Pas question de «nation» québécoise

La nation québécoise vue du Canada

Vous ne pouvez pas vous sentir plus loin du Québec -- sans quitter le Canada -- autrement qu'en vivant à Victoria, en Colombie-Britannique. Je ne peux pas parler au nom de tous mes voisins, mais voici ce qui leur viendra certainement à l'esprit quand le Parti libéral du Canada discutera de la reconnaissance du Québec comme nation et, peut-être, de l'enchâssement de ce principe dans la Constitution canadienne.
Vivant de l'autre côté des Rocheuses, sur la côte du Pacifique, les Britanno-Colombiens ont les yeux tournés au sud et à l'ouest plutôt que vers le Québec ou l'Ontario, voire vers Ottawa. Je m'attends donc à ce que mes voisins soient très peu disposés à voir leur gouvernement embarquer dans des discussions constitutionnelles sachant que ces discussions sont destinées à échouer. Il n'est plus possible de limiter les discussions aux revendications du Québec (ce qui explique d'ailleurs la réussite de l'accord du Lac-Meech en avril 1987). Au lieu de cela, les négociations risquent de se clore sur le genre d'échec qu'on a connu avec l'entente de Charlottetown.
Il est compréhensible que beaucoup de Québécois voient le reste du pays comme une nation appelée «le Canada anglais». Après tout, bien que nos accents et même nos vocabulaires diffèrent considérablement, nous parlons tous la même langue. En vérité cependant, les intérêts des provinces varient considérablement. Si les négociations constitutionnelles devaient reprendre, la Colombie-Britannique -- avec son économie florissante, sa population croissante et sa sous-représentation au Parlement -- aurait ses propres demandes.
Nos réticences à nous engager dans des pourparlers constitutionnels s'expliquent aussi par le fait que peu de gens ici estiment que le Québec a été trahi ou exclu de la Constitution en 1982. Cette position s'explique par le nombre d'années qui se sont écoulées, des années qui ont vu le pays changer en raison notamment des vagues d'immigration. Mais essentiellement, c'est parce que le rapatriement de la Constitution est perçu comme l'oeuvre d'un premier ministre venant de Québec, Pierre Trudeau, que les Britanno-Colombiens restent froids devant le débat constitutionnel.
En participant activement à ces discussions, j'ai su dès le départ que Pierre Trudeau et René Lévesque ne s'entendraient jamais sur quoi que ce soit et qu'il était irresponsable de la part de M. Trudeau d'avoir lancé les négociations dans de telles circonstances. Plus tard, j'ai donc été heureux d'avoir l'occasion de travailler avec le premier ministre Brian Mulroney sur l'élaboration de l'accord du Lac-Meech.
Au cours du processus de ratification, le premier ministre de la Colombie-Britannique avait proposé que toutes les provinces soient reconnues comme étant distinctes. Beaucoup de gens à travers le Canada, y compris moi-même, ont pensé que c'était une suggestion farfelue. Mais son idée a eu un écho favorable sur la côte Ouest parce que les Britanno-Colombiens s'émerveillent de la taille et de la diversité de ce pays chaque fois qu'ils voyagent.
Cela étant, peu de personnes oseraient aujourd'hui contester le fait que la langue et la culture françaises rendent le Québec unique au Canada. La plupart de mes voisins aiment cette diversité et, parce qu'ils comprennent qu'elle fait du Canada un pays plus fort et beaucoup plus intéressant, ils veulent que le Québec sauvegarde et promeuve sa personnalité distincte.
Ces jours-ci, le candidat à la chefferie libérale, Michael Ignatieff, propose que le Québec soit désigné comme une nation. Je parie que beaucoup de Britanno-Colombiens se demandent ce que cela signifie exactement. Contrairement à ce que certains prétendent, je ne crois pas que ce soit une question de traduction. En consultant l'Oxford English Dictionary, j'ai trouvé la définition suivante: une nation est «un agrégat étendu de personnes si étroitement liées par la descendance, la langue ou une histoire commune qu'elles forment un peuple distinct, habituellement organisé en un État politique séparé qui occupe un territoire défini. Par le passé, le lien racial était habituellement plus fort que le lien politique; dans son utilisation récente, la notion d'unité et d'indépendance politique est davantage mise en avant».
Cette définition de l'Oxford correspond aux deux définitions du Petit Larousse. Franchement, en suivant le débat au Québec, nous avons ici l'impression que le discours politique et le «consensus» à l'Assemblée nationale pourraient se glisser entre ces deux définitions. Nous comprenons que beaucoup de Québécois veuillent vivre dans un pays indépendant. Cependant, si le Québec devait être désigné comme «une nation au sein du Canada» -- une formule très ambiguë --, mes voisins se demanderaient sûrement si les fédéralistes québécois ont aussi le sentiment de faire partie de la nation canadienne et s'ils croient toujours que le gouvernement d'Ottawa est leur gouvernement national.
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Norman Spector est chroniqueur au Globe and Mail.
nspector@globeandmail.ca


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