Alors que le Canada est frappé par une crise sanitaire qui monopolise l’attention médiatique, le gouvernement Trudeau poursuit ses démarches pour accélérer les forages pétroliers en milieu marin, a constaté Le Devoir. Il mène présentement une consultation publique dans le but d’éliminer les évaluations environnementales exigées pour les forages exploratoires à l’est de Terre-Neuve. Au moins 100 de ces forages sont envisagés d’ici 2030.
Le processus en cours passe totalement inaperçu, alors que les Canadiens font face à la crise du coronavirus, mais il n’en demeure pas moins crucial pour favoriser le développement de l’industrie pétrolière dans l’est du pays au cours des prochaines années.
Le gouvernement Trudeau mène une consultation publique en ligne de 30 jours sur un projet de règlement qui permettra d’« exclure » les forages d’exploration pétrolière et gazière d’une évaluation environnementale menée selon les règles actuellement en vigueur en vertu de la Loi sur l’évaluation d’impact. « Le projet de règlement ministériel vise à améliorer l’efficacité des processus d’évaluation du forage exploratoire extracôtier pétrolier et gazier tout en maintenant des normes élevées en matière de protection de l’environnement pour ces projets », précise le document de la consultation, qui se termine le 3 avril.
Est-ce que la consultation se poursuit comme prévu, malgré la crise de la COVID-19 ? « L’Agence d’évaluation d’impact du Canada n’a pas modifié la date limite pour cette période de consultation pour le moment. L’Agence envisagera de prolonger la date limite à la lumière des circonstances liées à la COVID-19 », a-t-on précisé au Devoir.
Le gouvernement Trudeau poursuit donc ses démarches pour alléger la réglementation environnementale qui cible l’industrie pétrolière. Jusqu’à présent, une pétrolière qui voulait mener un premier projet de forage sur un permis d’exploration situé dans les eaux à l’est de Terre-Neuve-et-Labrador devait déposer un avis de projet et produire une étude d’impact. Un examen était alors mené par l’Agence canadienne d’évaluation environnementale, qui produisait un rapport destiné au ministre de l’Environnement. Ce dernier décidait alors d’autoriser, ou non, le projet.
Crédit: Gouvernement du Canada
Les choses devraient toutefois changer sous peu. Le gouvernement Trudeau a en effet commandé en 2019 une « évaluation régionale » qui couvre un territoire maritime de plus de 735 000 km2 situé en Atlantique. Cette vaste zone, qui recoupe l’important secteur de pêches commerciales des Grands Bancs de Terre-Neuve, compte de nombreuses zones écologiques majeures et abrite plusieurs espèces menacées. La région regroupe aussi l’essentiel des permis d’exploration détenus par des entreprises pétrolières en milieu marin dans l’est du pays.
Processus critiqué
Selon le gouvernement, le rapport produit par le « comité » qui a mené l’évaluation régionale « conclut que les effets du forage exploratoire extracôtier pétrolier et gazier sont bien connus, entraînent des perturbations mineures, localisées et temporaires, et ne sont pas susceptibles d’être importants si des mesures d’atténuation normalisées sont mises en place ».
Le rapport du comité se montre toutefois très critique du processus imposé par le gouvernement Trudeau. Il insiste notamment sur « le délai très court » qui lui a été accordé « pour s’acquitter de sa tâche ». « Cela a non seulement limité la capacité du Comité à préparer le rapport, mais a également réduit la confiance du public dans le travail du Comité et les possibilités pour les autres de contribuer. » Les membres ont été nommés le 15 avril 2019 et leur travail devait être terminé à l’automne.
Qui plus est, le comité souligne que, « trop souvent, l’expertise scientifique du gouvernement fédéral n’était pas offerte ou accessible à l’appui de ses travaux ». Un tel accès était pourtant prévu, peut-on lire dans le document de 234 pages. « Tout particulièrement, on a envisagé, au départ, que les experts gouvernementaux participeraient directement à la planification de différentes composantes de l’évaluation régionale, à l’analyse des données et à la rédaction. À part quelques exceptions remarquables, cette situation ne s’est pas concrétisée. Il s’agit d’une situation insoutenable qui a grandement nui aux efforts », souligne le rapport.
