Il faut reparler de Tout le monde en parlait. Radio-Canada a lancé les célébrations entourant le 40e anniversaire de la Crise d'octobre avec un diptyque diffusé jeudi et vendredi dernier. Le travail a déboulonné plusieurs mythes et légendes concernant cette période plombée du Québec et du Canada contemporains, avec, en prime, quelques scoops retravaillés pour les téléjournaux. On redit donc bravo et merci au journaliste Guy Gendron et à son équipe.
L'examen critique du rôle des médias dans cette crise amplifie l'intérêt. Ce travail documentaire a dénoué l'entortillement complexe et constant des actions et des réactions de ce temps fou pour le contrôle de la propagande. Le fil rouge est là, et les leçons tombent une à une concernant les médias, objet de toutes les convoitises.
La révélation du projet «Showtime» cristallise cette volonté de rééducation des masses du point de vue felquiste. Le groupe a sérieusement pensé prendre d'assaut Radio-Canada pour y forcer la diffusion d'un documentaire de 24 heures sur la condition des ouvriers québécois. Quarante ans plus tard, Jacques Lanctôt en parle encore comme d'un «téléthon». Guy Gendron a même révélé que le cinéaste Jean-Luc Godard, alors dans ses années maoïstes — La Chinoise ressemble à un scénario du FLQ... — les aurait convaincus d'abandonner le délirant projet.
Narcissisme postmoderne
Les zélateurs de ce militantisme violent veulent encore y voir de l'engagement politique. Ne serait-ce pas plutôt les balbutiements du narcissisme postmoderne déjà obsédé par la projection médiatique de soi? Vingt-quatre heures ou quinze minutes de gloire, c'est tout comme. En tout cas, YouTube, Facebook et même la téléréalité s'avèrent franchement moins dangereux...
Toutes les actions suivantes ont oscillé autour de cette obsessionnelle volonté de prise de contrôle des médias selon une idée naïve, très souvent partagée à l'extrême gauche, qu'il suffit d'ouvrir les yeux au bon peuple aliéné pour qu'il se révolte. Pour relâcher James Richard Cross, le FLQ exigeait la lecture publique d'un manifeste bourré de misérables slogans en petit-nègre d'Amérique: «À côté de ça, Rémi Popol la garcette, Drapeau le dog, Bourassa le serin des Simard, Trudeau la tapette, c'est des peanuts.» On est loin, très loin de Marx ou de Frantz Fanon...
L'annonceur Gaétan Montreuil a lu ces simulacres de slogans révolutionnaires d'un accent franchouillard coupé de son Saint-Henri natal. Tout le monde en parlait parle d'un temps déraisonnable, d'une drôle d'époque journalistique où les animateurs arrondissaient leurs fins de mois avec de la pub pour Timex («Elle marche encore!»).
La télévision en direct
Bernard Derome a cassé ce mauvais moule en refusant des fortunes en pub tout en faisant admettre à ses patrons l'évidence que l'indépendance et la crédibilité journalistiques ont un prix. Dans le premier volet, on le voit avec Claude Jean Devirieux inventer la télévision en direct. Et maintenant, par une immense ironie perverse, quand survient une tragédie, l'information en continu emprunte à la mise en scène et au spectacle. C'est le «showtime» à perpétuité, pour ne pas dire une autre forme de terreur médiatique...
Le pouvoir politique et la police bataillaient tout aussi ferme pour le contrôle de l'information. Les derniers segments du documentaire ont prouvé qu'après la tragédie, le fédéral a télécommandé un article au reporter-vedette Peter C. Newman où était inventé de toutes pièces un complot pour fomenter un coup d'État. Le directeur du Devoir, Claude Ryan, était présenté comme un des seize leaders de cette révolte. Pitié...
Le délire répondait au délire. La politique-fiction rejoignait alors la terreur du spectacle. L'événement devint une sorte de performance disputée entre les terroristes, le pouvoir et les médias pour le contrôle de l'imaginaire du public.
Au fond, en décortiquant comment «tout le monde en parlait», cette enrichissante et profonde analyse a mis en évidence la naissance de la société du spectacle au Québec, le début d'une immense accumulation de projections médiatiques du réel où «tout ce qui était directement vécu s'est éloigné dans une représentation». Et bien sûr, comme l'écrivait alors Guy Debord, ce spectacle médiatisé n'aura été que le mauvais rêve d'une société empêtrée...
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