Nouvelle plaidoirie pour une Constitution nationale Québécoise

Chronique d'André Savard

Le Québec se fait dire que l’avenir n’est plus ce qu’il était. La représentation du lendemain que les indépendantistes ont voulu faire miroiter oubliait que le Québec n’est pas en soi une volonté agissante à l’exclusion de l’horizon pertinent à la politique canadienne dans son ensemble. On aurait oublié que le Fédéral est le seul gouvernement qui conserve le pouvoir de parler au nom de tous, celui qui représente les structures, le temps long, celui qui se fonde sur la délibération de tous les Canadiens, celui qui protège du volontarisme de quelques-uns, ou celui au contraire qui favorise le volontarisme de quelques-uns.
Michaelle Jean l’a déjà dit, le Canada est un microcosme, une sorte d’idéologie du monde personnifiée, aussi bien dire un pays particulier qui est en soi le camouflage de l’universel.
Les prétentions de l’Etat canadien sont tentaculaires et elle font passer au rang des pertes et profits, l’évanouissement de la nation québécoise à titre de point de référence légitime. Le Québec comme nation se voit accusé d'ethnocentrisme dès qu'elle soulève quelque souci de cohésion collective, de projet commun basé sur le devenir francophone et les responsabilités qui en découlent pour l’Etat québécois.
Quand on parle des jeunes qui choisissent le collège en anglais plutôt qu’en français, on rétorque dans les rangs fédéralistes qu’il y a tout de même un majorité de jeunes venant de la nouvelle immigration qui choisissent de poursuivre leurs études en français. On semble vouloir ignorer que les quarante pour cent choisissant l’anglais, c’est un chiffre important. Ce pourcentage crée le malaise car il traduit un problème d’affectio societatis, une adhésion difficile au Québec comme premier pôle de la vie nationale.
Comme cela fait partie du discours officiel de prétendre que le Canada représente une projection plus vaste, comme on entend que le Québec, par rapport au Canada, correspond à des possibilités moindres d’espérance, rien d’étonnant à ce que la nation québécoise soit un pôle secondaire dans le champ magnétique canadien. Si le Québec ne peut plus se projeter vers l’avant qu’à travers les logiques sociales et culturelles qui appartiennent au Canada tout entier, il est désormais inutile de prôner l’appartenance au Québec. À ce titre, l'école secondaire c'est bien assez pour apprendre une langue de traduction qui subsiste à l'état résiduel au Canada.
Toute nation, même la plus épanouie, est marquée par un climat moral qui cimente les agissements de ses acteurs et qui instruit la pensée collective. À la base, pour expliquer l’identité canadienne, on retrouve un complexe politico-judiciaire marqué par la fermeture et le déni.
La fermeture vise à mener un conflit à son terme et à soulager le Canada du souci que représentait le Québec, cette nation devenue la province annexée du Canada. La fermeture a pour but d’empêcher ce qui est déjà survenue de changer. Si on applique les diktats du complexe politico-judicaire canadien à la lettre, le mouvement indépendantiste est désormais dans une boucle fermée, où il ne fait que de la figuration. Le gouvernement qu’il recomposera un jour reconduira l’alternance des gouvernements et le mirage d’une démocratie. On continuera à dire la “bibliothèque nationale”, le "gouvernement national" pour désigner la législature provinciale du Québec, à conduire des référendums, toute une parade ratifiée par le vote et dont le Fédéral s’est octroyé le pouvoir de mesurer a posteriori l’importance.
À la fermeture s’ajoute le déni comme le penchant obligé du balancier. Le complexe politico-judiciaire du Canada repose sur l’évacuation du concept de la nation québécoise qui ne peut plus engendrer une pratique militante qui puisse aboutir. Depuis plusieurs décennies, on a voulu banaliser l’état de fermeture qui pèse comme une soupape. On a dit que l’architecture nouvelle de la société avec ces représentations culturalistes, ces modes d’organisations du travail rendent inopérantes les analyses traditionnelles du type nation à nation. Rien ne serait figé. On aurait simplement changé pour un paradigme plus évolué.
Par rapport au complexe politico-judiciaire qui s’est échafaudé au Canada, le Québec a bien voulu dénier son enfermement dans une arène close. Pourtant l'appareil de références du Canada est si unilatéral que la nation québécoise n'y est ni évoquée, encore moins protégée, par aucune disposition d'un contrat social.
La loi dite de la clarté par exemple implique que le complexe politico-judiciaire canadien se réserve le droit de déterritorialiser le Québec. On traite le vote sur la souveraineté du Québec comme une renonciation à la citoyenneté canadienne, un désir de sortir de la base citoyenne pluri-ethnique occupant déjà le territoire canadien. Et la loi suit cette logique interprétative en se donnant le droit de redécouper le territoire sur des bases ethniques. Stéphane Dion a justifié cette restriction mentale face à la signification de l'événement en disant que l'indépendance étant une "rupture de solidarité", le Canada a tous les droits de réitérer sa solidarité envers des communautés-ghettos nonobstant l'assentiment de l'Etat québécois.
