Pourquoi il faut craindre le Plan Nord

Plan NORD du PLQ


Les projets de désenclavement du Nord que caresse le gouvernement québécois portent en eux les germes d’un chambardement écologique sans précédent au Québec. En ce sens, le Plan Nord que présentaient récemment Nathalie Normandeau et Jean Charest constitue une menace.

Photo : Jacques Nadeau - Le Devoir


Louis-Gilles Francoeur - J'avais le privilège, il y a quelques années, d'aller prendre le café avec Pierre Dansereau dans son «laboratoire» de l'UQAM, à deux pas du Devoir, après qu'il eut été nommé professeur émérite. Je profitais de ces moments uniques avec ce maître à penser pour tester des hypothèses qui ont souvent débouché plus tard sur des confirmations scientifiques.
Un jour, je lui racontais comment j'avais pris en moins d'une heure trois énormes truites grises au pied d'un rapide vierge à la Baie-James, auquel j'avais eu accès en hélicoptère tout en sirotant un scotch sur de la glace enfouie sous une énorme butte de mousse depuis plus de 10 000 ans! Le pilote m'avait fait remarquer que chaque prise était moins grosse que la précédente. Et, me disait-il, les miennes étaient moins grosses que celles qu'il avait fait prendre au même endroit à un cadre d'Hydro-Québec.
Normal, m'expliquait Pierre Dansereau, car les meilleurs affûts dans une rivière sont monopolisés par les prédateurs les plus puissants. Si on sait où les prendre, ils seront remplacés par de plus petits. Et ainsi de suite. C'est pourquoi, ajoutait-il, quand un groupe de pêcheurs se pointe sur un petit lac vierge de cette région sauvage, avec une limite légale de quatre prises chacun, ils peuvent changer profondément en quelques jours l'écologie d'un lac vierge où tout naturellement les gros poissons forment une cohorte dominante. La capture de ces dominants modifie profondément la structure d'âge de la population au profit de plus petits spécimens. Si on cessait d'y pêcher totalement par la suite, il faudrait néanmoins plusieurs dizaines, voire des centaines d'années dans certains cas, pour reconstituer une pareille population.
Mais alors, lui dis-je, l'ouverture d'un territoire aussi vaste à des milliers de chasseurs et pêcheurs, blancs et autochtones, pourrait donc modifier le caractère biologique fondamental d'une région entière comme la Baie-James, plus grande que la moitié des pays de la planète. Fort probablement, m'avait répondu l'éminent écologiste, qui ajoutait aussitôt que le phénomène du «désenclavement», ou l'ouverture par les routes, d'un aussi vaste territoire vierge pourrait théoriquement dépasser par ses impacts ceux réunis des projets hydroélectriques proprement dits, dont les impacts sont plus localisés.
J'ai dès ce moment posé à répétition cette question aux gens d'Hydro-Québec sans obtenir vraiment de réponse claire, jusqu'à ce que la société d'État dévoile les grandes lignes de son étude d'impacts sur le défunt projet hydroélectrique sur la rivière de la Grande-Baleine. On y admettait, pour la première fois officiellement, que le désenclavement d'un vaste territoire vierge pourrait avoir des impacts plus importants que ceux associés à un projet. Le phénomène est souvent rapide, car parmi les milliers de travailleurs de la construction qui acceptent de s'isoler pour des mois dans ces régions, la plupart ont comme passe-temps favori... la pêche et la chasse. Et ce n'est pas la présence de quelques gardes-faune qui peut empêcher l'impact cumulatif d'une récolte aussi intense, même totalement légale.
Si on applique ce raisonnement au Plan Nord, on est forcé de poser comme hypothèse que le dédale de routes prévu pour les mines, les barrages, l'exploration, pour relier les communautés, etc., aura probablement sur l'écosystème vierge de cette région plus d'impacts cumulatifs globaux que tous les projets évalués à la pièce.
La promesse du premier ministre Jean Charest de préserver 50 % de ce territoire apparaît dès lors comme une protection très fragile. En effet, on pourrait citer plusieurs régions du Québec dont la moitié du territoire est encore naturel. Mais les écosystèmes de ces régions ne sont plus ce qu'ils étaient: les populations animales, aquatiques et ailées ont changé parce que l'autre moitié a profondément été altérée, y compris par une intense récolte faunique.
Éviter à la moitié du Grand Nord d'importants projets industriels risque de ne pas protéger son caractère fondamental d'Amazonie du Nord, d'écosystème vierge, sauf si l'accès et la récolte faunique n'y sont pas limités, voire interdits par rapport au risque d'invasion par les gros 4x4, quads, aéronefs et embarcations à moteur qui peuvent faciliter l'accès aux territoires les plus reculés. Une des faiblesses de cette protection, si jamais on la met en place, réside d'ailleurs dans la récolte faunique croissante d'une population autochtone elle-même en croissance, ce qui ne fera que reculer l'échéance du chambardement écologique.
Épargner à la moitié du Grand Nord les grands projets industriels ou énergétiques risque donc de ne pas suffire pour préserver l'intégrité actuelle de ces territoires, nos derniers coffres-forts de la biodiversité, à moins qu'on les mette à l'abri d'une intense pénétration humaine et d'une récolte susceptible de modifier les populations animales propres à un écosystème faiblement exploité sur le plan faunique. Voilà, à mon avis, le véritable enjeu écologique du Plan Nord. Toutes les évaluations environnementales stratégiques (EES) ainsi que les analyses d'impacts cumulatifs n'y changeront rien s'ils arrivent à justifier, même progressivement, le désenclavement de ces écosystèmes vierges. Mais gageons qu'il y aura des dizaines de consultants, ingénieurs, forestiers, géologues, géographes et même des biologistes pour soutenir le contraire. Cela nous vaudra, à juste titre le cas échéant, un verdict justifié de saccageurs de la part des prochaines générations et de la communauté internationale, devant laquelle le Québec est le fiduciaire, et non pas le propriétaire, d'un des derniers bastions de la biodiversité nordique.
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Suggestion de lecture: Décroissance versus développement durable. Débats pour la suite du monde, par Yves-Marie Abraham, Louis Marion et Hervé Philippe, éditions Écosociété, 237 pages. Si vous voulez lire un livre sur l'environnement qui vous servira autre chose que les clichés verts traditionnels, c'est celui-là. On y présente les analyses de plusieurs écologistes et chercheurs qui avaient participé à un colloque organisé par HEC Montréal en 2009. Mais ces textes, remaniés et complétés, dressent la table pour une revue critique d'un développement qui veut tourner pour lui-même et non pour assurer la «soutenabilité» (quel calque barbare de l'anglais!), disons plutôt la viabilité de la planète et de nos sociétés par une décroissance planifiée de la consommation, l'hérésie ultime de notre temps. Si vous ne devez lire qu'un seul livre sur les enjeux environnementaux occultés par le discours dominant, ce sera sans doute celui-là en 2011.


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