Poisson d’avril

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Les anglo-saxons profitent de la pandémie pour attaquer le modèle laïc français


Il est vrai qu’on a été privé de Pâques et du Vendredi saint. Suivant des aléas du déconfinement, il se pourrait même que, dans certains endroits, on soit privé de Pentecôte. Pourtant, tout indique que ce dont certains ne se consolent pas — mais là vraiment pas — c’est d’avoir raté le 1er avril.


C’est ainsi qu’on a récemment pu lire, dans le prestigieux Washington Post, un article digne d’un véritable poisson d’avril. Avec le plus grand sérieux, le quotidien qui connut ses heures de gloire à l’époque du Watergate avec Bob Woodward, titrait : La France impose le masque, mais continue à interdire la burqa.


Non, ce n’est pas un canular ! « Les gens sont obligés de porter un masque à l’école secondaire et dans les transports publics », nous révèle le Washington Post, en évoquant les récentes règles promulguées par le premier ministre, Édouard Philippe. Pourtant, martèle le correspondant sur un ton éploré, « de nombreux musulmans, défenseurs de la liberté religieuse et universitaires jugent avec ironie une société soudainement obligée d’imposer de se couvrir le visage alors même qu’elle s’est fait une telle vertu du visage découvert. »


Ainsi, James McCauley fait-il mine de s’étonner qu’« une femme musulmane qui voudrait prendre le métro à Paris soit obligée d’enlever sa burqa et de la remplacer par un masque. » Or, si ironie il y a, elle est bien dans le grossier sophisme que suggère l’argumentation de l’auteur et de ses interlocuteurs. On pourrait même en faire un cas d’école dans les cours de français et de philosophie.


On ne reviendra pas sur l’ensemble du débat concernant le voile qui révèle des différences culturelles et philosophiques profondes entre un monde anglo-saxon dominé par ses nombreuses sectes protestantes et le culte des droits individuels et un monde plus latin où l’Église a laissé la marque d’une identité partagée et d’une façon de vivre plus collective et solidaire. Une division qu’a parfaitement illustrée au Québec le débat sur la loi 21.


Contentons-nous de souligner en quoi le procédé est parfaitement démagogique. N’importe quel élève du secondaire est en mesure de comprendre qu’ici le paradoxe n’est qu’apparent. En effet, il n’y a pas la moindre contradiction entre l’interdiction générale de se voiler le visage dans les lieux publics — une loi fondée sur des raisons d’ordre public et le respect des exigences minimales de la vie en société — et le port d’un masque pour des raisons sanitaires. D’ailleurs, la loi française votée en 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public (et dont on trouve des équivalents en Belgique, au Danemark, en Bulgarie, en Italie, en Autriche, au Tchad, au Cameroun et au Sénégal) comporte de nombreuses exceptions, dont le port d’un masque pour des raisons de santé et pendant le carnaval, ou celui d’un casque de moto.


Ne reculant devant aucun effort, notre collègue du Washington Post est même allé jusqu’à s’enquérir auprès du ministère de l’Intérieur si la loi de 2010 s’appliquait toujours en temps de pandémie. Tant qu’à décrire les affres de la vie quotidienne en France, il aurait pu demander au ministre de l’Éducation si la loi de l’Instruction publique, qui impose l’école obligatoire, était toujours en vigueur. Car, il n’aura échappé à personne que les écoles sont fermées depuis deux mois. Et c’est ainsi qu’Allah est grand, aurait probablement conclu ce cher Alexandre Vialatte.


On ne s’étonnera pas que l’article ait été relayé sur les réseaux sociaux, où la règle des 280 caractères a érigé le sophisme en roi. Il le fut notamment par le directeur général de l’ONG Human Right Watch Kenneth Roth. Un organisme pour qui les règles de la convivialité française semblent plus préoccupantes que le sort de ces millions de femmes à qui des potentats islamistes imposent le port du voile et tant d’autres sévices.


Que des militants brandissent de tels contresens, sur une loi par ailleurs approuvée par l’immense majorité des Français, n’a rien de surprenant. Mais que les mêmes raccourcis intellectuels soient repris dans l’article par quatre « experts », comme par hasard tous d’accord entre eux, laisse pantois. On ressort de cette lecture avec l’impression d’une rhétorique qui tourne à vide et d’un entre-soi qui ne se donne même plus la peine de parler du fond des choses ni de respecter la logique élémentaire.


On peut s’opposer à la laïcité française ou québécoise, la dénoncer et la critiquer. Là n’est pas la question. Mais pas avec des arguments aussi infantiles. Si le débat intellectuel n’exige pas que l’on soit d’accord, il a tout de même ses règles.


C’est le géographe Christophe Guilluy qui expliquait combien l’entre-soi que pratiquent trop souvent ces milieux universitaires où domine un radicalisme de salon était en train d’appauvrir le débat en général. L’article du Washington Post en est malheureusement un triste exemple. Il devrait nous amener à nous interroger sur le niveau du débat d’idées dans une presse grand public trop influencée par les médias sociaux et la rhétorique militante, et malheureusement de plus en plus encline à se soumettre à la loi du moindre effort.


 


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