Avocat expérimenté, Thomas Mulcair aurait pu répondre aux journalistes que la décision du juge Keith Boswell de la Cour d’appel fédérale ne se prononçait pas sur le niqab, mais seulement sur une règle simple, claire et ancienne : aucun ministre n’a autorité pour changer une loi du Parlement fédéral. L’affaire aurait pu en rester là, mais il a cru bon de profiter de l’occasion pour transmettre son message sur sa vision des droits et libertés.
Interrogé à savoir s’il appuierait une loi conservatrice interdisant le port du niqab à une cérémonie d’assermentation, il s’est empressé de répondre : « Pas plus que je voterais en faveur d’une loi qui vous enlèverait la liberté de presse, voyons donc ». Tenant à préciser son message, il ajoutait : « Un gouvernement ne peut pas enlever votre liberté de presse ou d’expression, pas plus qu’il ne peut interférer dans d’autres libertés ».
Bref, pour le chef néodémocrate, la liberté ne serait pas seulement une valeur fondamentale, mais sacrée, de sorte que le gouvernement ne pourrait demander au Parlement d’intervenir pour en réguler l’expression. Outre Justin Trudeau, il rejoint ainsi Philippe Couillard qui cherche à diviniser sa propre fiction de la liberté en proclamant que : « L’intégrisme fait partie des choix personnels de chacun », allant jusqu’à la proposer comme arme de combat : « La meilleure arme contre les intégristes est la liberté ! »
Un même vent de liberté souffle donc tant du côté de Québec que celui d’Ottawa. Au Québec, c’est l’Assemblée législative qui va bientôt sceller cette idée sacrée de la liberté. Examinons donc la question du côté du Québec où des projets de loi, compatibles avec les idées de Mulcair et de Trudeau, ont déjà été déposés.
Légaliser la liberté… de faire tout ce que l’on veut
Les malaises suscités par la propagation de l’islam idéologique, et son implantation chez nous, exigent que l’on prenne l’affaire au sérieux et, surtout, que notre gouvernement prenne les mesures de circonstance pour calmer les esprits et garantir à chacun la sérénité de l’avenir. Philippe Couillard, lors de son assermentation comme député, en décembre 2013, s’était engagé à agir : « Nous proposerons bientôt des moyens efficaces !… pour lutter contre cette menace qui, elle, est bien réelle. » Cependant, quelques semaines plus tard, il exprimait à des militants libéraux une drôle d’idée sur sa façon d’enrayer la menace : « La meilleure arme contre les intégristes est la liberté », disait-il.
Stupéfiée et scandalisée par la bizarrerie des idées du chef, la députée Fatima Houda-Pépin avait été sommée de s’y rallier, et même de les défendre en public. Puis, suite à des actes d’intimidation pour tenter de la plier à cette façon inusitée de combattre l’intégrisme, elle était cavalièrement virée du caucus libéral. La dynamique se clarifiait donc autour du chef libéral : la liberté d’expression excluait la possibilité d’exprimer le moindre désaccord avec l’idée – mystique ! – qu’il se fait de la liberté.
Puis, en octobre, rattrapé par les attentats de Saint-Jean-sur-le-Richelieu et d’Ottawa, il ne peut éviter les journalistes qui veulent en savoir plus sur les mesures qu’il entend prendre pour rassurer la population. Dans un premier temps, il y va d’une déclaration qui ne laisse aucun doute sur son sentiment d’impuissance face aux évènements : « C’est terrible ! … il faut espérer que cela ne se reproduise plus ». Toufefois, il a une bonne pensée pour les droits et libertés des intégristes qui mènent un combat à finir pour réaliser leur rêve d’un Royaume de Dieu sur la terre : « L’intégrisme, dit-il, est une pratique religieuse poussée à l’extrême qui, tant qu’elle n’enfreint pas les droits des autres, fait, bien sûr, partie des choix personnels de chacun ! » L’essence même de la liberté résidant dans la capacité de « choisir », le chef libéral restait fidèle à l’idée sublime qu’il avait eu quelques mois auparavant : « La meilleure arme contre les intégristes est la liberté ! ».
