Vous ne connaissez peut-être pas cette histoire dont il existe plusieurs versions. Voici la mienne.
Picasso, un jour, est appelé à New York, plus précisément au Musée d’Art moderne (MOMA), pour effectuer quelques retouches, quelques réparations sur sa toile Guernica qui y est exposée en permanence. Cette œuvre colossale avait été commandée par le jeune gouvernement républicain espagnol pour orner le pavillon de l’Espagne à l’Exposition internationale de Paris, en 1937.
Un an auparavant, les troupes de Franco, essentiellement des hauts gradés militaires opposés au jeune gouvernement révolutionnaire, commencèrent à se regrouper à l’extérieur du pays, notamment au Maroc et au Portugal, d’où elles entreprirent d’attaquer le gouvernement républicain légitimement élu, largement dominé par les socialistes et les communistes. Les forces franquistes bénéficiaient de l’appui de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste. En 1937, l’aviation allemande vole au secours de Franco et bombarde la petite ville de Guernica, en pays basque, la détruisant totalement et faisant des centaines de morts. C’est ce bombardement terroriste, le premier de l’histoire, qui est à l’origine du fameux tableau de Picasso, mesurant approximativement 11 pieds par 25 pieds. Et Picasso a dû faire vite car l’exposition devait ouvrir ses portes au printemps 1937.
Picasso, donc, est penché devant sa fresque immense, gardée «en attendant» dans le Musée d’Art moderne de New York. Pinceau à la main, il est en train de restaurer son œuvre quelque peu abîmée. Sans doute est-il accompagné par Françoise Gilot, qui lui donnera deux enfants, Claude et Paloma Picasso, à moins que ce ne soit Dora Maar, rencontrée justement à l’époque où il peint Guernica. Ou Jacqueline Roque, qu’il a épousée en 1961. L’histoire ne le dit pas.
Soudainement, un visiteur s’approche de l’artiste et lui demande, avec l’accent guttural si caractéristique des Allemands: «C’est vous qui avez fait cela?» Et Picasso, relevant un peu la tête, lui répond: «Non, c’est vous!» L’histoire ne dit pas, non plus, si l’Allemand comprit le sens de la réponse lapidaire de Picasso. Guernica ne sera exposée en Espagne qu’une fois la démocratie restaurée, en 1981, six ans après la mort du dictateur Franco et 8 ans après la mort de l’artiste.
«Rien n’est plus vivant qu’un souvenir», clamait le grand poète espagnol Federico Garcia Lorca, lui-même fusillé par Franco. Pourquoi est-ce que je raconte cette anecdote? Ce sont, je crois, les commentaires troublants de Jean Chrétien, publiés dans ses mémoires, qui ont réveillé de vieux souvenirs. Ce dernier affirme que son gouvernement n’aurait pas tenu compte d’une victoire du Oui au dernier référendum si celle-ci n’avait pas été largement majoritaire. Et je me suis aussitôt demandé: qui est responsable de cette défaite? Qui en est l’auteur? Eux ou nous? Je pense que ce sont les fédéralistes, car ils ont triché, en violant la loi du Québec sur les consultations populaires, comme le scandale des commandites l’a prouvé. Ils sont les grands artisans de notre défaite. Il est évident que le camp du Oui aurait pu faire mieux, aurait pu obtenir certaines majorités dans des comtés jugés normalement «sûrs». Mais dans le contexte où l’un des deux camps était nettement désavantagé par cette guerre médiatique à outrance, par tous ces moyens dont disposaient les forces fédéralistes, contrevenant aux lois du Québec, il était à prévoir que nous n’aurions pas le dessus, même si nous pouvons considérer que le référendum du 30 octobre 1995, il y a exactement douze ans, fut néanmoins une victoire. Lors du prochain référendum, il ne nous restera plus qu’à effectuer, nous aussi, quelques petites retouches sur cette belle et grande œuvre universelle qui s’appelle l’indépendance des peuples.
Picasso, de son vivant, n’a pas pu assister au retour de la démocratie dans sa patrie. Mais, à la longue, les forces démocratiques ont fini par vaincre la dictature franquiste qui, malgré ses énormes moyens répressifs, n’a pas pu empêcher leur victoire. Cela s’est aussi produit au Portugal, puis au Chili, en Uruguay et en Argentine où des dictatures aussi sanguinaires sévissaient.
Bien sûr, le Canada n’exerce pas un pouvoir dictatorial et je ne voudrais pas qu’on croie que je compare ces dictatures au gouvernement de Jean Chrétien ou de Steven Harper. Gaston Miron, René Lévesque, Pierre Bourgault, pour ne mentionner que ces trois personnages de l’histoire récente du Québec, n’ont pas pu voir de leur vivant la concrétisation de leur rêve.
Combien d’années encore devrons-nous attendre? Je pense que c’est une bonne chose que les Pierre Trudeau, les Jean Chrétien ou les Stéphane Dion, ces effrontés du pouvoir, ne soient plus ou ne soient pas au pouvoir. Ces trois hommes politiques ont démonisé les forces progressistes du Québec, ils ont trafiqué l’histoire, ils ont soulevé des haines qui n’ont pas leur place ici. Cette époque me semble révolue.
Le prochain référendum devra se faire dans le respect de nos lois, sans coups bas et sans qu’un autre démagogue ne vienne attiser la haine des Québécois à travers le Canada. Nos voisins canadiens ont tout intérêt à ce que notre émancipation, l’accession à notre pleine souveraineté se fasse dans le respect et la dignité. Il sera plus facile par après, dès le lendemain, de nous entendre sur une foule de sujets, non plus entre un vainqueur et un perdant, mais d’égal à égal.
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