L'urgence de choisir l'affirmation (1) Une coalition pour faire le pays (2)

Québec, d'abord un projet de pays

Chronique de Claude Bariteau

Version intégrale du texte paru dans Le Devoir du 15 et du 16 avril 2004
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_ L'urgence de choisir l'affirmation
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_ Premier de deux textes
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_ Depuis longtemps, l'avenir du Québec se joue tous les jours. Il y a eu toutefois des périodes tranchantes. L'une d'elles se produira dans les douze prochains mois. L'enjeu : le projet d'indépendance que partagent plus de 2,5 millions de Québécois et de Québécoises de toutes origines. Aussi les décisions qu'ont à prendre le PQ et le BQ sont déterminantes. S'ils ne s'affichent pas clairement et prioritairement indépendantistes, il y aura des scissions et naissance d'un nouveau parti avec le mandat de faire le pays du Québec. Voici pourquoi.
Issu d'une alliance entre deux groupes souverainistes et un troisième, indépendantiste, le PQ a rapproché des personnes associées à deux mouvements, l'un national et l'autre social, inspirés des idées progressistes des années 1970. Ce rapprochement eut ses heures de gloire avec la prise du pouvoir en 1976. Après 1980, ce fut différent : jamais assez à gauche, jamais assez indépendantiste, sauf en 1994-1995, ce parti est peu à peu devenu une organisation sous l'égide d'habiles technocrates, image dont il essaie actuellement de se départir.
Quant au BQ, il est né d'une déception : le refus du Canada de reconnaître le Québec comme une entité politique distincte. Fondé par des dissidents libéraux et conservateurs nationalistes, ce parti s'est solidifié par une percée à gauche et devint un calque du PQ. Parti d'opposition, il s'est voulu défenseur des intérêts du Québec à la Chambre des communes et promoteur de sa souveraineté. Sur la scène canadienne, ce parti brouille les cartes autant qu'il alimente le désenchantement des Québécois.
Ces dix dernières années, la chute du mur de Berlin et la dissolution du bloc communiste ont profondément modifié la donne politique partout dans le monde. Des courants conservateurs et néo-libéraux ont essaimé dans un univers où se sont constitués de nouveaux ensembles supranationaux. Il en a découlé une remise en question des politiques nationales et sociales. Cette mouvance, renforcée en Occident par la valorisation du pluralisme identitaire, amena les États à se doter de nouveaux repères pour contrer l'effritement de leurs assises.
Pour les tenants des réformes sociales et les porteurs de revendications nationalitaires, ce nouveau cadre impose des révisions. Face aux coupes, parfois radicales, dans les programmes sociaux, les premiers firent du maintien de ceux-ci leur principale requête. Quant aux seconds, sous attaque principalement dans les États fédéraux, ils durent choisir entre une démarche sécessionniste, qui remet en question l'intégrité du territoire de l'État auquel ils participent, et un repli qui prône la protection des minorités nationales ou non.
Décodant que l'apparition d'ensembles supranationaux est propice à la création de nouveaux pays, les dirigeants canadiens ont redoublé d'effort pour insuffler de nouvelles fondations à leur pays. Entre autres, ils ont institué des programmes générateurs de rapprochement entre les Canadiens. Décriés au Québec, ils s'y propagent et contrecarrent le développement politique de la société québécoise et sa capacité de déploiement dans le monde. Pour faire accepter ses programmes, le gouvernement fédéral a renforcé les contraintes de sortie, serré la vis dans les paiements de transfert et détourné des fonds pour commanditer sa visibilité au Québec.
Ces dernières années, c'est sur cette toile de fond qu'au Québec se sont réalisés et se réalisent encore débats, crises, palabres, critiques et recherches pour dynamiser les problématiques sociales et revoir la question nationale. De multiples avenues furent identifiées et, parfois, des convergences porteuses d'une nouvelle approche ont vu le jour sans pour autant se matérialiser. Tout se passe comme si le cadre provincial, sous contrôle fédéral, est devenu une entrave pour aborder de front nos problèmes d'aujourd'hui.
Si tout cela n'a pas refroidi nos élans nationalitaires et nos visées sociales, nous nous sommes néanmoins recroquevillés « le cul assis su'l statu quo » (Cowboys Fringants). Et, l'hiver à nos portes, toujours indécis, nous piétinons dans l'attente d'un je ne sais quoi. Mais plus nous piétinons, plus nous perdons du temps. Inlassablement, jour après jour, nous nous transformons en un peuple subordonné qui s'agite dans une arène devenue insignifiante parce que provinciale. Une arène coupée du monde et qui nous en coupe. Quasi un hospice, presque un asile.
