Décidément, il y a des gens qui croient avoir réinventé le monde. On lisait hier dans La Presse que le " gin tonic " revient à la mode chez les trentenaires. L'une d'elles se targuait d'avoir " modernisé " ce cocktail en y ajoutant " un zeste de limette ". Cela m'a fait rire, car c'est depuis toujours qu'on sert le gin tonic avec de la limette ou du citron.
Idem pour l'euphorie avec laquelle les péquistes ont accueilli la déclaration de Jean Charest sur le fait que le Québec aurait " les moyens " d'être indépendant. " Fini, les campagnes de peur! ", de s'exclamer les militants réunis pour l'investiture d'André Boisclair... au mépris du fait qu'il y a belle lurette que les fédéralistes s'abstiennent de " faire peur au monde " avec des arguments apocalyptiques.
C'est le " coup de la Brink's " qui a marqué la fin du terrorisme psychologique.
À la veille des élections du 29 avril 1970, une rumeur insensée avait fait le tour des salles de rédaction: un convoi de camions blindés se dirigeait vers l'Ontario, porteur des valeurs mobilières que leurs détenteurs voulaient mettre à l'abri des dangereux " séparatisses "!
Le scandale a fait long feu (cette histoire n'était qu'une légende urbaine) mais a marqué les esprits. Désormais, les fédéralistes, étranglés par la peur d'avoir l'air de vouloir faire peur, s'abstiendraient scrupuleusement de dépeindre les lendemains de l'indépendance en termes trop noirs.
Il y a eu quelques écarts. En 1973, le chanteur Jean Lapointe écrivit une chanson de propagande pour le Parti libéral où il comparait le Québec indépendant à la Roumanie.
En 1980, le camp du NON faisait circuler dans les centres d'hébergement le spectre de la perte des " pensions " de vieillesse fédérales. (L'affirmation était techniquement vraie, puisqu'avec la sécession, Ottawa sortirait du tableau, mais moralement fausse puisqu'un Québec indépendant mettrait sur pied son propre système d'aide à la vieillesse).
Tout cela, faut-il dire, a été largement contrebalancé par les campagnes de peur du camp souverainiste, qui proclame depuis toujours le sort infâme qui attend le Québec s'il ne sort pas du cadre canadien. Une catastrophe n'attendrait pas l'autre: affaiblissement du Québec, disparition du français, assimilation à la louisianaise, abjecte soumission à la majorité anglophone, anonymat international, déchéance économique, etc.
Au référendum de 1995, Lucien Bouchard évoquait " le vent de droite " qui venait du Canada anglais, et les péquistes prédisaient la fin des programmes sociaux sous la houlette des Klein et des Harris. (C'était un an avant que le même Lucien Bouchard, prenant modèle sur les Klein et les Harris, s'attaque au déficit...).
En somme, pour ce qui est de la peur, on peut dire que les deux camps ont également joué cette carte-là. Et les souverainistes, avec une habileté consommée: il suffit qu'un fédéraliste évoque les conséquences négatives de la sécession pour qu'on l'accuse de " jouer sur la peur ".
Dans cette fameuse interview qui a fait les manchettes de médias qui ont perdu la mémoire (ou qui, plus vraisemblablement, n'avaient rien à se mettre sous la dent en cette saison estivale où il ne se passe rien en politique), Jean Charest ne faisait que répéter une évidence. Il y a des années que les fédéralistes reconnaissent que l'indépendance est " faisable "... mais qu'elle n'est pas " souhaitable ".
Il va sans dire que le Québec serait infiniment plus prospère que le Timor oriental et la pléiade de pays qui ont un ambassadeur à l'ONU alors que leurs peuples croupissent dans la misère. Il va sans dire qu'un Québec indépendant pourrait, une fois franchie une période de transition qui serait hasardeuse et pénible et dont on ne sait exactement combien de temps elle durerait, se tirer d'affaire très honorablement. Mais ce que l'on perdrait au change serait plus que ce que l'on gagnerait. Ce n'est pas parce qu'on a les moyens de faire quelque chose qu'il est nécessairement indiqué de le faire.
Il y avait quelque chose d'enfantin et de désuet dans l'enthousiasme avec lequel les péquistes scandaient l'autre jour: " On a les moyens! ". Cela renvoyait à un ancien slogan indépendantiste- " On est capable! "... Un slogan qui se justifiait dans les années soixante, alors que les Québécois francophones avaient si peu confiance en eux, mais qui n'a aucune raison d'être aujourd'hui.
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