Montréal, théâtre d'une désaffiliation nationale

Le destin québécois


« Le destin du Québec se jouera à Montréal dans les dix prochaines années. D'après moi, la lutte pour le contrôle de Montréal est la plus importante de l'histoire du Québec du 20e siècle. »
Guy Laforest, De l'urgence - Textes politiques 1994-1995. Éd. Boréal.


Qui ne se doute pas, aujourd'hui avec encore beaucoup plus d'acuité qu'hier, que Montréal est un de ces tristes théâtres où se joue la mise en scène déplorable de notre avachissement collectif? Qui s'acharne à vouloir maintenir au Québec une identité nationale distincte ne peut, à court et moyen terme, faire l'économie de la bataille pour le contrôle de Montréal.
Bien qu'on y déplore fréquemment le déclin de l'usage de la langue française, on semble faire peu de cas de la montée d'un sentiment identitaire proprement montréalais qu'instrumentalisent allégrement les tenants de l'interculturalisme, pendant québécois si peu différentiable du multiculturalisme canadien. Et pourtant, c'est bien là que se joue le destin de la nation québécoise, si tant est que nous la voulons toujours d'histoire et de culture.
Évidemment, ce n'est pas le cas des ténors de l'interculturalisme qui au nom de la pérennité de la nation québécoise veulent la désubstantialiser, la réduire à un simple mode de gestion bureaucratique de la diversité. En somme, veulent-ils faire du Québec un buffet ouvert interculturel où la culture des Franco-Québécois sera appelée, à terme, à n'être qu'une culture parmi tant d'autres alors que l'immense majorité des Québécois la voudrait telle une culture de convergence, tel un passage obligé en vue d'une intégration immigrante réussie.
Un Québécois interculturalisé n'est probablement rien de moins qu'un citoyen du monde, attaché à la langue française de manière très utilitaire. En cela, est-ce de la discrimination, que d'exiger une intégration substantielle à la culture franco-québécoise? Est-ce du racisme, que de vouloir instaurer un régime de continuité dans la perpétuation de la nation québécoise?
Or, je vous le demande, qu'y a-t-il de si différentiable entre un mode de gestion bureaucratique diversitaire bilingue et un second, exigeant timidement la prédominance d'une des deux langues? Entre ces deux multiculturalismes, il n'y a, bien entendu, qu'un pas à franchir pour une intégration collective réussie, celle d'un Québec canadianisé, volontairement intégré au fédéralisme unitaire de 1982 qu'il avait pourtant formellement récusé.
Pure folie, que tout cela? J'avancerais pour ma part qu'il s'agit là d'un processus bien amorcé à Montréal, où chaque jour qui passe consacre la montée d'une identité montréalaise, idéologiquement multiculturelle et politiquement bien plus éloignée du Québec national que du Canada multiculturel. Non seulement éloignée, mais aussi bien souvent érigée en culture "repoussoir" vis-à-vis des gens issus de l'immigration à Montréal, ce qui s'expliquerait par « l'émergence d'une nouvelle identité politique liée à l'hétérogénéité cosmopolite à Montréal, perçue comme positive, par opposition au provincialisme étroit lié au vote souverainiste et au reste du Québec à l'extérieur de Montréal » (1).
Maîtres chez nous, c'était l'évocation d'un idéal et les Québécois entretiennent bien évidemment toujours un attachement foncièrement existentiel à cet idéal. Maîtres chez nous, c'était la promesse, désormais, d'un peuple qui n'aurait plus pas peur de son ombre nationale, mais qui se vouerait à l'avenir à la pleine assomption de lui-même, de sa subjectivité propre.
Un jour faudra-t-il lever les tabous autour de la diversité ethnique et substituer aux régimes des accommodements raisonnables, de la permissivité naïve, du laisser-faire multiculturel désintégrateur, un régime de clarté. Un jour faudra-t-il consacrer la renaissance du Maîtres chez nous, le substituer une bonne fois pour toutes au veau d'or multiculturel. Maintenant ou jamais, soyons les acteurs, soyons les principaux entrepreneurs de notre ressaisissement collectif. C'est là toute la grâce que je nous souhaite.
(1) P.297 dans Labelle, Micheline et Daniel Salée. 2001. « Immigrant and minority reprensentations of citizenship in Quebec ». Dans Alexander Aleinikoff et Douglas Klusmeyer (dir.), Citizenship today. Global perspectives and practices. Washington : Carnegie Endowment for International Peace. 278-315.