Je ne comprends pas l’intérêt de mener une telle consultation “en cachette”, en ce moment, alors que les impacts concernent plusieurs inter-venants qui doivent être consultés
Quoi qu’il en soit, le ministre Wilkinson a publié un projet de règlement le 4 mars. Celui-ci prévoit que tous les puits d’exploration forés dans la zone de 735 000 km2 seront exemptés du processus d’examen de la Loi sur l’évaluation d’impact. Fait à noter, cette règle s’applique même aux projets de forages réalisés dans les « refuges marins » mis en place par le fédéral pour protéger les milieux marins.
Une fois que le règlement sera en vigueur, une entreprise pétrolière ou gazière devra déposer un « avis » de projet au gouvernement, en incluant les informations techniques. Le promoteur travaillera ensuite avec l’Office Canada–Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers, qui gère le développement de l’industrie. L’organisme devra s’assurer que les projets « sont mis en oeuvre d’une manière responsable sur le plan environnemental ».
Biodiversité
Spécialiste des mammifères marins et des écosystèmes, Lyne Morissette déplore les façons de faire du gouvernement Trudeau. « Cette région n’appartient pas à l’industrie pétrolière, pas plus qu’elle appartient à l’industrie de la pêche. Je ne comprends donc pas l’intérêt de mener une telle consultation “en cachette”, en ce moment, alors que les impacts concernent plusieurs intervenants qui doivent être consultés. »
Elle insiste d’ailleurs sur l’importance de protéger la région maritime située au large de Terre-Neuve. « C’est un secteur de très grande productivité biologique, ce qui est la base de toute la biodiversité. C’est un écosystème qui est riche et on voit de plus en plus l’intérêt de ces secteurs, par exemple lorsqu’on voit des espèces se déplacer davantage vers le nord, comme c’est le cas pour la baleine noire. Ce sont des régions qui seront critiques au cours des prochaines années, notamment pour les espèces en péril. »
Pour le biologiste Sylvain Archambault, le projet de règlement est « inquiétant ». « Leur objectif est d’accélérer l’approbation des projets de forages », résume-t-il. Des associations de pêcheurs redoutent aussi ces projets de forages. « Ce sont des milieux marins qui sont des sites de pêche extrêmement productifs. Après tout, il s’agit des Grands Bancs de Terre-Neuve », souligne M. Archambault.
Terre-Neuve-et-Labrador souhaite qu’au moins 100 puits d’exploration soient forés d’ici 2030, afin d’augmenter la production pétrolière au cours des prochaines années. L’objectif serait de produire quotidiennement plus de 650 000 barils.
Dix nouveaux forages
Le ministre de l’Environnement, Jonathan Wilkinson, a autorisé le 16 mars les pétrolières Husky Oil et Exxon à mener au moins 10 forages exploratoires en milieu marin d’ici 2027, dans une zone ciblée par l’industrie et située sur les Grands Bancs de Terre-Neuve, dans l’Atlantique. Des levés sismiques et d’éventuels essais de production sont aussi autorisés.
Selon le ministre Wilkinson, ce nouveau projet de recherche de pétrole et de gaz naturel « n’est pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants ». Le rapport produit par l’Agence canadienne d’évaluation environnementale conclut aussi que le risque d’un déversement pétrolier majeur est « extrêmement faible ».
Husky Oil et Exxon, deux entreprises actives au Canada, ont connu des déversements pétroliers au large de Terre-Neuve en 2018 et 2019.
Selon le « pire » scénario de déversement évoqué dans leur étude d’impact, une « éruption » pourrait laisser fuir plus de 40 000 barils par jour. Cela signifie qu’en sept jours, le déversement pourrait être aussi important que la marée noire provoquée par le pétrolier Exxon Valdez, en 1989.
Selon l’étude d’impact des promoteurs, la région maritime où seront menés les forages compte des « zones d’importance écologique et biologique », plusieurs espèces de cétacés (dont certaines sont menacées) et d’oiseaux marins, mais aussi une importante activité de pêche commerciale.