Québec 2018: dans les coulisses des campagnes électorales

Dd5023738cc5d87d57671edab871ff6f

La politique à l'ère d'internet : les banques de données sont devenues incontournables

Une campagne électorale est un casse-tête de planification, mais une occasion en or pour les partis et leurs chefs de se démarquer. Si le visage des aspirants premier ministre qui font des promesses sur le petit écran est ce que les électeurs voient pendant des semaines, il y a une équipe monstre derrière ces images, pour marquer des points tout en évitant les faux pas. La Presse canadienne vous emmène voir ces collaborateurs, dans les coulisses de la future campagne électorale.


Où se déroule l'événement de campagne?


La chef ou le chef veut faire une promesse électorale pour favoriser les familles. Ce serait beaucoup mieux de faire l'annonce dans une cour de maison, avec des jouets d'enfants éparpillés sur le gazon. Il faut du bon visuel pour les télés. Mais comment éviter au candidat péquiste de se retrouver dans une maison libérale?


L'entourage du chef communique avec le candidat local, qui connaît son monde, ou encore avec l'association de circonscription. Les candidats locaux font aussi des propositions à l'entourage du chef. Des vérifications sont alors faites chez la personne qui sera l'hôte de l'événement. La Sûreté du Québec en fera aussi: il ne faut pas que le lieu de l'événement soit associé au crime organisé!


Quant aux scénarios, ils sont élaborés dans le «war room» (centre de stratégie) par l'équipe responsable de la tournée.


Puis, pour l'exécution, tous les partis ont leurs équipes «d'éclaireurs» qui vont faire du repérage. Ils y vont bien avant l'événement prévu pour vérifier si tout convient. Des coursiers partent avec les pancartes, l'équipement, le lutrin, le son et l'éclairage. Il y a plusieurs équipes qui sillonnent le Québec simultanément.


Une annonce dans une ferme? Un événement dans une école? Il faut les trouver, et rapidement: l'horaire de campagne est rajusté constamment, au gré de ce que font les autres partis, mais aussi de l'actualité.


Parfois des candidats se mettent en duo ou en trio pour aller voir les électeurs, dit Gabrielle Lemieux, la présidente du Parti québécois (PQ). «On va les voir dans l'espace public, pour ne pas trop les incommoder», dit-elle.


Les endroits privés, c'est plus rare, convient Josée Lévesque, l'organisatrice en chef des libéraux pour les prochaines élections. Mais si oui, «on s'assure d'aller cogner à la porte d'un bon libéral».


L'image du candidat


Il faut aussi que le candidat paraisse bien, question d'éviter des photos «à la Gilles Duceppe avec son bonnet», des images du chef bloquiste qui avaient été désastreuses pour sa campagne. Le chef avait été moqué en 1997 pour avoir porté un filet de protection sanitaire sur sa tête en visitant une fromagerie.


La candidate ou le candidat ne doit pas non plus être trop habillé: un complet trois-pièces jurerait pour aller éplucher du blé d'Inde.


Un membre de l'entourage du chef caquiste avait aspergé son chef François Legault d'antimoustique en campagne en 2012 pour éviter des mouches noires autour de sa tête lors d'une annonce sur une ferme. Qui avait pensé à le traîner dans l'autobus de campagne? Mystère, mais le chef a sûrement évité de mauvaises caricatures grâce à l'esprit d'initiative de ce collaborateur.



L'ancien premier ministre canadien Stephen Harper avait souvent sa maquilleuse dans son autobus. L'ancienne chef péquiste Pauline Marois avait un réseau de coiffeurs à travers le Québec.


Le chef caquiste reçoit chaque jour des «assignations vestimentaires». De petites notes qui lui indiquent «avec ou sans cravate», ou «atmosphère détendue: jeans et veston sport». C'est juste pour l'aider, car il a beaucoup d'autres choses sur lesquelles se concentrer, explique Brigitte Legault, la directrice générale et organisatrice en chef de la Coalition avenir Québec (CAQ).


Côté image, Québec solidaire (QS) indique ne pas trop en imposer aux co-porte-parole. «On les a choisis à cause de leur personnalité. Donc on ne veut pas trop les changer», précise Nika Deslauriers, la présidente du parti, aussi responsable de la tournée électorale. Mais l'équipe fait des suggestions pour qu'ils soient à leur meilleur. Une maquilleuse? Manon (Massé) et Gabriel (Nadeau-Dubois, les deux porte-parole) ne se maquillent pas beaucoup, souligne Mme Deslauriers.