Tous les jours, nous devenons cependant plus conscients du contresens de notre présence dans le Canada. C'est d'ailleurs ce qui explique l'existence au Québec d'un mouvement sécessionniste d'envergure qui n'a point de cesse de se développer. Près de la moitié des Québécois et Québécoises de toutes origines s'y rallie. Ses adhérents, majoritairement âgés de 20 à 55 ans et actifs sur le marché du travail, sont d'affinités politiques diverses. Plus au centre et à gauche mais aussi à droite. En grand nombre d'origine canadienne française, s'y trouvent de plus en plus de jeunes de l'immigration récente et des membres des communautés linguistiques.
Fer de lance de la nation politique à laquelle ils s'identifient, ces Québécois et Québécoises veulent un pays membre à part entière des Nations Unies. Un pays foncièrement démocratique et fondé, comme tout État de droit, sur la primauté des droits individuels, la liberté d'opinion et d'association, la valorisation des droits sociaux et culturels, le respect des minorités, la protection de l'environnement et le maintien des engagements du Québec en ces domaines. Ils veulent cela pour s'affirmer.
Ce mouvement sécessionniste, qui nous annonce, tourne cependant à vide. Notre piétinement y est pour beaucoup, nos alignements politiques aussi mais, encore plus, notre hésitation à choisir. Or, choisir, c'est avant tout s'assumer. Choisir de faire sécession, c'est choisir de s'affirmer comme nation politique. C'est choisir de quitter le terrain de l'ambiguïté et celui du repli. Dans l'histoire d'un peuple, cette affirmation est un acte de reconnaissance de soi et d'ouverture au monde. Cet acte installe le « nous » et, par des règles politiques, inscrit les contours du vivre ensemble.
Nous en sommes là, à l'aube d'un événement qui, fortifiant notre univers référentiel, modifiera à tout jamais nos façons d'être. Fonder un pays, c'est ça et plus encore. Il y a vraiment urgence de choisir l'affirmation.
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_ Une coalition pour faire le pays
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_ Dernier de deux textes
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_ Installer le « nous », ça se prépare. Pour savoir ce qu'on veut comme pays, il faut visualiser l'ensemble, en convenir collectivement et se doter d'un cadre politique qui assure autant la participation des citoyens et des citoyennes que l'expression des diverses tendances lorsque des décisions doivent être prises et mises en œuvre.
Avant le dernier référendum, il y avait eu une certaine préparation avec la Commission Bélanger-Campeau. Elle fut complétée par une consultation populaire et la mise au point d'un projet de « souveraineté partenariat ». Il y avait toutefois des flottements sur sa forme. Depuis que le Canada s'est montré récalcitrant à tout partenariat avec le Québec, cette idée, qui battait déjà de l'aile, est aujourd'hui remplacée par un partenariat avec tous les pays en commençant par ceux membres de l'ALÉNA : les États-Unis, le Canada et le Mexique. Ce genre de partenariat s'établit par entente ou traité. C'est ce qui se fera.
Ce point est majeur. Il conduit à voir le Québec comme membre à part entière des Nations unies et de ses organismes subsidiaires, tel l'UNESCO, membre aussi des grands organismes économiques mondiaux, dont l'OMC et la BM, et des organismes militaires auxquels le Canada est associé, l'OTAN et le NORAD, ce qui, dans ce dernier cas, est une pratique reconnue de continuité lorsqu'un pays naît d'une sécession.
Voilà qui met la table. Le Québec dans le monde n'aura rien d'une province. Il assumera les pouvoirs qui reviennent aux États souverains et signera des traités en conséquence. Il aura son armée, un ministère des relations internationales, d'autres pour le développement économique, le transport et les communications, la planification, la protection du territoire, les relations avec les citoyens et citoyennes, celles avec les nations autochtones, la protection de l'environnement, etc. Tout cela s'ajoutera aux pouvoirs qu'assume déjà le Québec : santé, éducation, services sociaux, municipalités, voirie, impôt et tout le reste dorénavant sans ingérence canadienne.
Installer le « nous », c'est faire pays en se dotant d'institutions en propre pour y véhiculer nos visées. Il nous revient de l'édifier en introduisant des paramètres à notre mesure. Le lendemain de sa fondation, si le Québec change de statut, les forces sociales qui l'animent ne vont pas s'évanouir. Elles seront au contraire porteuses des orientations qui caractérisent nos façons de faire. Elles s'activeront sur plus de dossiers et seront encore plus parties prenantes des vraies décisions.