Cet engagement passionnel pour la liberté rejaillit à une autre occasion où il est question de religion. Le chef libéral montre à nouveau qu’il a de la suite dans les idées : « On ne changera pas notre principe : le respect des chartes ! » Puis, interrogé sur la possibilité de recourir à la clause dérogatoire pour protéger la population des excès de l’islam idéologique, il garde la même hauteur d’esprit : « Nous n’emprunterons jamais cette voie ! » Bref, son choix idéologique paraît inexorable : la liberté est la meilleure arme pour triompher des extrémistes ! Alors voyons ce qu’il en est de la législation qu’il nous propose pour concrétiser ces belles idées.
Dénaturer la liberté pour mieux légaliser le fanatisme
Le 10 juin dernier, sa promesse de « proposer bientôt des moyens efficaces » pour assurer la sécurité de la population se réalise sous la forme des projets de loi 59 et 62 parainnés par la ministre de la justice, Stéphanie Vallée. Malgré les belles idées du chef libéral, le premier projet s’en prend à la liberté d’expression, et le deuxième à la liberté de conscience. C’est de ce dernier dont nous allons ici traiter.
Dans son titre, le projet de loi 62 annonce une politique visant à favoriser la neutralité religieuse de l’Etat par l’encadrement des demandes d’accomodements religieux. Toutefois, bien avant d’avoir terminé la lecture des dix-huit articles du projet, on réalise que le titre a toutes les apparences d’un tour de magie. Une formulation plus conforme à l’esprit de ce qui y est écrit aurait pu être simplement comme suit : « Loi invitant les extrémistes et extravagants de tout acabit à venir jeter de l’huile sur le feu pour mieux semer le désordre au milieu de la paix ». Poursuivons.
Lors du dépôt du projet, la ministre Vallée s’est empressée de dire : « Ce n’est pas un projet de loi sur les vêtements ! » Cette déclaration fait référence à la section du chapitre qui traite des services à visage découvert. Mais il y a là quelque chose qui sonne faux : il n’y a jamais eu, parmi les serviteurs de l’Etat, le moindre problème « de sécurité, de communication et d’identification » découlant de la façon de se couvrir le visage. Alors, quelle est l’utilité de légiférer pour régler un problème qui n’existe pas ? Force est de conclure que l’astuce réside dans son interprétation « a contrario ». Voici comment.
En prescrivant que le dévoilement du visage pour des raisons « de sécurité, de communication et d’identification » sera la seule limite à la tenue vestimentaire, l’Etat proclame haut et fort la souveraineté « des choix personnels de chacun » en matière de signes religieux et convictionnels. À l’exception de l’obligation de se découvrir le visage au moment de la prestation d’un service, la liberté est absolue. Qui plus est, l’exception est bien relative puisque toute personne qui invoquera une croyance sincère pourra se prévaloir d’un accomodement religieux. Les attentes les plus extravagantes seront ainsi comblées. On aura droit à des scènes de carnaval idéologique tous les jours. Même les intégristes n’en reviendront pas : ils verront leur fanatisme avalisé par la loi ! Quant à la liberté de conscience de tous les autres, protégée par le principe de laïcité, le projet l’ignore totalement.
La ministre Vallée avait bien raison de nous prévenir « qu’il ne s’agissait pas d’un projet de loi sur les vêtements ». En fait, c’est un projet de loi qui légalise le fanatisme religieux en mettant plein cap sur l’infinitude de la liberté ! Les « choix personnels de chacun » pourront faire la guerre à tous ceux qui n’oseront se donner en spectacle par des signes ostentatoires pour faire respecter leur liberté de conscience. Il n’y aura plus de limites aux excès et aux extravagances. La paix sociale tombera à la merci de ceux qui ont pour principe de ne jamais faire de compromis. Mais la beauté du projet ne s’arrête pas là.
Les accomodements raisonnables, jusqu’ici d’origine jurisprudentielle, prennent du galon pour devenir des intérêts reconnus par la loi. De plus, il faudra nous habituer à un changement de vocabulaire : le qualificatif « raisonnable » est remplacé par « religieux ». Il y a là un glissement sémantique qui annonce un ordre nouveau. Dans un déni complet de l’idée de neutralité de l’Etat ‑ pourtant proclamée à l’article premier – des accomodements religieux pourront être réclamés par toute personne au service de l’Etat, et sans doute par les parents des élèves du primaire et du secondaire. Certains « accomodements » se transformeront en droits collectifs pour devenir des statuts particuliers reconnus par la loi. Des murs de préjugés se dresseront entre les communautés. Là encore, la paix sociale et la liberté de conscience du plus grand nombre seront à la merci des intransigeants.
