Michaëlle Jean doit-elle accepter de proroger la Chambre ?

Coalition BQ-NPD-PLC

Alec Castonguay, Hélène Buzzetti Ottawa -- Poussé dans les câbles, le gouvernement conservateur pense sérieusement à proroger le Parlement jusqu'à la fin du mois de janvier, arrêtant du coup toutes les activités de la Chambre des communes. Le vote de censure qui doit se tenir lundi -- et qui vise à remplacer le gouvernement par une coalition -- n'aurait donc pas lieu.
Dans l'entourage du premier ministre, on affirme qu'aucune décision n'a encore été prise, mais que la possibilité est bien réelle. «Ça fait partie du coffre d'outils du premier ministre», confirme le ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon. Une source gouvernementale ajoute: «Si on le fait, ça ne sera pas pour sauver notre peau, mais pour défendre le droit démocratique de la population.»
Le gouvernement devrait alors revenir en Chambre à la fin du mois de janvier avec un nouveau discours du Trône et un budget, deux exercices qui constituent des votes de confiance.
La gouverneure générale, Michaëlle Jean, a signifié hier qu'elle écourtait son voyage en Europe pour revenir plus rapidement à Ottawa, ce qui a donné du tonus à la possibilité que la Chambre soit prorogée d'ici vendredi. C'est elle, en définitive, qui doit donner le feu vert à une prorogation des Communes.
C'est d'ailleurs la grande question qui a envahi Ottawa: est-ce que Michaëlle Jean devrait accepter de proroger la Chambre si Stephen Harper lui demande? «Il faudrait d'abord qu'on me le demande», a-t-elle dit hier lors d'une courte entrevue à Radio-Canada.
Comment va-t-elle juger si cette demande est acceptable? «Le rôle du gouverneur général est de s'assurer qu'il y a continuité, de s'assurer que la gouvernance du Parlement est établie sur de bonnes bases. C'est ce à quoi je vais voir», a dit Michaëlle Jean.
Au bureau de Stephen Harper, on estime que la gouverneure générale doit absolument suivre l'avis du premier ministre et donc accepter de proroger le Parlement si la demande est formulée. On explique qu'il n'y a aucun précédent où le gouverneur général a refusé cette demande du premier ministre.
C'est vrai, confirme Peter Russell, professeur émérite à l'Université de Toronto et spécialiste du parlementarisme. Mais la situation actuelle n'a aucun précédent non plus, ajoute-t-il rapidement. C'est pourquoi la décision de la gouverneure générale est moins évidente qu'elle n'en a l'air.
«Une demande normale de prorogation par le premier ministre devrait être acceptée, a dit Peter Russell lors d'un entretien avec Le Devoir. Mais, par normal, on entend par là la fin d'une session parlementaire. Nous n'avons jamais vu de précédent où une prorogation est demandée au tout début d'une session, de surcroît pour s'éviter un vote de censure.»
Le spécialiste estime d'ailleurs que Michaëlle Jean devrait refuser une telle demande de la part du premier ministre Harper. «La gouverneure générale devra réfléchir prudemment et faire la bonne chose pour la démocratie parlementaire, parce que, dans notre système, les ministres doivent avoir la confiance de la Chambre des représentants élus.»
Terrain inconnu
En fait, presque tous les experts s'entendent sur le fait que la gouverneure générale refuserait de replonger le pays en élections si le premier ministre lui demandait. Le dernier scrutin ayant eu lieu il y a à peine six semaines, la coalition aurait probablement une chance de diriger le pays si elle peut prouver qu'elle est stable.
Mais dans le cas de la prorogation, les spécialistes ne s'entendent pas. Plusieurs constitutionnalistes estiment, comme l'entourage de Stephen Harper, que la gouverneure générale doit suivre l'avis du premier ministre en tout temps. Louis Massicotte, professeur de science politique à l'Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche sur la démocratie, comprend ce point de vue.
«La voie la moins compromettante pour la gouverneure générale est de suivre l'avis du premier ministre», dit-il, puisque dès que Michaëlle Jean «entre dans l'équation» et sort des sentiers battus, «beaucoup de gens vont lui tomber dessus, peu importe sa décision».
Il convient toutefois que la situation est exceptionnelle et que ce raisonnement n'est donc pas parfait. «On entre en terrain tout à fait inconnu. Il n'y a aucune littérature sur le sujet. Proroger la session relève de la pratique du parlementarisme, la règle n'est écrite nulle part», affirme Louis Massicotte.
Ce n'est pas pour rien que les opinions des experts divergent. Cet été, dans le Globe and Mail, le juriste Patrick Monahan écrivait que «le gouverneur général est seulement tenu de suivre le conseil d'un premier ministre qui a l'appui de la Chambre». Donc, s'il est clair que l'opposition veut le renverser le plus rapidement possible, a-t-il encore cette confiance?
Joint par Le Devoir hier, Patrick Monahan a refusé de commenter la crise actuelle, soutenant simplement qu'il n'est pas en position de le faire. Il n'a pas voulu dire s'il fait partie des experts actuellement consultés par la gouverneure générale.
Louis Massicotte convient qu'aucun gouvernement sur le point de perdre la confiance de la Chambre n'a utilisé la prorogation pour s'en sortir, ce qui fausse les données historiques. «La gouverneure générale pourrait juger qu'il ne sert à rien de prolonger l'agonie jusqu'en janvier, et donc l'instabilité, en acceptant de proroger», dit-il.
Louis Massicotte souligne qu'il est loin d'être certain que les esprits seraient plus calmes en janvier, à la reprise des travaux parlementaires. «L'opposition pourrait encore vouloir défaire le gouvernement et on se retrouverait à la case départ», dit Louis Massicotte.
C'est aussi l'avis de Peter Russell, qui rappelle qu'une loi non écrite veut que moins de six mois après une élection, la gouverneure générale se tourne vers l'opposition pour former le gouvernement. Dans le contexte actuel, dit-il, même si Stephen Harper obtient une prorogation, un vote de confiance serait susceptible de survenir avant le 14 avril.


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