Cela introduit à un deuxième point majeur : le cadre politique à l'intérieur duquel nous vivrons ensemble. Le cadre actuel résulte d'aménagements introduits progressivement à l'intérieur d'un système parlementaire, d'origine monarchique, qui faisait sens dans un ordre colonial. Ces aménagements, s'ils en ont bonifié le fonctionnement, n'ont pas changé la nature de ce système. Sa particularité est d'accorder un pouvoir législatif et exécutif trop grand au Premier ministre et au parti qui détient le plus grand nombre de sièges. Un régime qui sépare clairement le pouvoir législatif du pouvoir exécutif favorise mieux la participation à la rédaction des lois et rend plus imputables les membres du gouvernement. Les régimes républicains ont habituellement cette portée. Il nous reviendra d'en instaurer un qui favorise le débat et permet de prendre des décisions qui rejoignent les préoccupations de l'ensemble des citoyens et des citoyennes.
Une telle installation a tout d'un projet de pays. Quand une nation politique en est là, ses priorités changent. Installer le « nous » prime, de loin, sur tout projet de société. Il prime parce que cette installation fonde le pays au sein duquel nous débattrons de projets de société, c'est-à-dire des pratiques sociales, de nos positions dans les grands dossiers, des orientations données à l'armée, etc.
Rendus où nous sommes, lier projet de pays et projet de société conduira à des culs-de-sac, les plus importants étant l'unanimisme et la banalisation des débats. Il importe plutôt de s'entendre sur le projet de pays et les institutions politiques, dont le type de régime, que nous voulons pour assumer notre vivre ensemble dans le monde d'aujourd'hui. Nous en sommes là. Ça se sent. Comment dire? Une nation politique, qui a franchi tout ce chemin, sait, un jour ou l'autre, que c'est là qu'elle voulait se rendre.
Quand une nation politique en est là, il lui revient d'inventer une voie qui conduira au pays. Sur ce point, le recours à un référendum, valable pour refaire le Canada en association ou en partenariat, a le défaut d'obliger à un détour pour aller à l'essentiel. Ce détour est l'élection d'un parti qui en fait la promesse. La réforme annoncée du mode de scrutin le rendra tortueux. De plus, ce détour, parce qu'il ouvre la porte à la gouvernance, peut se transformer en piège ou, les contraintes de la loi C-20 aidant, devenir un cauchemar. Mieux vaut une démarche directe et sans faux-fuyant.
Alors, que faire? Nous n'arriverons pas à fonder le Québec éparpillés dans des partis qui prônent divers projets de société. Nous continuerons de piétiner et, le temps aidant, nous nous automutilerons. La nouvelle voie peut passer par une coalition qui, temporaire mais ô combien importante, réunit des forces sociales, parfois des partis et des personnes, connues et respectées, dans la poursuite d'un intérêt commun. Fonder un pays, c'est mettre à l'œuvre ceux et celles qui partagent ce projet.
La coalition actuellement prônée par le PQ n'a pas cette visée. Au nom d'une certaine souveraineté, elle vise à rassembler des forces de gauche et de droite pour mieux asseoir au centre des idées réformistes. Sa visée est d'accéder au pouvoir et, de là, réaliser un troisième référendum. Cette approche ne tiendra pas la route. Nous sommes à un tournant qui nécessite la création d'un moyen qui assurera le passage au pays. Aussi importe-t-il de créer une coalition indépendantiste.
Le PQ et le BQ pourraient devenir le théâtre de cette coalition en se dotant d'un programme politique de pays et en optant pour une plate-forme qui y conduit. Pour ce faire, ils doivent s'afficher clairement et prioritairement indépendantistes. Cette coalition faite, ses membres devront tenir un discours de fondateurs de pays et dire haut et fort qu'il n'y a rien à gagner à gérer l'hospice que devient la province au sein du Canada, leur seul but étant de faire le pays dès leur élection à la majorité absolue. Si le PQ et le BQ n'empruntent pas cette voie, il y aura des tensions majeures, probablement des scissions.
Sous attaque, les Québécois et les Québécoises doivent aujourd'hui se surpasser. Ils se préparent depuis longtemps à se doter d'un pays, multipliant leurs expertises et leurs savoir-faire dans tous les domaines. Au dernier référendum, ils ont même préparé avec responsabilité le lendemain d'une victoire. À notre connaissance, peu de peuples aussi jeunes ont tant investi, sans armes et sans violence, pour fonder leur pays. Il ne faudrait surtout pas, le moment venu d'agir, s'égarer dans des errances douteuses alors qu'on peut choisir une voie qui rassemble et conduit droit au but.
Claude Bariteau et André Campeau
_ anthropologues.

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Claude Bariteau49 articles

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Claude Bariteau est anthropologue. Détenteur d'un doctorat de l'Université McGill, il est professeur titulaire au département d'anthropologie de l'Université Laval depuis 1976. Professeur engagé, il publie régulièrement ses réflexions sur le Québec dans Le Devoir, La Presse, Le Soleil et L'Action nationale.





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