L'image est une préoccupation, mais cela ne doit pas être déconnecté de la personne, dit de son côté Mme Lemieux. On doit s'arranger pour communiquer les caractéristiques du chef, poursuit-elle. Jean-François Lisée par exemple, est un père de famille et un «moulin à idées».


Pas de coiffeur ni de maquilleuse pour Philippe Couillard. «C'est au naturel», répond Mme Lévesque. Et puis, il va lui-même chez son coiffeur, au centre d'achat, dit-elle.


Les banques de données


Sont-elles devenues l'arme du 21e siècle des campagnes électorales?


Tous les partis se confectionnent des listes bien gardées de qui a voté pour eux la dernière fois, qui a l'intention de voter pour leurs candidats et qui ne s'est pas encore pointé au bureau de scrutin le Jour J.


Et ils ont tous répondu utiliser ce genre de banques de données, en précisant qu'elles n'ont pas l'ampleur de ce qui a été fait aux États-Unis lors des récentes campagnes présidentielles.


La CAQ dit avoir investi dans des logiciels faits maison, mais que ses banques se limitent à l'information que les citoyens veulent bien lui dévoiler. Elles servent à communiquer avec les sympathisants et à leur donner de l'information en cours de campagne, mais aussi à cibler les gens à convaincre. Il faut quand même appeler les gens, dit Mme Legault.


Même son de cloche du côté du PLQ: les données sont offertes volontairement par les partisans, au cours des années. «On n'achète pas de listes», dit Mme Lévesque.


Stratégies électorales


Les partis cherchent des gens bien connus, avec un solide curriculum vitae. Car avec 125 circonscriptions au Québec, il est difficile pour le citoyen de se souvenir de tous les visages et des noms.


En 2012, la CAQ avait notamment misé sur son «trio d'incorruptibles» — Jacques Duchesneau, Maud Cohen et Sylvie Roy — ces «candidats-vedettes» qui se déplaçaient en petit troupeau, avec un surnom accrocheur. Cela avait attiré l'attention des électeurs.


Des vedettes peuvent effectivement aider un parti politique à avoir de l'attention, dit Mme Deslauriers. Mais ce n'est pas tout. «Il y a aussi la reconnaissance du milieu, du terrain.» «Chez Québec solidaire, on a surtout misé sur ça.»


Une prestation à la populaire émission télévisée du dimanche soir «Tout le monde en parle» (TLMEP) peut prendre des airs de passage obligé.


«Ça devient un incontournable pour les chefs», dit l'organisatrice du PLQ.


Mais cela pose un défi. Le candidat-chef doit être retiré de la route, pour se préparer et se trouver physiquement dans la ville où l'enregistrement a lieu. Et comme il y a trois débats télévisés pour cette élection, «TLMEP» met le chef en arrêt pour une autre journée. Cela représente quatre jours sur 33 ou 35 de campagne, c'est énorme, dit Mme Legault, alors que l'on veut que le chef rencontre un maximum de gens, dans un maximum de régions du Québec.


«C'est sûr que c'est important», comme les débats, juge de son côté Nika Deslauriers. En 2012, la porte-parole Françoise David s'était réellement démarquée dans cette joute. Quant à «TLMEP», l'émission a toujours été équitable envers les partis, constate l'organisatrice. Et ça donne un tremplin pour QS, qui n'a pas toujours la visibilité souhaitée.


---------------


Des anecdotes de campagne


Lors d'une tournée de festivals western et de campings en 2012, un festivalier avait écrit une musique pour le chef de la CAQ François Legault, une espèce de ritournelle country. Les journalistes de Radio-Canada l'ont fait jouer «tous les jours» dans l'autobus de campagne, raconte Mme Legault. «Ils nous ont cassé les oreilles avec ça. La chanson nous hante encore.»


En 2007 ou 2008, QS avait loué un bureau qui était auparavant une animalerie. Tout le monde qui entrait disait qu'il y avait une drôle d'odeur. «Comme une senteur de chien mouillé!», s'est exclamée Nika Deslauriers.


Pendant une campagne, l'autobus du chef libéral est tombé en panne. Un garagiste local a gentiment accepté d'ouvrir en plein milieu de la nuit pour le réparer. On ne voulait pas que la journée débute mal, explique Mme Lévesque. Histoire d'éviter des titres tels que «la campagne libérale en panne». «Mais les journalistes ne l'ont jamais su!», assure-t-elle.