Préserver l'avenir

Tout cela ne signifie pas que la population croira soudainement M. Charest. Il y a eu tellement de mensonges et de promesses brisées depuis 2003 qu'il aura bien du mal à convaincre ceux qui ne veulent même plus entendre ses explications.

JJC - chronique d'une chute annoncée



Jean Charest n'a certainement pas besoin d'y être invité par Stéphane Bédard ou de faire une marche pour réfléchir à son avenir. Et peu importe où il voit cet avenir, il sait parfaitement qu'il sera plus ou moins brillant selon l'état dans lequel il quittera la politique.
Même s'il a conservé une certaine popularité au Canada anglais, «l'odeur de corruption qui émane de la commission Bastarache» a sans doute anéanti le peu d'espoir d'un retour sur la scène fédérale qu'il pouvait encore entretenir, écrivait hier un collègue chroniqueur du National Post.
Qu'il songe à une nouvelle carrière sur la scène internationale ou dans l'entreprise privée, il demeure néanmoins essentiel pour le premier ministre de dissiper dans la mesure du possible la détestable impression qu'il laissait les collecteurs de fonds du PLQ choisir les juges.
Il est difficile de voir comment il aurait pu se faire plus convaincant que dans son témoignage d'hier. Comme les bons joueurs de hockey, M. Charest a toujours su élever son niveau de jeu dans les moments critiques.
Certes, le procureur en chef de la commission a été d'une très grande déférence, et on peut compter sur le fougueux procureur de Marc Bellemare pour mener un contre-interrogatoire plus serré, mais il faut reconnaître que le premier ministre s'était très bien préparé et qu'il a témoigné avec un remarquable aplomb.
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M. Charest a souvent recours à des formulations qui lui laissent une porte de sortie, au cas où il serait surpris à tripoter la vérité. Cette fois-ci, il a réfuté les allégations les plus graves de Marc Bellemare d'une façon on ne peut plus catégorique. «C'est faux. C'est impossible», a-t-il martelé.
Il faut se fier à la parole de l'ancien ministre de la Justice pour croire à l'existence de la fameuse rencontre du 2 septembre 2003, au cours de laquelle il se serait plaint à M. Charest des pressions exercées par Franco Fava et Charles Rondeau. À moins d'une inimaginable falsification de son agenda, les apparences plaident cependant en faveur du premier ministre.
Le premier ministre a droit à ses petites habitudes, comme tout le monde, mais le fait de s'asseoir à un endroit différent de son bureau, selon qu'il s'entretient avec un de ses ministres ou avec un visiteur de marque, ne prouve strictement rien.
En revanche, il est très difficile de croire que M. Bellemare et lui avaient été laissés tout fin seuls, comme l'a soutenu l'ancien ministre. Il arrive parfois qu'un premier ministre sème ses gardes du corps, mais ceux-ci ne désertent jamais.
Contrairement à ce que M. Fava aurait dit à M. Bellemare, il est bien possible, voire probable que ni lui, ni Charles Rondeau, n'étaient très intimes avec M. Charest. Ce ne serait pas la première fois qu'une grande gueule fabule pour impressionner.
Tout cela ne signifie pas que la population croira soudainement M. Charest. Il y a eu tellement de mensonges et de promesses brisées depuis 2003 qu'il aura bien du mal à convaincre ceux qui ne veulent même plus entendre ses explications.
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Pourvu que la commission Bastarache préserve son avenir en l'innocentant du pire, M. Charest semble tout disposé à se laisser taper sur les doigts pour avoir empiété sur les prérogatives normalement réservées au ministre de la Justice.
Sa description du processus de nomination des juges a donné la nette impression que c'est lui qui recommande les candidats à la magistrature au ministre de la Justice et non l'inverse. D'ailleurs, c'est un peu ce qu'avait dit Kathleen Weil, en avouant candidement qu'elle n'avait pas l'expérience pour évaluer elle-même les postulants.
Le premier ministre n'a «pas de souvenir» d'une nomination qui aurait donné lieu à un désaccord avec son ministre de la Justice. D'ailleurs, il est même arrivé que ce dernier ne lui fasse aucune recommandation, a-t-il expliqué. Auquel cas, il s'est évidemment fait un devoir de le suppléer. Le commissaire trouvera peut-être à redire, mais la population ne s'en formalisera sans doute pas.
Si «l'allégeance politique n'est pas un critère important» dans le choix d'un juge, on peut toutefois se demander pourquoi la responsable des nominations à son bureau, Chantal Landry, prenait sur elle de vérifier l'allégeance politique des candidats.
Même dans les situations délicates, M. Charest ne perd jamais son sens de l'humour. Hier, il a déclaré le plus sérieusement du monde que les candidatures recommandées par l'opposition étaient traitées sur le même pied que celles venant du côté ministériel.
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mdavid@ledevoir.com


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