, chacun de leur côté, devaient fournir leur « juste part » de l’effort budgétaire, comme si l’État était une entité étrangère à la population.
Le Journal de Montréal l’avait pris au mot et avait entrepris de mesurer presque quotidiennement si le gouvernement tenait bien sa promesse d’assumer 62 % des coûts du retour à l’équilibre, multipliant les titres assassins sur le « bluff » ou les « mensonges » de M. Bachand, qui avait piqué une colère noire et écrit à Pierre Karl Péladeau pour se plaindre de ce « dérapage ».
En réalité, peu importe comment est répartie la charge, ce sont toujours les contribuables qui paient la totalité de la facture, devant subir à la fois la baisse de services qui résulte de la diminution de la taille de l’État et l’augmentation des tarifs que requiert la résorption du déficit.
Il commençait à devenir urgent pour le gouvernement Couillard de donner lui aussi l’impression que la note serait partagée, même si le rejet bien orchestré des premières recommandations de la commission Robillard a pu laisser espérer que le pire serait évité.
Mardi, le président du Conseil du trésor, Martin Coiteux, a donc annoncé une série de mesures visant à démontrer que le gouvernement était déterminé à faire le ménage dans sa propre cour, tout en mettant la table pour les prochaines négociations dans les secteurs public et parapublic.
Une diminution de 2 % des effectifs de la Fonction publique pour l’année 2015-2016, soit l’équivalent de 1150 postes, semble modeste, quand on pense aux innombrables baby-boomers qui prendront leur retraite au cours des prochaines années, mais ce n’est manifestement qu’un début.
Tous les ministères ont reçu la commande de définir de nouvelles cibles d’effectifs, mais M. Coiteux a assuré que, contrairement à ce qui s’est fait dans le passé, les réductions d’effectifs ne seront pas « paramétriques », c’est-à-dire uniformes, et qu’« une redistribution se fera en fonction des priorités ».
Toute la question est de savoir quelles seront ces priorités dans « l’État du XXIe siècle » qu’il a annoncé, outre les « missions essentielles » que sont la santé et l’éducation. À l’entendre, on a l’impression que le grand ménage est une fin en soi.
Tout le monde ou presque reconnaît qu’un sérieux coup de barre est nécessaire, même s’il y a des divergences en ce qui concerne l’échéancier budgétaire et ses effets sur la croissance de l’économie, mais nommer d’abord les priorités permettrait de savoir ce qu’il faut sabrer et d’expliquer plus facilement pourquoi il faut le faire. Le problème est qu’au sein d’un gouvernement, chacun a ses priorités.
Le président du Conseil du trésor a résumé ainsi sa façon de voir les choses : « Faire plus avec moins à l’interne, avec de meilleurs moyens ». Voilà qui ressemble étrangement à cette pensée magique avec laquelle il voudrait précisément en finir.
Le rapport Duchesneau et la commission Charbonneau ont bien démontré que la perte d’expertise au ministère des Transports était largement responsable de la collusion et de la corruption qui ont coûté des milliards aux contribuables. S’il faut « faire plus avec moins », comment pourra-t-on réembaucher tous ces ingénieurs d’expérience qui ont fui vers le secteur privé parce qu’ils n’étaient pas suffisamment payés ?
S’il y en a un au gouvernement qui ne semble réellement pas savoir où il va, c’est bien le ministre de l’Éducation, Yves Bolduc, qui est incapable d’expliquer pourquoi il faudrait fusionner les commissions scolaires, sinon qu’on lui aurait dit que « généralement » une fusion peut générer une économie pouvant aller jusqu’à un million. Les regroupements imposés en 1998 ont pourtant démontré que l’effet pouvait être exactement l’inverse.
À force de lancer n’importe quoi, il peut néanmoins arriver qu’on dise quelque chose de sensé. Peu désireux de s’étendre sur son différend avec son collègue des Forêts, Laurent Lessard, qui s’oppose férocement à toute fusion forcée dans sa circonscription de Lotbinière-Frontenac, M. Bolduc a expliqué qu’au-delà des structures, la réussite scolaire était la grande priorité.
Cela l’a amené à dire que la valorisation du travail des enseignants devait aussi être une priorité. Si cela doit avoir une signification un peu concrète, il faudrait augmenter leur rémunération de façon substantielle, comme l’a déjà proposé la CAQ. On voit cependant mal comment cela pourrait se concilier avec le message d’extrême frugalité que M. Coiteux a voulu envoyer aux employés de l’État. Ce qu’il y a d’embêtant avec les priorités, c’est qu’elles imposent une certaine cohérence.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé