Power Corp. et la Caisse de dépôt et placement se jouent du Québec!

Notre collaborateur Robin Philpot a attaché le grelot, en février l'an dernier, en écrivant que la Caisse de dépôt prenait un risque considérable en prêtant des sommes colossales au financier Paul Desmarais pour les investir dans l'exploitation des sables bitumineux en Alberta. Or Robin Philpot avait vu juste, le prix du pétrole albertain a fait une chute dramatique au cours des 12 derniers mois entrainant d'ailleurs un manque à gagner de 6 milliards dans les revenus de cette province. Le PDG de la Caisse, Michael Sabia, est-il en train de nous conduire à des pertes comparables à celles que cette institution a connues sous la direction de Henri-Paul Rousseau?

La promiscuité de Michael Sabia, président de la Caisse de dépôt, et de Jean Charest avec la famille Desmarais de Power Corporation
( 02 ) a heureusement soulevé tout un débat. On s’indigne de cet évident conflit d’intérêts où l’homme chargé de gérer notre bas de laine accepte des cadeaux de puissants intérêts privés et, par conséquent, leur devient redevable.
Pour saisir la gravité de ce conflit, toutefois, il faut pousser l’analyse plus loin.
Soyons clairs : ce sont les Desmarais et Power Corporation ( 03 ) qui ont besoin de la Caisse de dépôt et des millions de dollars qu’elle gère. Pas le contraire !
Depuis que Power a abandonné le Québec en 1989 pour des pâturages plus verts, c’est entre autres sur l’industrie pétrolière et gazière qu’elle compte pour un pourcentage important de ses profits.
L’entreprise de prédilection est Total, 4e pétrolière au monde, que Power contrôle par le truchement du Groupe Bruxelles Lambert ( 04 ). Or Total figure parmi ces grandes pétrolières qui sont engagées actuellement dans une lutte à finir pour exploiter et exporter le pétrole provenant des sables bitumineux de l’Alberta ( 05 ).
Une lutte à finir ? Oui, parce que l’opposition à cette industrie est très vive, au Canada comme aux États-unis ; parce qu’il s’agit d’une industrie terriblement polluante qui contribue au réchauffement planétaire; et finalement parce que l’exploitation des sables bitumineux ainsi que l’exportation du pétrole qui en découle nécessitent des investissements énormes, de sorte qu’un sérieux doute persiste quant à sa rentabilité à long terme.

C’est là qu’un grand investisseur institutionnel de l’envergure de la Caisse de dépôt et placement du Québec ( 06 ) devient extrêmement utile. Les intérêts des Desmarais et des autres prennent de la valeur dans la mesure où ils peuvent livrer d’énormes investissements à l’industrie pétrolière canadienne, une industrie qui marche à l’unisson avec le gouvernement de Stephen Harper et que celui-ci a identifiée récemment comme LA priorité de l’économie canadienne.
Qu’en est-il donc de la Caisse de dépôt? À en juger par l’augmentation récente de ses investissements dans l’industrie pétrolière albertaine, on pourrait penser que c’est Stephen Harper même qui décide – si ce n’est pas la famille Desmarais.
En effet, de tout son portefeuille de placements dans des sociétés ouvertes, ce sont les actions de Suncor ( 07 ) qui représentent le plus gros investissement dans une seule entreprise (derniers chiffres disponibles), soit 704 millions $. Ce n’est pas moins de cinq fois plus qu’en 2007 et dix fois plus qu’en 2003.
Même scénario pour les autres entreprises pétrolières albertaines :
MEG Energy, 221 millions$ en 2010 contre 0 en 2007 ;
Nexen Inc., 196 millions$ en 2010, contre 68 millions$ en 2007 ;
Canadian Natural Resources Inc., 564 millions$ en 2010, contre 410 millions$ en 2007 et 88 millions en 2003 ;
Enbridge, 578 millions$, contre 29 millions$ en 2007. Et ça continue avec Cenovus, Talisman, Royal Dutch Shell, Progress Energy et bien sûr Total S.A.
En somme, sous la direction de Michael Sabia
( 08 ), la Caisse a doublé, triplé ou quadruplé ses placements dans les entreprises qui exploitent les sables bitumineux. Mais il y plus. La Caisse de dépôt investit tout particulièrement dans les entreprises bailleurs de fonds du projet d’oléoduc Northern Gateway ( 09 ) de l’Alberta à Kitimat en Colombie-Britannique.
Sans cet oléoduc controversé par lequel transiterait le pétrole brut avant d’être exporté vers l’Asie, l’exploitation des sables bitumineux pourrait connaître une fin abrupte.
Le maître d’œuvre de ce projet est Enbridge
( 10 ) tandis que les bailleurs de fond sont Total S.A., Suncor, Nexen et Cenofus, tous devenus des chouchous de la Caisse de dépôt sous Michael Sabia.
En s’alliant si étroitement à l’industrie pétrolière albertaine, la Caisse de dépôt sert à merveille les intérêts des Desmarais et des pétrolières albertaines, mais elle dessert gravement les intérêts du Québec.
Premier danger, le rendement. Il n’y a rien qui garantit que les sables bitumineux seront rentables à moyen et à long terme. Déjà, les pétrolières s’arrachent les cheveux en voyant la valse hésitation des États-unis dans le projet d’oléoduc Keystone, ( 11 ) ce qui fait baisser la valeur du pétrole.
Aussi, en 2005, la grande Jane Jacobs avait confié que, selon elle, les sables bitumineux allaient heurter un mur. Bref, l’énorme coût de production fait en sorte que, tôt ou tard, il serait plus intéressant d’investir dans d’autres sources d’énergie pour obtenir un rendement semblable.

« La loi des rendements décroissants travaille contre cette industrie » - Jane Jacobs


Deuxième danger. En livrant d’énormes montants d’argent à l’industrie pétrolière, la Caisse contribue à doper le dollar canadien, ce qui entraîne une baisse des exportations du Québec, d’importantes pertes d’emploi et la fermeture d’usines (ex., Mabe: Electrolux). Tant que la valeur du dollar canadien dépend du pétrole, le Québec perdra sur toute la ligne.
Troisième danger, et non le moindre. Le Canada s’est retiré du traité de Kyoto ( 13 ) à cause de l’industrie pétrolière du Canada et, en particulier, des sables bitumineux. Si d’autres pays décident que des pénalités doivent être appliquées aux exportations du Canada parce qu’en refusant de respecter Kyoto, il donne un avantage discriminatoire à ses propres industries – l’OMC reconnaît ce droit depuis 2009 – le Québec risque d’en faire les frais. Ses exportations seront frappées de nouveau, ce qui entraînera autant de pertes d’emploi et d’autres fermetures.
Les Desmarais ne font jamais rien pour rien. L’histoire démontre qu’ils travaillent sur le long terme. Aussi, le séjour familial chez les Desmarais à Sagard n’est jamais innocent. Seuls les « innocents » le croiraient.
Le PDG de la Caisse à Sagard
Invité avec femme et enfant, le président de la Caisse de dépôt et placement du Québec, Michael Sabia, a passé une fin de semaine aux frais des Desmarais au luxueux domaine de Sagard, dans Charlevoix, l’été dernier.
Cette « proximité » avec la puissante famille est loin de faire l’unanimité, notamment auprès d’un ancien président de la Caisse.
M. Sabia et sa petite famille étaient les invités du président et cochef de la direction de Power Corporation, André Desmarais, au cours de la fin de semaine des 12, 13 et 14 août, a appris le Journal.
Sagard est une immense propriété privée sur laquelle se trouvent de nombreux bâtiments, un golf privé et surtout une immense maison qui rappelle le Château de Versailles, en France.
Selon nos sources, le commissaire de la Ligue nationale de hockey, Gary Bettman, était un des convives de ces réjouissances, ainsi que d’autres personnalités des milieux politique et financier.

