Y a-t-il pire que de voir Bill Clinton à Montréal, imbu de lui-même, toujours fier de sa grande oeuvre destructrice qu’est l’ALENA ? L’égoïsme de cet homme m’a toujours laissé bouche bée. Toutefois, avec l’élection de Donald Trump due à une vague de colère contre la délocalisation de l’emploi industriel vers le Mexique, on pourrait s’attendre, sinon à la honte et au regret, au moins à un comportement plus modeste.
Pas question. Devant une salle bondée au Palais des congrès le mois dernier, en tandem avec l’impénitent Jean Chrétien, Clinton a déclaré que l’accord de 1994 « était la bonne chose à faire » et « nous a renforcés avec des économies plus diversifiées ». Oui, quelques ouvriers en ont souffert, bien sûr, mais les dégâts ont été limités. « L’effet net de l’ALENA a été positif. »
Quelle audace que cette fausse innocence, cette image de bon enfant, ce refus d’avouer la réalité des deux côtés du Rio Grande ! Selon une étude de l’Institut de politique économique, l’ALENA a fait disparaître près de 700 000 emplois américains, dont beaucoup dans « la ceinture de la rouille » où sont situés les trois États clés — Wisconsin, Michigan et Pennsylvanie — qui ont livré la Maison-Blanche à Donald Trump. Là, de nombreux petits Blancs qui avaient voté pour Obama en 2008 et en 2012 avec espoir ont voté pour Trump en 2016 par désespoir. Comme son épouse, Bill Clinton se fout de ces gens. Enhardi par son rapprochement avec les grandes entreprises qui ont profité de l’accès sécurisé par l’ALENA à la main-d’oeuvre bon marché au Mexique, il a surenchéri en 2000 avec l’accord normalisant l’échange avec la Chine, un engagement qui a dévasté ce qui restait de la classe ouvrière bien payée. Entre le Mexique corrompu et la Chine « communiste », tous les deux devenus des colonies de travail pour le capitalisme à l’américaine, il y avait de quoi se régaler si vous étiez chef d’entreprise ou actionnaire d’une société anonyme.
Clinton et ses confrères prétendent également que l’ouvrier mexicain a bénéficié de l’ALENA avec des augmentations de salaire, une stabilisation de l’économie mexicaine créée par des « exportations » croissantes et une baisse de l’immigration illégale. En fait, les salaires restent figés au Mexique dans la ceinture des maquiladoras (toujours 1 $ l’heure, prestations sociales non incluses) ainsi que dans le centre du pays, où les usines d’automobiles paient mieux. Au contraire, l’ALENA a découragé la diversification de l’économie mexicaine, dans la mesure où il n’y a quasiment aucune valeur ajoutée dans l’assemblage en usine de pièces détachées largement fabriquées à l’étranger et rarement au Mexique. Il s’agit de tourisme industriel, et appeler ces produits des exportations est trompeur.
Quant aux pauvres Mexicains soi-disant ravis de travailler chez eux, il est vrai que le nombre d’arrestations par la police des frontières a baissé considérablement depuis 2006. Cependant, le nombre d’expulsions a aussi énormément augmenté (1 957 784 pendant les huit ans d’Obama contre 1 416 704 durant les deux mandats de Bush). Serait-ce parce que l’intimidation toute crue a découragé les sans-papiers potentiels de tenter leur chance dans « Il Norte » ?
Tout cela n’empêche pas les promoteurs du « libre-échange » de louer l’ALENA comme s’il s’agissait de vrai libre-échange. Or, c’est d’abord et avant tout un contrat d’investissement qui protège les biens américains et canadiens contre l’expropriation mexicaine, la régulation et le harcèlement des autorités locales. Les tarifs entre les États-Unis et le Mexique étaient déjà très bas lors des négociations de l’ALENA, mais à l’époque, les hommes d’affaires américains craignaient le chantage du pouvoir oligarchique. Le seul élément libre-échangiste important de l’accord fut la baisse à zéro du tarif mexicain sur le maïs américain ; les centaines de milliers de paysans chassés de leurs terres par le maïs à bas prix venant du Nebraska en sont les témoins.
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