Menace militaire réelle contre l'Iran ?: «Guerre psychologique», selon Téhéran

2006 textes seuls


Même si l'administration américaine s'en tient pour l'instant à l'option diplomatique dans le bras de fer qui l'oppose à l'Iran, les stratèges militaires étudient une palette de scénarios qui vont des raids aériens limités sur des sites nucléaires-clés à une campagne de bombardement plus extensive destinée à détruire des cibles militaires ou politiques, selon des informations obtenues par le magazine [New Yorker->843] et le quotidien Washington Post. Des affirmations démenties par la Maison-Blanche, mais qualifiées de «guerre psychologique» par Téhéran.
Selon les officiels cités par les deux publications, l'US Air Force établirait des listes de cibles, telles que l'usine d'enrichissement d'uranium de Natanz et l'installation de conversion d'Ispahan. Une invasion terrestre ne serait pas envisagée, précise le quotidien de Washington, puisque les options vont d'une attaque aérienne sur quelques sites à une campagne de bombardement plus large. Le Pentagone envisagerait même des frappes nucléaires sur le bunker de Natanz, qui protège les installations en sous-sol. «Tout en défendant publiquement la diplomatie pour arrêter l'Iran dans sa quête de l'arme atomique», l'administration du président George W. Bush a «intensifié ses plans en vue d'une possible attaque aérienne», explique le New Yorker dans un long article signé par Seymour Hersh, une sommité du journalisme qui a notamment révélé l'affaire des tortures à la prison irakienne d'Abou Ghraïb. Le texte souligne également que des équipes de soldats américains ont reçu l'ordre de se rendre en Iran pour recueillir de l'information sur les cibles potentielles et pour établir des contacts avec des groupes anti-gouvernementaux issus de certaines minorités ethniques.
Le Washington Post croit savoir de son côté qu'une attaque n'est pas prévue à court terme, mais que les responsables américains, qui ont déjà qualifié l'Iran de «succursale avancée de la tyrannie», considèrent qu'il s'agit d'une option possible. Ils utiliseraient d'ailleurs cette menace pour convaincre les Iraniens du sérieux de leurs intentions, précise le journal, qui a pu recueillir des informations auprès de membres «actuels et anciens» du Pentagone et de la CIA. «La Maison-Blanche croit que la seule façon de résoudre le problème est de changer la structure du pouvoir en Iran, explique M. Hersh, citant un conseiller du Pentagone. Cela veut dire faire la guerre.»
La Maison-Blanche, sans opposer de démentis à ces informations, a précisé qu'elle privilégiait une solution diplomatique. Interrogé sur ces articles, le Pentagone a réaffirmé hier que les États-Unis poursuivaient tous leurs efforts avec la communauté internationale pour répondre par la voie diplomatique aux ambitions nucléaires de l'Iran, tout en refusant de faire des commentaires sur une éventuelle option militaire. «Le président et le département d'État travaillent activement avec la communauté internationale, l'Agence internationale de l'énergie atomique et les Nations unies pour régler par la voie diplomatique [les problèmes soulevés par] le programme nucléaire inquiétant du gouvernement iranien», a déclaré le porte-parole du Pentagone, le colonel Mark Ballesterosun.
Officiellement, les États-Unis envisagent des restrictions sur les importations de pistaches et de tapis si l'Iran ne renonce pas à son programme nucléaire. L'ambassadeur des États-Unis à l'ONU, John Bolton, en a d'ailleurs agité la menace jeudi dernier. «Nous devons traiter ce problème par des moyens diplomatiques maintenant», disait pourtant le président George W. Bush à la fin mars, avant d'ajouter: «J'ai déjà dit clairement que j'emploierais la force militaire pour protéger notre allié, Israël.» Selon lui, «tout le monde est d'accord pour dire que les Iraniens ne doivent pas avoir l'arme nucléaire, la capacité de produire l'arme nucléaire ou le savoir pour produire l'arme nucléaire».
Aucune opération militaire contre l'Iran ne figure à l'ordre du jour, et les États-Unis sont fermement engagés dans la recherche d'une solution négociée à la crise sur les ambitions nucléaires de Téhéran, a pour sa part déclaré hier le chef de la diplomatie britannique, Jack Straw. L'idée que Washington pourrait lancer une frappe nucléaire contre l'Iran est même «complètement dingue», a-t-il affirmé à la BBC, qui l'interrogeait au sujet de l'article de Seymour Hersh.
De son côté, Téhéran a mis hier ces informations étayant la thèse d'une possible frappe militaire sur le compte de la «guerre psychologique», jugeant également que c'était «une grande erreur» de penser que le Conseil de sécurité de l'ONU réussirait à contraindre Téhéran à renoncer à l'enrichissement de l'uranium. Le Conseil a donné jusqu'au 28 avril à l'Iran pour suspendre l'enrichissement d'uranium.