Aucune règle violée
À la Caisse de dépôt, le porte-parole, Maxime Chagnon, a insisté pour dire qu’il s’agissait d’une simple « activité sociale » à laquelle M. Sabia s’est rendu, en voiture, avec sa femme et sa fille. « Suggérer autre chose que l’activité sociale serait purement mensonger, dit-il. Il n’y avait aucun lien avec son travail. »
Mais Jean Campeau, ancien président de la CDPQ de 1980 à 1990, ne minimise pas l’affaire. « Je n’aurais jamais accepté une telle invitation. J’ai toujours tâché de garder une certaine distance avec les grands financiers, même avec Pierre Péladeau, qui était sur le conseil d’administration de la Caisse de dépôt », a-t-il commenté.
Selon cet ancien ministre des Finances de Jacques Parizeau, « un président de la Caisse a tellement d’influence qu’il doit garder ses distances. Ça permet d’éviter la proximité. Il ne faut jamais être trop ami avec quelqu’un ».
Maxime Chagnon jure qu’aucune règle éthique n’a été violée et que l’indépendance de la Caisse n’est nullement compromise à la suite de cette invitation.
« Michael n’est pas un moine qui passe son temps à Saint-Benoît-du-Lac, a-t-il imagé. Il gère 152 milliards d’actifs nets. Il doit entretenir des relations d’affaires avec les milieux d’affaires et les milieux politiques au Québec et ailleurs. »
Michel Nadeau, de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques et ex-vice-président de la Caisse, est plutôt de cet avis.
« Un séjour de deux jours pour la famille de M. Sabia, ça ne doit pas être déraisonnable. C’est un peu comme si vous alliez dans un camp de pêche ou un camp de chasse. Je ne vois pas de faux pas », a-t-il mentionné.
Des questions
Yves Michaud, du Mouvement de défense des actionnaires, n’est pas d’accord. «Administrer le bas de laine des Québécois, il faut le faire avec pudeur et retenue, a-t-il tonné. Dans ce cas-là, il n’y a eu ni pudeur ni retenue.» M. Michaud trace un parallèle avec
Henri-Paul Rousseau, président de la Caisse au moment où 40 milliards sont partis en fumée lors de la grande crise de 2008, devenu vice-président de Power Corporation quelques semaines après avoir quitté la Caisse
Sans surprise, l’essayiste Robin Philpot, auteur du livre Derrière l’État Desmarais : Power, croit lui aussi « qu’un dirigeant de la Caisse doit garder une apparence d’indépendance des gens comme Power Corporation.
«Il a un devoir de réserve. La présence de Bettman est surprenante à moins que les Desmarais aient voulu l’influencer contre un projet de Quebecor.»
D’après M. Philpot, la « cadeau » fait par les Desmarais à M. Sabia est de lui permettre de « fréquenter des gens bien et de manger avec les grands. C’est une question de prestige ».
Amir Khadir, député provincial de la circonscription de Mercier, région de l'Île-de-Montréal, réclame une enquête formelle du Commissaire au lobbysme sur les activités de Power Corporation. Le député de Québec solidaire demande que les investigations incluent les liens entre l’entreprise et le premier ministre Jean Charest.
« Si M. Sabia ne sait pas qu'il y a un manquement au code de déontologie et à l'éthique, c'est un manquement grave, de jugement et de compétence ». Outré par les révélations qui s’accumulent sur les séjours de personnes influentes au domaine de la famille Desmarais à Sagard et le silence de celles-ci, M. Khadir a décidé de s’en mêler. Il a fait parvenir hier une missive au commissaire au lobbysme du Québec, François Casgrain.

01 Qui est Robin Philpot ? Il est aussi l’auteur de Derrière l’État Desmarais : Power (Les Intouchables)
02 Michael Sabia, Jean Charest et Paul Desmarrais de Power Corporation - Dossier sur les rencontres au domaine Sagard propriété de la famille Desmarais
03 Qu'est-ce que Power Corporation ?
04 Que sont Total et Groupe Bruxelles Lambert ?
05 Que sont les sables bitumineux de l’Alberta ?
06 Qu'est-ce que la Caisse de dépôt et placement du Québec ?
07 Qu'est-ce que Suncor ?
08 Qui est Michael Sabia ?
09 Qu'est-ce que l’oléoduc Northern Gateway ?
10 Qu'est-ce que Enbridge et qui sont les Propriétaires
11 Qu'est-ce que le projet d’oléoduc Keystone ?
12 Qui est Jane Jacobs ?
13 Qu'est-ce que le protocole ou traité de Kyoto ?


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