Dans [son message de salutation à la fête du Canada->14207], Stephen Harper souligne le 141 ème anniversaire de la « Confédération ». Il emploie ce terme à la première ligne de sa déclaration et cesse de l’employer dans les paragraphes subséquents. Le premier ministre a peut-être jugé que la réalité ne lui permettait pas de mentionner ce terme trop souvent, le Québec étant fédéré de force par les voix majoritaires des provinces.
Le mot « Confédération » fait partie de cette épidémie de création poétique qui permet de se détacher des faits sans se faire accuser de mentir. En revanche, à l’aube du 24 juin, les médias furent platement collés à la « réalité », celle qui se veut la plus « apolitique » possible. Le journal La Presse dans un article intitulé « Chante-moé ta toune » fait le palmarès de toutes les chansons dédiées à « la Belle Province ».
La Presse, dans tout son article, ne désignera le Québec qu’en le surnommant la Belle Province. En toile de fond, le journal a décidé de montrer le carrelé noir et rouge, typique de la chemise du bûcheron. On notera aussi l’emploi du joual et cette manière de rapporter l’événement comme s’il s’agissait d’un festival de la chanson.
Un pareil code du silence ne s’impose pas quand il s’agit de traiter du Canada. Stephen Harper n’a pas à se borner dans sa déclaration à remarquer que c’est le pays où chantent Rush, Shana Twain, Gordon Lightfoot et Leonard Cohen. Il ne se fera pas non plus accuser d’entorse à la démocratie pour avoir débité cette perle :
« L’année 2008 comporte plusieurs anniversaires historiques : le 400 eme anniversaire de la fondation de la ville de Québec par le premier gouverneur du Canada Samuel de Champlain, le 250 eme anniversaire de la création de l’assemblée représentative en Nouvelle-Écosse, faisant du Canada l’une des premières démocraties du monde et le 150 eme anniversaire de l’établissement de la colonie de la Colombie-Britannique qui a permis ultimement à notre pays de s’étendre d’un océan à l’autre. »
Alors que la semaine dernière, les chantres fédéralistes dénonçaient la fête nationale d’avoir été politisée de façon éhontée, cette semaine Stephen Harper peut s’adonner au révisionnisme historique avec la bénédiction de cette grande démocratie. Pendant que la Nouvelle-Écosse se targuait d’avoir une chambre représentative, on empêchait les Québécois d’avoir leur propre gouvernement. Et quant à cette colonie de la Colombie-Britannique, Stephen Harper ne dira pas qu’elle fleurira sur les cendres fumantes de la colonisation par des collectivités francophones.
La déclaration de Stephen Harper ne fait aucune mention du destin particulier des francophones. On voit que c’est le Canada anglais, s’étendant ultimement d’un océan à l’autre, qui y reçoit une reconnaissance officielle. Stephen Harper cite le chef des Premières Nations au nom francophone du reste, un point sans grand intérêt pour eux : « Nous pouvons ensemble atteindre la grandeur que notre pays mérite ».
Ce sont les mots « ensemble » et « pays » qui s’appuient mutuellement pour signifier que tout devra se faire dans les règles. Ces règles sont politiques mais la présence des « Premières Nations » aident à leur conférer le statut d’un ordre naturel. On prend bien soin de préciser que Samuel de Champlain fonde une ville et qu’il est le gouverneur du Canada, un pays qui aurait précédé l’arrivée des francophones. Ainsi la propagande fédéraliste s’ajuste graduellement pour revêtir le Canada d’une réputation d’entité immémoriale.
Si un premier ministre du Québec disait lors de la fête nationale du Québec que son gouvernement doit s’émanciper et cesser d’être la province d’une autre nation, ce serait l’indignation. On l’accuserait d’avoir utilisé une fête publique pour émettre des jugements truffés de parti pris. Les fédéralistes, eux, n’ont aucune de ces restrictions. Le droit de donner libre cours à leur mythologie a sa place partout.
On ne sait pas où est la nation québécoise dans la déclaration de Harper : « Nous formons ensemble une fédération unie, composée de provinces et de territoires forts. Nous formons ensemble des collectivités saines qui bâtissent des collectivités fortes », dit-il.
S’il n’y a pas lieu de s’interroger sur ce silence, c’est parce qu’on sait fort bien que dans le « Canada uni », il n’y a pas de distinction à faire. La nation québécoise a droit de mention que si son contenu est apolitique. Cependant, tout discours qui affirme que le Québec est la « belle province » ou qui affirme la légitimité supérieure de l’Etat canadien passe pour apolitique.
Plusieurs critiques ont fusé après la prestation du groupe Loco Locass au parc Maisonneuve. Les paroles de la chanson Libérez-nous des Libéraux n’étaient pas apolitiques a-t-on allégué. Pendant que le premier ministre du Canada affirme la souveraineté du Canada sur le Québec et que Michaelle Jean babille ses cours de philosophie 101, si on se fie à leur logique, les organisateurs de la St-Jean devraient filtrer les chansons.
Ce n’est pas assez que de confiner la fête de la St-Jean au rang de festival de la chanson dédiée à la belle province. Il faudrait maintenant s’assurer que la prosodie des chanteurs ait un contenu purement existentiel et sans connotation partisane. Avis pour les prochaines festivités : on peut dire dans les chansons que l’on boit, que l’on sort de l’asile ou que notre libido est très élevée, c’est déjà bien assez de chez nous et tellement réel.
Tout le monde se tiendra à carreau pour être « apolitique ». Hourrah ! Dansons à présent pour le 400 ème ! La renommée de Samuel de Champlain ne doit pas dépasser le cercle des fondateurs de ville et d’ancêtre de Michaëlle Jean. Le pauvre Samuel de Champlain apprendra en 2008 qu’il était Double-Jeu incarné, quelqu’un qui ne venait pas tant fonder la capitale d’un pays français et souverain que préparer sa destitution au rang de province. C’est comme ça qu’on est « apolitique », neutre, ou plutôt, neutralisé, au Canada.
André Savard
Mode d’emploi du parfait apolitique au Canada
On ne sait pas où est la nation québécoise dans la déclaration de Harper
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