Généralement, on nie les implications de l’appareil judiciaire canadien en disant que la démocratie existe et qu’elle conduit à une piste médiane, et qu’une négociation inspirée par le réalisme politique mènera à un compromis raisonnable entre camps affrontés. On dit que le complexe politico-judiciaire du Canada ne repose pas sur un escamotage de la nation québécoise et que celle-ci, faute d’avoir un plein droit de cité, se retrouve comme une condition implicite dans la pratique de la gestion canadienne.
Sur ces deux prémisses, on en conclut qu’il faut avoir confiance, quoi qu’il advienne, au complexe politico-judiciaire canadien. Pour ma part, j’ai souvent dit redouter que cette approche dite légitimiste soit intenable. Il est clair que le complexe politico-judiciaire canadien, par la fragilité de ses bases éthiques, au regard même d’ailleurs de la pratique fédérale, basée sur la liberté de contrat et le caractère inaliénable des partenaires, fut mis sur pied pour servir de fourrier à la victoire du plus puissant.
En se disant “gouvernement national” et en ne signant pas la Constitution canadienne, la législature provinciale du Québec conteste implicitement la pratique abusive du complexe politico-judiciaire canadien. Pour les Canadiens, ces comportements du Québec ne sont que méthodes locales qui traduisent des certitudes intériorisées chez nous.
Les Canadiens dans leur Constitution disent croire à l’égalité, au progrès, à la raison. Leur égalité, c’est l’égalité des provinces. Leur fraternité, c’est le culturalisme, des identifications militantes enclavées, tout cela soudé par l’usage commun de la langue anglaise. Les principes abstraits que le complexe politico-judiciaire canadien défend sont en fait au service d’une longue maturation historique. Les valeurs dites canadiennes ne tombent pas du ciel. La Constitution canadienne actuelle démontre que le Québec ne peut que se dissocier d’un héritage qui ne correspond nullement à sa façon de se concevoir comme nation distincte et inaliénable.
Une Constitution québécoise devrait resserrer la pensée autour de ce fondement essentiel. Les fédéralistes et quelques indépendantistes diront que cette Constitution aurait le désavantage d’affirmer la nation québécoise comme un "autre" qui conteste, dans un document interne au système, les fondements essentiels du complexe politico-judiciaire canadien. Ce serait un document vide, aussi vide que l’appellation “gouvernement national”. Elle ferait partie de cette conspiration du déni que nous dressons alors que se poursuivent les désagrégations de notre fait national au sein du giron canadien.
Pour eux, ces fédéralistes et ces indépendantistes, l’affirmation de ce fondement essentiel devra attendre le jour de l’indépendance. C’est oublier que le complexe politico-judiciaire canadien globalisé, emboîtant la loi dite de la clarté et la Constitution canadienne, s’inspire d’une archéologie morale basée strictement sur
A) Les groupes culturalistes, les enclaves ethniques en voie d’anglicisation.
B) La préséance des législatures provinciales sur le ressort spécifique d’une législature provinciale, en l’occurrence le Québec.
Les notions du complexe politico-judiciaire canadien s’éclairent l’une par l’autre et elle fait du Québec, autant comme fait culturel que géographique, une concession canadienne accordée par l’ensemble des citoyens canadiens. Même un fédéraliste québécois devrait se dissocier de ces fondements promus par l’appareil politico-judiciaire canadien.
Que le Québec soit indépendant ou non, il se voit comme un foyer originel et comme l’unique Etat francophone dépositaire de droits, possesseur d’un territoire non divisible. Toute mesure qui risque d’altérer l’avenir de la nation québécoise doit demeurer du ressort exclusif du gouvernement québécois.
Cette vision est contestée par les activistes canadiens. Pour eux, cette vision en appelle à une distinction d’origine car elle veut asseoir les prérogatives d’une législature particulière sur cette même distinction d’origine. Par rapport à cette contestation du Canada, on aurait avantage à se souvenir de cette phrase du philosophe Daniel Sibony: “L’origine de la haine, c’est la haine des origines”.
Une constituante devrait donc pleinement assumer cette filiation culturelle, la nature de foyer autant culturel que territorial, intangible et inaliénable, de notre Etat français en Amérique. Les législatures provinciales qui conspuent la distinction d’origine française, ont une sensibilité sélective. Tout nouvel habitant du la Colombie-Britannique est appelé Britanno-colombien sans égard pour sa langue ou ses sentiments à l’égard de l’empire britannique.
Que l’on soit fédéraliste ou indépendantiste, on doit constater que le complexe politico-judiciaire canadien est fondé sur un découpage du réel qui tire sa source strictement des préconceptions du vrai et du faux partagées par la nation canadienne. Les préjugés canadiens rôdent partout dans la conception de la justice canadienne refondée par la Constitution canadienne de 1982.
Le complexe politico-judicaire canadien est le bras de fer des lieux communs canadiens. C’est bien le moins que le Québec commence par avoir ses propres textes fondateurs qui disent que la nation québécoise croit spontanément avoir des fondements propres et inaliénables.
Sinon, le complexe politico-judiciaire du Canada continuera à jouer la police politique de la liberté pour tous dans un pays unitaire anglais. Face à lui, le complexe politico-judiciaire canadien ne trouvera pas d’envers symbolique consistant. Quant aux politiciens québécois, ils seront englués dans la gestion quotidienne, espace unique des “vrais problèmes” paraît-il.
André Savard


