vendredi 31 décembre 2004
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Certains ont la fâcheuse tendance à confondre le progrès avec la fuite en avant. Or, en ce moment de passage des ans, nous devons nous imposer cette réflexion. Peut-on faire avancer les choses en balayant le passé? La tabula rasa peut-elle nous emmener ailleurs qu'au néant?
Il faut souligner que la tendance à conjurer le passé serait moins douteuse si ces thuriféraires ne se recrutaient pas parmi les ignorants fiers de l'être. Quand l'ignorance se porte à la boutonnière comme une vertu, il y a matière à méfiance. D'autant qu'elle s'accompagne d'une impatience envers ceux qui incarnent ce passé. En d'autres termes, elle recouvre une lutte des classes d'âge qui résume de façon percutante le slogan publicitaire «Tasse-toi, mon oncle». Or la complexité de la vie moderne, due en partie à la circulation effrénée de l'information, exige le rappel constant de la mémoire. Et les faits de mémoire ne «s'intuitionnent» pas, ils s'acquièrent par la connaissance vécue ou livresque.
Les artisans de la Révolution tranquille qui furent les parents des baby-boomers avaient hérité d'un passé trempé de foi, certes, mais aussi d'histoire et de philosophie. Ces artisans formés par les humanités classiques n'étaient pas tous des intellectuels, loin s'en faut, mais ils avaient grandi en côtoyant les philosophes et les théologiens. La pensée de saint Thomas d'Aquin et d'Aristote forme peut-être davantage l'esprit que la vision télé-réalité de la pédagogie actuelle. Et l'histoire sainte se compare sans hésitation à l'histoire universelle réinventée au goût du jour cinématographique. Autrement dit, l'histoire de la Nouvelle-France racontée par les curés vaut bien celle du film du même nom racontée par un cinéaste évacuateur de la réalité historique. Car la culture religieuse est incomparable à l'inculture laïque.
Notre société vit une longue transition entre cette culture religieuse, justement, et l'acquisition d'une vraie culture laïque, laquelle ne peut faire fi du passé. À cet égard, nous sommes particulièrement vulnérables face aux revendications identitaires et religieuses de minorités qui mènent un combat pour imposer leurs valeurs, lesquelles contredisent souvent celles qui nous ont construits mais que nous avons implicitement écartées ou, pire, tenté d'effacer. Nous sommes des chrétiens culturels et des catholiques sociologiques, quelles que soient nos prétentions par ailleurs. L'année est ponctuée de fêtes religieuses dont le sens se perd, mais il n'en demeure pas moins que ce calendrier s'appelle liturgique. La culture, c'est aussi de le savoir. Et cette culture-là est à portée de tous.
La fuite en avant se vérifie aussi dans l'obsession actuelle pour la réalité apparente. C'est le syndrome à la fois du direct et de la culture pop. La vie de chacun, mise en scène par le montage, est offerte aux masses voyeuses pour consommation immédiate. Cette vie est présentée sans le passé qui l'a construite et sans d'autre avenir que la fin de l'émission. La majorité du contenu télévisuel se déroule selon ce mode de l'instantanéité, faisant éclater le sens de la continuité des choses, des émotions, des sentiments. On pourrait avancer ce paradoxe de la fuite en avant dans le présent défini comme absolu. Dans cette perspective, on peut parler de déshumanisation car ce qui est humain suppose une évolution.
L'agitation, en lieu et place de l'action, caractérise aussi la fuite en avant actuelle. S'agiter, c'est faire du surplace en faisant croire qu'on évolue. Autre façon de remettre à plus tard les responsabilités non assumées et les décisions non prises. L'agitation est le leurre moderne le mieux partagé en réussissant à confondre le plus grand nombre. De plus, l'agitation contrevient aux règles de base de la pensée et de la transmission des connaissances; elle permet de s'informer, pas d'apprendre. La nuance, ici, est de taille.
À l'occasion du premier de l'An, il est d'usage d'offrir des voeux mais aussi de prendre quelques bonnes résolutions. On me permettra de nous souhaiter à tous une année 2005 marquée par la lucidité et le courage afin de ne pas céder au cynisme ambiant ou à l'angélisme, ce tic si canadien qu'il nous fera perdre notre âme si on n'y prend garde. Personnellement, je prends aussi la résolution de poursuivre le fertile dialogue avec vous et, pour ce faire, je tenterai de ne pas reculer devant la polémique, voie obligée pour éclairer nos esprits. Je nous souhaite aussi le paradis avant la fin de nos jours.
denbombardier@videotron.ca
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