Sur la plan procédural, ces accomodements seront traités par des administrateurs qui n’auront d’autre choix que de se prêter à une neutralité… ouverte et participative. La situation sera d’autant pénible qu’ils n’auront aucune formation ni encadrement pour évaluer les demandes. Les zélés et les extravagants n’auront qu’à plaider « une croyance religieuse » et faire valoir que leur demande n’imposera pas de contrainte excessive aux droits, à la santé et à la liberté des autres. Il ne sera pas facile de dire non à des gens qui se croient justifiés de prendre la société en otage pour imposer leurs idées étouffantes sur la religion et la suprématie de Dieu.
Mais en cas de refus, les intégristes en mal de suprématie pourront s’adresser au ministre responsable et, en dernier ressort, au bureau du premier ministre. Le principe de neutralité de l’Etat sera d’évidence mis à mal à chaque étape. Bien informés de la philosophie de Philippe Couillard sur l’infinitude de la liberté de religion, ils s’attendront à une oreille attentive de sa part. Ils savent déjà que leur argument le plus éloquent sera sans conteste : « La meilleure arme contre des fanatiques comme nous, c’est la liberté ! »
Discréminer sur la base d’une pureté fictive
Enfin, le projet de loi modifie la Loi sur les services de garde éducatif à l’enfance. Là encore la philosophie du chef libéral est poussée à l’extrême. Sous prétexte de favoriser l’intégration et la cohésion sociale, la loi en profite pour octroyer des droits religieux, reconnaître des activités culturelles, des traditions et des coutumes associées à la religion. Une fois de plus, le projet n’hésite pas à mettre à profit le principe de neutralité… ouverte et active de l’État.
Ainsi, dans les centres de la petite enfance, les parents les plus zélés pourront réclamer, de droit, des régimes alimentaires religieux, le respect de leurs fêtes et traditions nationales, l’établissement de programmes visant à refléter leurs réalités culturelles et religieuses. Le projet prévoit que le ministre devra déroger à sa neutralité pour fixer lui-même les modalités d’application de ces activités.
Bien entendu, le projet ne vise nommément aucune religion, mais comment le ministre pourra-t-il réglementer toutes ces activités religieuses sans acquérir d’abord les connaissances nécessaires pour se prononcer. Par exemple, que fera-t-il pour donner suite à la délicate question des rites de pureté alimentaire destinés à de tout jeunes enfants sans avoir étudié la complexité de sa mise en place dans un contexte où d’autres enfants n’y seront pas tenus ? Faudra-t-il former une hiérarchie lors des repas en commun ? Les purs à une table et les autres à une autre !
Quand aux éducatrices, elles aussi devront s’engager dans une neutralité ouverte qui risque de devenir très pénible. C’est elles qui devront appliquer ces règles alimentaires et expliquer aux enfants leurs obligations religieuses pour se mériter une place de choix au paradis. Et que devront-elles dire aux autres ? Qu’il n’y a pas de paradis pour les impurs ! Elles ne pourront éviter des avalanches de questions qui ne manqueront pas de les déstabiliser. Elles ne pourront raconter n’importe quoi ! Il y aura aussi des parents zélés et incontrôlables qui ne manqueront pas d’intervenir et de s’imposer pour voir que toutes les règles sont strictement appliquées, et ce, dans les plus menus détails. Il ne sera pas facile de calmer ces esprits asservis à des idées étouffantes qu’ils ont l’impudeur d’appeler « la liberté de religion ». On voit déjà plein d’exemples de parents qui angoissent à l’idée que leur enfant soit souillé au contact d’une seule molécule de cochon, ou de vinaigre. Qu’en sera-t-il quand la loi leur donnera le grand signal ? Est-ce en divisant les enfants sur la base d’une pureté irrationnelle qu’on va favoriser leur intégration sociale !
Philippe Couillard, qui avait promis de légiférer sur « tous les éléments qui font consensus » s’apprête à duper tout le monde dans l’espoir de plaire à des gens qui ont pour principe de ne jamais faire de compromis. Emporté par une étrange mystique de la liberté, et engagé dans sa révolte personnelle contre l’Etat, ses institutions et ses lois, le chef libéral semble résolu à multiplier les occasions de désordre, et à livrer la paix sociale à la prédation de quelques zélés des droits de Dieu.
