Obama, ce faux jeton

Obama... et après

On ne peut pas dire crûment que Barack Obama est un menteur. Pendant la campagne électorale, l'an dernier, le jeune démocrate avait prudemment évité de prendre spécifiquement position sur maints sujets qui auraient pu se retourner contre lui durant son premier mandat. L'«Obamameter» du St. Petersburg Times ne relève en effet que six promesses manquées contre 31 promesses tenues depuis son investiture.
Néanmoins, on peut dire sans se tromper que le président ment globalement, et ce, à un niveau considérable. On n'a qu'aller au-delà de ses paroles grandioses -- pour la plupart vides de vrai sens -- pour s'en rendre compte. J'offre ici un bilan partiel, auquel on pourrait facilement ajouter des exemples.
- Obama s'est présenté comme le candidat de la paix, ou du moins le candidat antiguerre, qui allait remettre la retenue et l'équilibre au goût du jour dans la politique étrangère américaine. Aujourd'hui, il poursuit pourtant trois guerres-occupations: en Afghanistan (où il a nettement monté la mise); au Pakistan (où il a élargi les attaques illégales commencées par Bush contre les Talibans à travers la frontière afghane); et en Irak (où il a annoncé l'éventuelle fin de l'occupation alors qu'il renforce et conserve 14 bases militaires, dont la plupart vont sûrement rester en place après la prétendue date limite du 1er janvier 2012). S'il continue sur cette voie guerrière, l'Afghanistan pourrait réellement devenir le nouveau Vietnam des États-Unis. Pire encore, le Pakistan pourrait se transformer en une sorte de Cambodge des années 1970.
- Obama s'est dit le candidat de la réforme qui voulait «réparer» le système «brisé» de Washington, un système corrompu par les relations malsaines des puissants lobbyistes avec les représentants et sénateurs du Congrès. Mais le nouveau président, issu du système parfaitement corrompu de Chicago et de sa machine politique démocrate, n'est ni un réformateur ni un mécanicien législatif. Tout de suite, il a nommé comme directeur de cabinet de la Maison-Blanche Rahm Emanuel, le champion du «pork barrel» (méthode consistant à récompenser et à soutenir les politiciens sortants par l'octroi de deniers publics dans leurs circonscriptions), qui incarne la politique à l'ancienne. Également issu du royaume du maire Richard Daley, Emanuel est continuellement en quête d'argent pour mousser les campagnes électorales démocrates, de l'argent récolté en général dans les poches de ces mêmes riches lobbyistes, entreprises et individus qu'Obama avait promis de remettre à leur place. Ce n'est pas par hasard que les ambassades de Londres et Paris sont réservées aux grands donateurs: Lou Susman, ancien cadre de Citigroup et résidant de Chicago, aurait acheté son poste à la cour de St. James pour 239 000 $US de donations «rassemblées»; Paris aurait coûté environ 500 000 $US à un certain Charles Rivkin.
- Obama, avec son deuxième prénom arabe et son grand discours au Caire, se présente comme l'ami (ou du moins certainement pas comme l'ennemi) de l'Islam et comme l'écho de la rue musulmane pour se distinguer de George Bush. Cependant, sa visite pleine de chaleur au roi Abdullah, de l'Arabie Saoudite, en compagnie de Rahm Emanuel et du ministre des Affaires étrangères, Saud al-Faisal, démontre une volonté exactement contraire. La famille royale saoudienne déteste l'idée d'une démocratie pour les musulmans ordinaires et reste cruellement indifférente au sort des Palestiniens, un peuple à l'esprit déjà trop démocratique selon la famille Saud. Un État palestinien populaire et quasiment laïque servirait de mauvais exemple aux citoyens du premier royaume pétrolier et de son élite ploutocratique, qui préfère infiniment le statu quo. Sans une intervention saoudienne, jamais il n'y aura de solution au conflit israélo-palestinien, car seule la pression pétrolière pourrait pousser l'Amérique à exiger les concessions de l'État juif menant à un véritable État palestinien.
- Avec ses racines de travailleur social dans les quartiers modestes de Chicago, Obama est présumé être un partisan de la classe ouvrière. Ce fut spécialement le cas pendant son affrontement avec Hillary Clinton lors des primaires de l'Ohio, en mars 2008. C'est là qu'Obama avait jeté les gants sur le sujet fâcheux de l'ALENA et de son effet désastreux sur l'emploi industriel le long du «rust belt», dont l'Ohio a souffert de façon disproportionnée. Mme Clinton était particulièrement vulnérable sur la question du «libre-échange» étant donné que son mari a été responsable de la promulgation de l'ALENA, en 1993, cela en dépit de l'opposition des grands syndicats, alliés traditionnels du parti démocrate. «Seul Barack Obama s'est battu contre l'ALENA et d'autres mauvais accords de libre-échange», laissait alors entendre une publicité diffusée chez les cols bleus de l'Ohio, accusant du coup Mme Clinton d'avoir loué les effets soi-disant bienfaisants de l'ALENA sur l'économie. Dans un débat diffusé à la télévision, le 26 février 2008, Barack Obama avait lancé à Hillary Clinton: «Je ferai certainement en sorte [en tant que président] que nous renégociions [l'ALENA]» et que nous «utilisions la menace d'une potentielle annulation» pour obtenir «des valeurs où l'environnement et la main-d'oeuvre seront respectés.»
Mais voilà que l'administration Obama annonçait en avril que les inquiétudes à propos du libre-échange nord-américain ne sont plus de réels soucis. Ron Kirk, son représentant au Commerce, a fait savoir que la menace d'une annulation n'était plus nécessaire et que les chefs des États-Unis, du Canada et du Mexique pensaient maintenant qu'il fallait plutôt «chercher les moyens de renforcer» l'ALENA tel qu'il est. Et, bien sûr, il n'est plus question de rouvrir d'autres «mauvais accords d'échange», comme celui avec la Chine, qui a fait encore plus de dégâts que l'ALENA chez les ouvriers américains.
Pendant ce temps, Obama et son ami banquier Steven Rattner président le déclin de l'industrie automobile américaine et de l'United Auto Workers (UAW). Selon Robert Reich, secrétaire au Travail sous le président Clinton (et loin d'être un ami des syndicats), «le seul côté pratique que je puisse accorder au plan de sauvetage est de ralentir le déclin de General Motors pour laisser assez de temps à ses salariés, ses agences et ses communautés de s'adapter à son éventuel décès». Mais pas avant que GM ne délocalise encore plus d'emplois au Mexique, où l'ouvrier typique gagne 2,80 $US l'heure contre 28 $US l'heure dans le Michigan. D'ici 2014, le «nouveau» GM prévoit une hausse de production des véhicules fabriqués au Mexique de 344 099 à 822 498.
J'avoue que c'est bien d'avoir un président qui parle clairement, avec des phrases complètes. Mais il reste qu'un faux jeton n'est pas nécessairement plus honnête qu'un menteur.
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John R. MacArthur est éditeur de Harper's Magazine, publié à New York. Il publie une chronique mensuelle au Devoir.


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