Entrevue avec le spécialiste de l'islam, Olivier Roy - «Dans le monde arabe, Obama est populaire mais il devra convaincre»

Obama... et après

Photo: Agence Reuters
Olivier Roy, chercheur spécialiste de l'islam, a analysé les prémices de la nouvelle politique étrangère des États-Unis avant le discours prononcé hier par Barack Obama.
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Pourquoi les relations entre les États-Unis et le monde arabo-musulman se sont-elles à ce point dégradées, notamment depuis le 11-Septembre?
Olivier Roy: Tout d'abord, il faut faire attention quand on parle des musulmans en général. Il y a eu une gamme de réactions très variées au 11-Septembre: condamnation de l'attentat et du radicalisme, condamnation de l'attentat mais compréhension des motivations ou encore «théorie du complot» accusant Washington d'avoir organisé ou couvert l'attentat.
Par contre, l'opinion publique musulmane a rejeté ou a été mise mal à l'aise par le thème la «guerre contre la terreur», qui a assimilé tous les mouvements politiques se réclamant de l'islam (Hamas, Hezbollah et régime iranien), voire l'islam lui-même, au terrorisme d'al-Qaïda. Même si Bush a évité de mettre la responsabilité de l'attentat sur le compte de l'islam, la politique américaine a été perçue comme privilégiant des cibles musulmanes (et pas forcément islamistes, d'ailleurs, puisque Saddam Hussein a été la première cible). Les discours sur le thème du clash de civilisations (qui ne venaient pas du gouvernement américain) n'ont pas arrangé les choses.
Barack Obama doit assumer la politique arabe de Bush comme héritage. Comment va-t-il renouer avec les sociétés musulmanes et leurs gouvernements?
O.R.: Obama a choisi de marquer une rupture avec la politique de Bush, non pas tant sur la question arabe que sur la question israélienne. Mais, dans le contexte du Proche-Orient, cela revient au même. Obama a clairement mis fin au soutien inconditionnel de Washington à Tel-Aviv, et c'est un vrai changement, perçu comme tel par les soutiens d'Israël, comme le lobby Aipac aux États-Unis. Paradoxalement, cela a été possible grâce à la constitution d'un gouvernement très à droite en Israël, qui a commis l'erreur de remettre en cause la théorie des deux États [palestinien et israélien], alors qu'elle était devenue presque consensuelle. C'est bien cette distanciation qu'attendent tant les gouvernements que les populations arabes. Reste à savoir, bien sûr, jusqu'où Obama peut aller dans la mise en oeuvre de pressions contre Israël.
Les Américains sont-ils prêts à accepter un tel changement de position?
O.R.: Dans l'opinion publique américaine, Obama a une vraie marge de manoeuvre. Il y a manifestement un changement dans l'opinion publique américaine envers Israël. Les nouvelles générations qui ont voté Obama, et en particulier les secondes générations hispaniques ou asiatiques, ne mettent pas Israël au coeur de leurs préoccupations. L'islam ne joue pas le rôle de repoussoir et n'est pas associé à l'immigration comme c'est le cas en Europe.
Qu'attendent les Arabes du discours du président américain?
O.R.: Obama bénéfice d'une vraie popularité dans le monde arabe, même si elle s'accompagne d'un grand scepticisme. Le problème vient plutôt des gouvernements autoritaires arabes qui ne sont pas prêts à accepter des réformes intérieures. Obama risque donc d'apparaître paradoxalement comme soutenant les dictatures... au nom d'un dialogue avec le monde arabe. C'est toute l'ambiguïté de sa décision de parler au Caire et donc de donner une plus grande légitimité à Moubarak.
Avec ce lourd déficit d'image dans le monde arabo-musulman, compte-t-il demander des mesures en faveur des droits de l'Homme à ses interlocuteurs ?
O.R.: C'est toute la question. Il va bien sûr évoquer la question, mais ce qui compte, c'est d'affirmer une politique concrète de soutien aux droits de l'homme et à la démocratie. Or on peut être sûr que les régimes autoritaires arabes vont freiner des quatre fers et lier leur bonne volonté dans les négociations diplomatiques avec le refus de toute ingérence dans leurs affaires intérieures. Un autre problème est le choix des interlocuteurs. Où sont les démocrates? Faut-il parler aux islamistes, et pas seulement en coulisses? Le mouvement laïque et démocratique est partout en crise. Les islamistes parlent autant de charia que d'élections. Un test sera l'attitude d'Obama envers les Frères musulmans égyptiens: va-t-il leur tourner le dos, leur parler, les rencontrer?
Quel(s) risque(s) prend le président américain Barack Obama dans sa venue en Arabie saoudite et en Égypte ?
O.R.: Le plus grand risque est d'apparaître comme velléitaire et rhétorique, c'est-à-dire de faire un discours qui soit trop beau pour être vrai et qui ne sera pas suivi de changements de fond. La magie du verbe peut se révéler contre-productive. À l'inverse, un discours trop sec et trop technique décevra. C'est donc l'ajustement entre les mots et les actes qui est le vrai enjeu de cette tournée. Le style Obama doit faire place à une méthode concrète.
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Propos recueillis par Gaïdz Minassian - Le Monde


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