Tous les observateurs et spécialistes de la scène politique qui, depuis plus de cinquante ans, ont prédit l’apaisement des agitations et la fin des éruptions révolutionnaires au nom d’un idéal religieux, se sont trompés. Au lieu de s’estomper, ces bouillonnements révolutionnaires n’ont fait que se redéfinir pour mieux intensifier leurs combats, sans objet véritable, et asservir le monde entier à leur volonté de puissance.
Depuis la Révolution iranienne de 1979, cet embrasement des esprits a littéralement explosé et a suivi les chemins de l’immigration. Malheureusement, il s’agit là d’une utopie véhiculée par un fanatisme religieux qui ne cache nullement sa volonté d’imposer une vision totalitaire de la société. Elle s’est répandue partout, y compris au Québec, et elle est là pour rester. L’histoire nous a déjà montré plein d’exemples d’utopies qui se sont effrondrées dans des catastrophes qui ont mis en péril une partie de l’humanité. En fait, si elles ont eu beaucoup de succès dans la destruction des sociétés, ces utopies ont été nulles au plan de leur reconstruction.
Que pouvons-nous y faire ?… Tant qu’elle ne nous explosera pas en plein visage dans sa forme brutale, pas grand’chose. Mais au moins, devrions-nous avoir la prudence de ne rien céder à ces formes de chantage et d’exiger le maintien de la seule approche susceptible de garantir la liberté de conscience de tout le monde : la laïcité et la neutralité de l’Etat.
Ce projet de Philippe Couillard oublie trop facilement que c’est la laïcité qui, aujourd’hui, fonde le lien social et la citoyenneté. Les Québécois d’origine canadienne sont encore nombreux à se revendiquer comme chrétiens, à manifester leur attachement aux valeurs chrétiennes, et ce, même lorsqu’ils sont dubitatifs, ou pas du tout croyants. En fait, ils sont des chrétiens non religieux attachés à leur héritage culturel issu de la civilisation des cathédrales. Pour dire les choses autrement, s’ils sont devenus réfractaires aux signes ostentatoires, ils sont restés attachés à des valeurs fondamentales qu’ils expriment avec pudeur et retenue pour éviter de froisser les croyances des autres. C’est peut-être pour ça qu’ils sont si mal à l’aise face à ces nouveaux venus qui abusent de l’ostentation, et qui semblent si peu disposés à respecter leur liberté de conscience.
Il faut aussi garder bien à l’esprit que, dans l’Islam, le temps ne se compte jamais en années, mais en générations ! pour ne pas dire en siècles ! C’est notre devoir d’y réfléchir et d’agir alors qu’il est encore temps. Il ne faut pas se faire d’illusions : il n’y a rien qui puisse nous permettre d’espérer que l’Islam radical va s’essoufler, s’estomper, ou s’effondrer sur lui-même. L’idée de le combattre en lui octroyant plus de liberté est une absurdité.
Comme le rappelait justement le calife Abou Bakr al-Baghdadi en juin dernier : « L’Islam n’a jamais été la religion de la paix. L’Islam est et a toujours été la religion de la guerre ! » Ce calife en sait probablement plus long que vous et moi à ce sujet puisqu’on le dit docteur en théologie.
Bref, le projet de loi 62 est dangereux pour la paix sociale. Il donne l’impression de vouloir livrer la société à des maîtres-chanteurs pour mieux satisfaire des forces irrationnelles au nom d’un idéal de liberté que seul Philippe Couillard semble, pour le moment, capable de comprendre.
Christian Néron
Membre du Barreau du Québec,
Constitutionnaliste,
Historien du droit et des institutions.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
2 commentaires
Archives de Vigile Répondre
1 octobre 2015Couillard veut nous faire basculer dans le désordre. Pour qui travaille-t-il ?
Grégoire Bonneau, ancien candidat du Parti Indépendantiste.
Archives de Vigile Répondre
30 septembre 2015«Stupéfiée et scandalisée par la bizarrerie des idées du chef, la députée Fatima Houda-Pépin avait été sommée de s’y rallier, et même de les défendre en public. Puis, suite à des actes d’intimidation pour tenter de la plier à cette façon inusitée de combattre l’intégrisme, elle était cavalièrement virée du caucus libéral. La dynamique se clarifiait donc autour du chef libéral : la liberté d’expression excluait la possibilité d’exprimer le moindre désaccord avec l’idée – mystique ! – qu’il se fait de la liberté.»
Les forces pro-charia derrière le projet de censure
http://gloria.tv/media/sqHWcRcpnGj