«S'il pensent que traduire l'Iran devant le Conseil de sécurité de l'ONU va faire que l'Iran abandonne ses droits, ils ont fait une grande erreur, a déclaré le porte-parole de la diplomatie iranienne, Hamid Reza Asefi. L'enrichissement de l'uranium pour la recherche fait partie de nos droits [...] nous ne pensons pas que le langage de la force fera céder l'Iran sur ses droits légitimes. Les recherches nucléaires se poursuivent.» Hamid Reza Asefi a aussi insisté sur la volonté de Téhéran de négocier sur son programme nucléaire.
Mais même si le ton du président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, est très hargneux - il a déjà dit souhaiter qu'Israël soit rayé de la carte - «il y a un débat au sein même du régime iranien entre les partisans d'une négociation avec les États-Unis et ceux qui préféreraient discuter avec les autres membres du Conseil de sécurité», selon le politologue spécialiste du Moyen-Orient, Sami Aoun.
Le débat est lancé
Par ailleurs, tant le New Yorker que le Washington Post font état de dissensions profondes au sein de la communauté politico-militaire américaine à l'évocation de ce recours à la force. «Il existe chez les militaires de forts sentiments d'opposition à l'utilisation d'armes nucléaires contre d'autres pays», affirme le premier média, tandis que le second fait état des conséquences négatives qu'aurait une attaque contre l'Iran sur les intérêts américains dans le monde. Une idée défendue par Sami Aoun, qui ajoute que l'administration américaine est divisée «entre ceux qui souhaiteraient interdire à l'Iran de développer toute forme de technologie nucléaire et ceux qui veulent plutôt que ce pays soit une puissance alliée des États-Unis», au même titre que l'Inde et la Pakistan. De nombreux militaires et experts assistent en effet à ces bruits de bottes avec inquiétude, selon le Washington Post. Une attaque contre l'Iran pourrait, au mieux selon eux, retarder le programme nucléaire de quelques années, mais elle risquerait de retourner l'opinion mondiale contre les États-Unis, en particulier dans le monde arabe.
À quelques mois des élections de mi-mandat, - la Chambre des représentants et un tiers du Sénat seront renouvelés à l'automne -, la crise iranienne est d'ailleurs devenue un enjeu politique en sol américain. Un débat qui dépasse la traditionnelle opposition entre les faucons et les colombes. D'autant plus que la première puissance militaire du monde est embourbée en Irak et que le président Bush est au plus bas dans les sondages.
D'ailleurs, selon le Directeur de la chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l'UQAM, Charles-Philippe David, les fuites au New Yorker et au Post font partie du débat. «Ces fuites sont calculées, peut-être pour justifier une action militaire contre l'Iran, mais, à mon avis, il s'agit davantage de contrer cette option», a-t-il expliqué au Devoir. Selon lui, «plusieurs militaires américains disent "on en a plein les bras avec l'Irak, alors pourquoi aller en Iran? On peut très bien vivre avec un Iran qui développerait la technologie nucléaire"».
Selon M. David, il faudra toutefois attendre après les élections de mi-mandat, «si le président Bush se tire bien d'affaire», pour voir apparaître ou disparaître le spectre d'une action militaire contre l'Iran. «Les plans d'une intervention existent, tout comme ils existent pour la Corée du Nord, a-t-il souligné. Mais nous en sommes encore loin.» Il estime toutefois que le dossier iranien sera «le dossier le plus chaud sur la scène internationale au cours de l'année à venir». S'il croit que le débat se fera surtout sur la question des sanctions économiques et politiques dans les prochains mois, il craint tout de même le recours à la force, qui équivaudrait à faire éclore «la véritable guerre de civilisations qu'on appréhende depuis quelques années».
Sami Aoun doute d'ailleurs fortement de l'efficacité de frappes aériennes. «Nous ne sommes absolument pas certains que l'Iran a concentré toutes ses activités nucléaires sur quelques sites, a-t-il soutenu. Le pays peut très bien traiter avec un tiers État, comme la Syrie, pour développer la technologie nucléaire.» Et selon M. David, il faut se méfier des possibles représailles militaires que l'Iran, «une puissance régionale», pourrait exercer sur ses voisins, en particulier Israël.
Sur le terrain, le travail des inspecteurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique s'est poursuivi hier. Ceux-ci se sont rendus à Ispahan, une unité de transformation de l'uranium brut, avant de gagner Natanz, où ont repris les activités d'enrichissement. Le patron de l'Agence, Mohamed el-Baradeï, est attendu dans la semaine à Téhéran. «Les portes du dialogue sont ouvertes. Nous coopérons sérieusement avec l'AIEA», a précisé Hamid Reza Asefi. Nous ne fermons absolument pas la porte du dialogue avec plusieurs pays.»
Avec l'Agence France-Presse, Associated Press, Libération et Reuters


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