Quand Ottawa et Québec font marche arrière dans le dossier autochtone

Par Rémi Savard

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Le 21 juin dernier, Le Devoir publiait un article cosigné par Warren Allmand, Bernard Landry et Roméo Shaganash à propos d'un autre virage en catimini du gouvernement conservateur. Après le coup de Kyoto, ce dernier s'apprêtait à descendre en flammes la présentation, au tout nouveau Conseil des droits humains (Human Rights Council) de l'ONU, du projet de déclaration sur les droits des peuples autochtones.
Le texte de ce dernier était l'aboutissement d'une vingtaine d'années de discussions au sein d'un groupe de travail créé par l'ancienne Commission des droits de l'homme de l'organisme international. Au cours de cette période, le Canada, les États-Unis, l'Australie et la Nouvelle-Zélande n'avaient longtemps ménagé aucun effort pour empêcher ce groupe de travail de soumettre une telle déclaration à ladite commission. Mais, dans la foulée de la Commission royale canadienne sur les peuples autochtones (1991-1996), le Canada s'était ravisé et avait même contribué à rallier plusieurs États membres autour d'un texte appuyé tant par les autochtones que par les ONG.
Or le représentant du Canada au nouveau Conseil des droits humains a tout fait pour que le président de cette instance refuse de recevoir le projet de déclaration, allant même jusqu'à demander, le 29 juin dernier, de voter sur la version présentée. Résultat: 30 États membres ont voté en faveur, alors que seulement deux ont voté contre (le Canada et la Russie) et que douze ont préféré s'abstenir. La déclaration a bel et bien été adoptée par le Conseil, tandis que la cote du Canada sur la scène internationale poursuivait sa dégringolade amorcée récemment par sa navrante contre-performance au sujet de l'accord de Kyoto.
Ce tête-à-queue canadien n'est pas sans rappeler celui de l'actuel gouvernement québécois dans le dossier des négociations avec les Innus.
Après une vingtaine d'années de stagnation et de poursuites judiciaires de la part des Cris, le Parti québécois avait finalement compris qu'on avait tout intérêt, de part et d'autre, à ce que ces litiges fassent l'objet d'une négociation de peuple à peuple. Ce qui avait conduit à la signature, le 7 février 2002, d'une entente connue sous le nom de Paix des Braves entre Québec et le Grand Conseil des Cris.
Nouveau climat politique
On s'apprêtait d'ailleurs à en faire autant avec les Innus, après plus de vingt ans de négociations sans résultat. Ce fut justement cette année-là que les Innus de Pessamit décidèrent de suspendre leur recours judiciaire signifié en 1998 aux deux ordres de gouvernement, en vue d'obtenir des compensations pour la construction de treize barrages hydroélectriques construits chez eux sans leur consentement depuis les 50 dernières années.
Le nouveau climat politique ayant présidé à la Paix des Braves les avait sans doute convaincus qu'il y avait lieu de donner une dernière chance à la négociation. On parlait déjà à Québec de nouvelles ententes avec les Innus. Malheureusement, depuis l'arrivée du gouvernement libéral, le dossier des négociations est pratiquement demeuré au point mort. Et, tout récemment, celui des papetières est venu s'y ajouter. Il n'y a donc rien d'étonnant à voir les gens de Pessamit se tourner de nouveau vers les tribunaux, comme l'avaient fait les Cris avant la Paix des Braves.
Or, de quoi nous entretenait le courant médiatique dominant quand Jean Charest s'entêtait à ne pas donner suite aux discussions amorcées avec les Innus avant son arrivée aux affaires de l'État, et que Stephen Harper annulait les avancées de plus d'une décennie dans le dossier autochtone à l'ONU? De Madona, de la Formule 1, des FrancoFolies, du Festival Juste pour rire, du Mondial de soccer, d'un nouvel épisode de la saga de la salle de concert, etc. Une vieille habitude de plusieurs médias consiste à regarder ailleurs quand ça ne semble pas nous toucher de trop près. Mais que les Innus de Pessamit annoncent une réclamation de 11 milliards, alors on se déchaîne. Quitte à dire n'importe quoi.
On les accuse d'abuser des recours aux tribunaux pour faire la queue au tiroir-caisse. Comme s'il s'agissait du conflit entre Alstom et Bombardier, alors que l'enjeu n'est rien de moins que l'avenir d'un peuple. On va même jusqu'à leur rappeler qu'ils ont été conquis, alors que les administrations coloniales, tant française que britannique, ne leur ont jamais fait la guerre. Et pour clore le débat, on sert à ceux qui pensent autrement l'imparable argument de l'«overdose de rectitude politique».
Décidément, dans la controverse en cours sur la réforme de l'enseignement de l'histoire au Québec, tous les partis entendus à ce jour se situent encore à un niveau bien superficiel; comme si une pièce majeure de l'histoire des descendants de colons que nous sommes avait été retirée du dossier.
Rémi Savard : Anthropologue, spécialiste des questions amérindienne


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