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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    23 janvier 2011

    Le nom est : schizophrénie nationale. Intérêts divisés. Nation inhibée. Pays sans chef. Le Québec (comme la France) reçoit plus d’immigrants qu’il ne peut en intégrer. Ceux qui croyaient arriver en terre de langue française doivent se détromper en voyant l’affichage, en entendant les commerçants et les lieux d’embauche. Dans Montréal, où débarque la majorité, le problème se vit en concentration. L’île n’a pas pu devenir la ville que nous voulions, à cause de la partition des 15 municipalités qui y vivent en anglais, parmi 19 arrondissements de Montréal, à cause des défusions de Charest. (2006)
    La ville de Montréal a tout de suite été mise au pas des canadianisateurs venus délibérément stopper le mouvement d’émancipation d’une nation déjà en commotion après le référendum usurpé de 1995.
    Voilà comment la ville est devenue le symptôme du cancer qui ronge la nation. S’attaquer à l’unilinguisme anglais des dépanneurs chinois ne servira à rien tant que nous n’aurons pas décidé collectivement de reprendre tous les pouvoirs au Québec. Et ça devra se faire vite parce que les dégâts sont considérables, dans nos mentalités, dans nos moyens de communication, dans notre richesse individuelle et collective, donc dans notre volonté de vivre, et en français.
    Pour ce qui est du « Canadien » de Montréal, pourquoi s’en préoccuper? Déjà que ce nom, qui nous inspirait du temps de Maurice Richard, que nous tolérions encore pour acclamer Jean Béliveau et Guy Lafleur qui pratiquaient « notre » sport national, ce nom représente maintenant le lieu de notre aliénation profonde. Le temple de la douteuse haute finance devenu la glorification de la commotion cérébrale! Il fallait entendre Georges Larac chez Christiane Charrette ridiculiser J.-F. Lisée qui posait la question des mises en échec sauvages… Enlevez ces risques de fauteuil roulant et l’endroit se vide. D’ailleurs, ce simple commentaire, je n’oserais même pas le faire à haute voix dans un café, de peur de subir les mêmes sarcasmes. Les gladiateurs combattaient ferme puisqu’ils gagnaient ou mouraient. Au hockey, la mutilation est devenue un risque accepté par les joueurs, comme en course d’autos, en ski de descente. Y contester le déficit de français??? Les mêmes instincts sont aujourd’hui cultivés chez le peuple spectateur pour l’empêcher de penser à sa liquéfaction politique. D’autant plus qu’à la télé, il n’y a plus Virginie.

  • Archives de Vigile Répondre

    23 janvier 2011

    @ Noel.. J'entends quelques Québécois dans les équipes américaines même si le hokey n'est pas mon dada. Mais le monde des affaires a ses règles propres et il faut bien les comprendre. Le ''maître chez-nous'' évoqué par René Levesque et l'auteur va au delà du sport et en tant qu'immigrante, je partage globalement cette revendication. Ce n'est pas au Québec de se plier aux diverses caprices culturelles et traditionnelles des immigrants. Les immigrants doivent aussi faire leur cheminement. C'est une question de respect mutuel. Et de toutes les façons j'estime que les us et coutumes doivent changer de génération en génération et selon l'espace vital. Raison pour laquelle vouloir régiférer devant la difficulté d'intégration des immigrants issus de la première génération me semble peut-être hâtif. Il faut imposer certaines règles selon des principes claires applicables à tout le monde. Sinon on risque de tomber dans le libertinage avec toutes ses conséquences.

  • Archives de Vigile Répondre

    22 janvier 2011

    Très juste. Le Canadien de Montréal est un bel exemple. L'équipe des Flying French, l'équipe qui représentait tout le Canada français (avant l'arrivée des Nordiques s'entend) est devenue, en 2011, l'équipe des Montrealers. Une équipe complètement lessivée de son identité "francophone". L'équipe de Montréal, qui unit tous les Montréalais, mais sans la moindre identité historique et québécoise.
    Vous avez vu des Anglos ou des Chinois demander plus de "joueurs francophones" dans l'équipe? Personne. Seuls les derniers Québécois derrière l'équipe continuent de supplier la direction d'aller chercher des "Francophones". La direction s'en fout.