Près de la moitié des sociétés publiques paient moins de 20 % d'impôt

Pour remédier en partie au problème, Léo-Paul Lauzon remet de l'avant l'idée d'un impôt minimum des sociétés, comme il en existe un en Ontario et dans d'autres pays industrialisés.

Budget Québec 2008

Quelque 45 % des 200 plus grandes sociétés publiques canadiennes rentables ont payé moins de 20 % d'impôt sur leurs profits en 2005, révèle une étude de la Chaire d'études socio-économiques de l'UQAM dévoilée hier.

Non seulement le taux d'impôt officiel combiné des sociétés est-il passé de 47 % en 1999 à 32 % en 2005, mais la plupart des entreprises paient beaucoup moins que cela, en réalité, sur leurs bénéfices annuels, a dénoncé le titulaire de la chaire, Léo-Paul Lauzon, lors d'une conférence de presse.
Pour y parvenir, les entreprises profitent d'innombrables abris fiscaux qui ont pour effet de diminuer leurs bénéfices nets et, du coup, leurs charges d'impôt réelles (amortissement accéléré de l'équipement, déduction des frais de recherche et développement, entre autres). Pour M. Lauzon, tout cela n'est que «maquillage comptable» et «générosité excessive des gouvernements».
«Ici, c'est rendu un paradis fiscal», a-t-il déclaré, en rappelant que le taux d'imposition des sociétés était plus faible au Canada qu'aux États-Unis.
«Nos gouvernements se privent volontairement de recettes fiscales, a déploré le coloré professeur. Ça n'a aucun maudit bon sens qu'en pleine période d'opulence économique et de profits records d'entreprises, tous nos services publics crient autant famine.»
Une fois de plus, le professeur s'en est pris à Alcan, qui n'a pas payé d'impôt sur ses bénéfices au Canada depuis 2001, alors que pendant la même période, l'entreprise a versé 1,5 milliard de dollars aux fiscs de la France, des États-Unis, de l'Allemagne, du Royaume-Uni et de l'Australie. En fait, depuis 2001, Alcan a eu droit à un remboursement d'impôts de 106 millions au Canada.
L'étude, à laquelle ont contribué les chercheurs Marc Hasbani et Martine Lauzon, souligne en outre qu'en 2005, Gaz Métro, le Canadien Pacifique, Gildan, Suncor Energy et ACE Aviation (la société mère d'Air Canada) ont payé moins de 5 % d'impôt sur leurs bénéfices, qui totalisaient 3,6 milliards, alors que Cogeco, la Financière Manuvie, Shaw Communications, Epcor Utilities et le Canadien National ont payé moins de 10 % d'impôt sur leurs profits collectifs de 7,3 milliards.
Critiques
Pour remédier en partie au problème, Léo-Paul Lauzon remet de l'avant l'idée d'un impôt minimum des sociétés, comme il en existe un en Ontario et dans d'autres pays industrialisés. Selon lui, un impôt minimum de 5 % sur les profits des grandes entreprises rapporterait chaque année un milliard à Québec et deux milliards à Ottawa, et cela «sans mettre en péril» la compétitivité fiscale du pays.
Luc Godbout, professeur de fiscalité à l'Université de Sherbrooke, conteste ces projections. Dans une étude parue en 2006, le fiscaliste et deux de ses collègues évaluaient à 75 millions le montant que tirerait Québec d'un impôt minimum sur les bénéfices, en se fondant sur l'expérience ontarienne, où une telle mesure existe depuis 1994.
La même étude soutenait qu'en dépit de la baisse des taux d'imposition des entreprises, au cours des dernières années, les montants que les gouvernements perçoivent auprès de ces dernières ont crû plus rapidement que le produit intérieur brut (PIB).
Aux yeux de M. Godbout les aides fiscales accordées aux entreprises constituent des moyens efficaces de favoriser le développement économique.
Ces arguments ne trouvent évidemment aucun écho chez Léo-Paul Lauzon, qui cite un rapport de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) selon lequel la contribution des entreprises aux recettes fiscales du Canada est passée de 14,9 % en 1965 à 10,5 % en 2005. De plus, entre 1995 et 2004, les subventions aux entreprises ont bondi de 90 % pour atteindre 19 milliards, d'après l'Institut Fraser.
Le prof Lauzon ne manque pas de rappeler, non plus, que Statistique Canada a estimé à 88 milliards les actifs détenus en 2003 dans des paradis fiscaux.
«C'est d'une violence inouïe, a-t-il lâché. Il y a de la mortalité qui se cache derrière ça. [...] Vous le voyez, le sous-financement des services publics, il y a des gens qui meurent dans les hôpitaux à cause de ça.»
De son côté, le président du Conseil du patronat du Québec, Michel Kelly-Gagnon, a affirmé dans un communiqué que «les études du professeur Lauzon sont surtout motivées par un acharnement idéologique contre la libre entreprise et s'inspirent d'une vision marxiste qui a été un échec total partout où elle a été appliquée».
Selon M. Kelly-Gagnon, la méthodologie de l'étude est «spécieuse». «Prétendre comme le fait M. Lauzon que les entreprises pratiquent l'évasion fiscale à grande échelle est non seulement absurde mais équivaut à diffamer des milliers de gestionnaires et de comptables qui y travaillent», a-t-il ajouté.
Avec Le Devoir


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