Oui, mais

Actualité québécoise - vers une « insurrection électorale »?


Depuis des années, les états d'âme des artistes sont perçus comme une sorte de baromètre de l'état de santé du projet souverainiste.
Il est vrai que, de Félix Leclerc aux Cowboys fringants, en passant par Gilles Vigneault, Jean Duceppe ou Pierre Falardeau, les artistes ont toujours été les porte-étendards privilégiés de la souveraineté. En septembre 1995, c'est avec une trentaine d'artistes réunis autour de Paul Piché dans le vieux Forum de Montréal que le camp du OUI avait véritablement lancé sa campagne.
Immanquablement, certains verront dans [le sondage que Léger Marketing a réalisé pour le compte de l'Union des artistes (UDA)->24910] au début de l'automne dernier, mais dont les résultats ont été publiés seulement hier dans La Presse, une nouvelle preuve du déclin de la souveraineté. C'est possible, mais avant de sauter aux conclusions, il faudrait replacer les choses dans leur juste contexte.
Selon ce sondage, 58 % des membres de l'UDA sont souverainistes et 18 % ne le sont pas. Sans présumer de l'opinion des 23 % qui ont refusé de répondre à la question, on peut penser qu'un certain nombre d'entre eux sont bel et bien souverainistes, même s'ils refusent de le dire.
Cela demeure nettement moins que les 90,3 % recensés à l'automne 1990, mais il ne faut pas oublier qu'au lendemain de l'échec de l'accord du lac Meech, l'appui à la souveraineté dépassait les 70 % dans l'ensemble de la population.
Même chez les artistes, il devait inévitablement y avoir reflux. En 1995, Léger Marketing (qui s'appelait alors Léger et Léger) avait évalué que 70 % des artistes étaient souverainistes. En réalité, cela n'a pas tellement changé depuis 15 ans.
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Ce qui est nouveau, c'est que 56 % des membres de l'UDA s'opposent à ce que leur association fasse la promotion de la souveraineté, même si l'UDA n'a jamais donné son appui officiel à un parti politique.
Au congrès de janvier 1991, c'est à l'unanimité que les délégués avaient résolu de «participer à la démarche politique d'accession à la souveraineté», ce à quoi s'était employé son président de l'époque, Serge Turgeon, au sein de la commission Bélanger-Campeau.
À la veille du référendum de 1995, M. Turgeon se réclamait d'un «mandat très clair en faveur de la souveraineté du Québec». Ceux, très rares, qui s'étaient rangés dans le camp du NON, comme René-Daniel Dubois, avaient été abreuvés d'injures.
Il a fallu plusieurs années avant que d'autres osent exprimer des réserves. Quand le dramaturge Michel Tremblay l'a fait, en 2006, Bernard Landry a menacé de ne plus le lire, mais ce n'est plus un tabou et les artistes fédéralistes hésitent moins à sortir du placard. En 2008, le comédien Sébastien Dhavernas, qui avait dirigé un comité du OUI en 1995, a même défendu les couleurs du Parti libéral du Canada.
Hier matin, sur les ondes de Radio-Canada, le comédien Emmanuel Bilodeau, un souverainiste engagé qui a incarné René Lévesque dans une série télévisée, s'est interrogé sur la représentativité du récent sondage de Léger Marketing, dans la mesure où une proportion grandissante des membres de l'UDA ne sont pas de «vrais artistes». Dès lors, il n'est pas étonnant que leur attitude par rapport à la souveraineté reflète davantage celle de la population.
En mars 2007, le successeur de M. Turgeon à la tête de l'UDA, Pierre Curzi, devenu député péquiste, confiait que la communauté artistique n'était plus aussi mobilisée. «Le monde a changé, la cause nationaliste n'a plus la même force [...] Le discours sur la souveraineté s'est vidé de son contenu, de son rêve.»
Il expliquait que les artistes, comme bien d'autres, avaient embrassé des causes plus immédiates, où ils croient pouvoir avoir vraiment un impact, qu'il s'agisse de sauver le mont Orford ou de protéger les rivières ou la forêt.
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Il y a peut-être d'autres raisons. Dans quelle mesure peut-on demander aux artistes de se substituer aux partis politiques dans le combat pour la souveraineté? Soit, Pauline Marois a remis le cap sur les questions identitaires, mais un gouvernement adéquiste pourrait faire sien son nouveau «plan pour un Québec souverain».
De toute manière, c'est le PLQ qui est au pouvoir. Quand 82 % des artistes disent appuyer le rapatriement des pouvoirs en matière de langue et de communications, ils entérinent l'essentiel du programme constitutionnel du gouvernement Charest. Si la FTQ a trouvé avantageux de faire alliance avec lui, pourquoi pas l'UDA?
Sans oublier le gouvernement Harper. Les compressions dans les programmes d'aide aux artistes avaient soulevé un tollé durant la dernière campagne fédérale, mais Ottawa demeure un bailleur de fonds essentiel pour la communauté artistique. Pourquoi le provoquer inutilement en agitant le drapeau souverainiste alors qu'il n'y a aucun référendum à l'horizon?
En 1997, les Artistes pour la souveraineté avaient dû s'adresser à la Cour supérieure pour faire annuler la «directive Axworthy», qui conditionnait le versement des subventions du ministère des Affaires étrangères au «respect de la souveraineté canadienne et de l'unité canadienne». Si le gouvernement de Jean Chrétien a pu poser une telle exigence, celui de Stephen Harper en est certainement capable.
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mdavid@ledevoir.com


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