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1 commentaire

  • Jean-Claude Pomerleau Répondre

    16 août 2010

    Vivement une doctrine d'État
    Le principe que votre évoquez est celui de l'équivalence. C'est exactement au nom de ce principe que l'ex Ministre Joseph Facal a justifié la Loi 99 pour contrer la Loi C 20:
    "À une loi, il était préférable de répondre par une loi. Pourquoi? Parce que si les choses restent telles qu’elles sont, il va y avoir, un jour, nécessité d’un arbitrage. Pour se gouverner, les citoyennes et les citoyens devront savoir quelles normes auront préséance, lesquelles seront applicables. À ce moment-là, il sera important, voire essentiel, que ces normes aient, au départ, un statut comparable. Une déclaration de l’Assemblée nationale, fut-elle solennelle ou autre, ne pourrait offrir à ce chapitre le même poids qu’une loi."
    http://www.saic.gouv.qc.ca/centre_de_presse/discours/2000/saic_dis20001121.htm
    Donc pour contrer la Constitution canadienne, il nous faut au nom du principe de l'équivalence adopter en priorité une Constitution de l'État du Québec. J'énumère ici les avantages stratégiques de cette proposition, contenu dans le Plan Marois:
    "Il nous faut donc opposer notre propre Constitution à une autre Constitution. Il faut donc que le Québec se dote de sa propre Constitution d’État (et non de province), incluant une Charte des droits, une Charte de la laïcité et un Code de citoyenneté. Cette Constitution pourrait être adoptée, dans un premier temps, sous réserve des articles 41 et 45 de la Constitution canadienne ; elle contiendrait une clause de rupture à être activée en temps opportun. Certains pensent qu’il faut plutôt attendre le lendemain du Grand Soir pour se doter d’une Constitution d’État, sinon on s’enferme soi-même dans la cage à castor canadienne.
    Je suis plutôt d’avis que la vaste consultation publique menant à l’adoption de notre propre Consultation d’État (et non de province) serait l’occasion d’un exercice pédagogique extraordinaire, lequel permettrait au peuple de dessiner les contours plus précis d’un pays ; un pas concret vers la rupture. Il est entendu que l’Assemblée Nationale postulerait que notre Constitution a préséance sur la Constitution canadienne, suivant en cela la posture prise dans l’adoption de la Loi 99 qui répudiait la Loi C 20. Il est à prévoir que cela mènerait à un conflit de légitimité entre les deux Constitutions. C’est ici que la clause de rupture prend toute sa pertinence ; le peuple aurait alors à trancher et faire un choix entre une Constitution qui lui fut imposée et celle qu’il se serait donnée démocratiquement. Le choix n’aura jamais été aussi clair. Bref, il y a là un positionnement stratégique obtenu sans grand risque."
    http://www.vigile.net/La-burka-canadienne
    Il faut comprendre que le déterminant de la politique c'est l'État, celui du Québec en occurrence. Et c'est à partir de cet État que nous devons agir avec détermination dès la prise du pouvoir. Vivement une doctrine d'État.
    JCPomerleau